Que nous cache le vieux Manoir des Lannelec ? Une histoire de famille certes, le vieil homme Louis de Kerjagou de Lannelec qui a perdu son épouse, vient de se remarier avec une jeune femme, Maud, mais derrière ces murs, vont s'imprimer les serments comme les trahisons d'une amitié étonnante, qui fut indéfectible et douloureuse.
Le roman de Maurice de Kervénoaël raconte l'amitié entre deux hommes que tout sépare Guillaume de Lannelec et d'Olivier Loubreyroux.
L'un est catholique, l'autre protestant calviniste, Guillaume est fils unique, Olivier a une soeur Florence, l'un est breton, Olivier vient des Cévennes, Guillaume a un riche passé de Croisé, Olivier vient d'une famille d'enseignants, L'un est entreprenant et souvent impulsif, Olivier est en nuances plus littéraire moins manuel. L'un est conservateur libéral, son ami un rad-soc truffé de scrupules.
Pourtant une amitié incroyable se noue sur ce banc de prépa, où ils se découvrent l'un et l'autre orphelins de leur mère depuis l'age de dix ans.
Brillants élèves, une compétition factice mais joyeuse les soude et consolide leurs ambitions ; ne vont ils pas créer ensemble avec Gisèle une femme de religion juive, une grande agence de publicité.
La vie révélera peu à peu leurs caractères si différents si incompatibles, les coups durs les renverront à chaque fois l'un à l'autre, l'un en face de l'autre à la recherche d' un sauvetage, d'un répit. Peuvent-ils encore se comprendre alors que des secrets enfouis surgissent de l'ombre.
La première cassure se produira en Algérie, Guillaume s'oriente vers les troupes de combat, Olivier rejoint l'état major, les planqués ! Guillaume sera décoré, puis blessé dans l'Oranais, leurs mots ne sont plus les mêmes, n'ont plus la même chaleur.
Leurs choix sentimentaux les éloignent l'un de l'autre. Leur vie sentimentale, un long fleuve tranquille ? Une suite de rapides, puis des chutes, suivies d'accalmies...
Émouvant de sentir la fragilité de ces deux hommes à l'intelligence si vive, s'emmêler les pinceaux dans une suite de dérapages incontrôlés funestes ou dangereux dans leur vie familiale, où la mémoire des mères continue de hanter les survivants.
Captivant le déroulement de toute l'aventure algérienne, que découvre Olivier auprès de la famille Pujol, une ferme importante de la Mitidja, la famille Pujol de Solange son épouse.
Exemplaire le témoignage de Guillaume aux avants postes de l'armée, d'où il mène le combat de la sécurité, au prix parfois de sa propre vie. le climat des années 60 est parfaitement restitué, les relations avec les harkis explicitées, la torture n'est pas esquivée comme les aspirations de la population musulmane qui refuse de coopérer avec le FLN.
Destructeurs seront les deuils, qui vont tisser la trame finale du roman, les secrets viendront frapper aux portes des vivants, expier, réparer, les questions essentielles se poseront à Olivier comme à Guillaume. S'ils travaillent dans la même société, ils créent aussi ensemble des tensions qui lentement deviennent irréparables !
Le roman de Maurice de Kervénoaël est bien plus complexe que l'usure du temps, fut-il habité par des vents violents et des bourrasques, fut-il l'usure des coeurs, tel celui de florence, que nous découvrons au début, et qui avant de fermer le livre vient chercher l'apaisement.
Le texte s'intensifie au fil des pages, le ton se fait plus profond, les mots se trouvent et s'ajustent à l'ambiance du moment, la sérénité qui a fuit les acteurs se dérobe comme "l'allée qui se perd dans un fouillis végétal et sauvage"p370.
Une très belle fiction avec de troublants rebondissements.
L'histoire d'une amitié émouvante incroyablement romanesque.
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Au début de l'année suivante, quelques jours après cet attentat, une autre mauvaise nouvelle alourdit encore l'atmosphère et ajouta au pessimisme ambiant: l'écrivain Albert Camus venait de se tuer dans un accident de voiture en métropole. Il était né à Mondovi, dans la région de Constantine, et les Pujol avaient eu l'occasion de le rencontrer. Tous les pieds-noirs vécurent cette disparition comme un deuil personnel. Beaucoup connaissaient ses livres et Charles, qui les avait tous lus, en discutait souvent avec Olivier.
Il comptait parmi ces Européens modérés qui considéraient ce Prix Nobel de littérature comme un avocat de leur cause. Ne souhaitait-il pas comme eux l'avènement d'une Algérie faite de peuples fédérésn associés à la France?
Cette mort accentua encore leur sentiment d'abandon.
Cette guerre était-elle d'un autre âge? Il n'y avait pas de colons dans la région d'Aïn Saada - rien que des Arabes. Les combats se déroulaient entre musulmans profrançais et antifrançais. Ces positionnements politiques masquaient souvent des antagonismes ancestraux, des haines familiales recuites, des luttes de clans.
Je défends la mémoire des harkis.