AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome fait suite à Passé décomposé (épisodes 1 à 6) qu'il vaut mieux avoir lu avant pour pouvoir reconnaître les différents personnages. Il comprend les épisodes 7 à 12, initialement parus en 2004, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard, Cliff Rathburn ayant ajouté les trames grises. Comme dans le premier tome, Kirkman a réalisé le lettrage.

Le récit s'ouvre avec un souvenir de Lori Grimes concernant sa relation avec Shane, alors que Rick Grimes était dans le coma depuis plus de 3 semaines. Au temps présent, le petit groupe de Rick Grimes enterre proprement ses morts, décédés lors d'une attaque de zombies la veille. le temps est venu de lever le camp et de chercher un endroit plus sûr, plus éloigné d'Atlanta qui a entièrement succombé à l'infestation de zombies. le groupe se compose de 12 personnes dont Rick Grimes, sa femme Lori et son fils Carl. Sur la route enneigée, alors qu'ils poussent une voiture sur le bas-côté, ils acceptent 3 personnes supplémentaires qui erraient par-là : Tyreese, Julie et Chris. Lori émet des réserves à l'idée d'accepter des inconnus sans précaution.

Après avoir parcouru encore quelques kilomètres, le petit groupe découvre une résidence clôturée appelée Wiltshire Estates. Cela semble être un endroit idéal pour s'installer quelques temps, voire pour passer l'hiver. Il n'y a plus d'habitants et les placards sont plein de conserves. Il n'y a qu'à faire un tour pour vérifier qu'il n'y a pas de zombies dans les parages et ils pourront retrouver un peu de confort. Entretemps, Lori informe Rick qu'elle a la certitude d'être enceinte, ce qui engendre bon nombre de questions et d'angoisses à commencer par celle de la santé de la mère et du foetus pendant la grossesse.

En ouvrant ce deuxième tome, le lecteur fait une première découverte : Tony Moore (le dessinateur américain des épisodes précédents) s'en est allé et il a laissé sa place à Charlie Adlard, un artiste anglais ayant fait ses armes dans l'hebdomadaire 2000 AD. le premier constat est immédiat : le ton goguenard du premier tome a entièrement disparu pour laisser la place à une narration visuelle beaucoup plus premier degré, dépourvue de toute trace humoristique, de tout second degré. Adlard dessine lui aussi dans une veine descriptive, avec un léger degré de simplification dans les contours. Les traits de contours sont assez fins, pas très réguliers, comme s'ils n'étaient pas tout à fait assurés, ce qui donne une impression un peu croquée sur le vif, et ce qui rend les dessins plus vivants. L'artiste donne du poids à ses cases avec des aplats de noir aux contours irréguliers, qui montrent la noirceur de la situation dans laquelle évoluent les personnages.

La disparition de la dérision sous-jacente apparaît le plus clairement dans les visages, car ils sont représentés de manière sérieuse. Les sourires ont disparu, ils ont été remplacés par des expressions fermées, de l'inquiétude, et de l'angoisse, avec une pointe de déprime. Ce changement d'orientation fait sens avec le fait que les personnages prennent conscience que la situation va perdurer et que la vie va devenir beaucoup plus dure sur le plan matériel. le lecteur observe également que le dessinateur aime bien les cases avec une tête de personnage en gros plan en train de dire quelque chose, et que les personnages ont souvent la bouche grande ouverte. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut apprécier ce virage vers une narration plus sérieuse, plus empreinte de gravité. Il peut aussi regretter la perte de qualité dans la mise en scène, ces gros plans sur les émotions manquant régulièrement de nuances sur l'état d'esprit du personnage, et il ne s'agit pas que d'un retour vers l'essentiel des choses.

La représentation des zombies a elle aussi effectué un virage vers un ton plus horrifique, encore qu'Adlard ne se vautre pas dans les détails gore. La peau décomposée est juste représentée par quelques tâches. Les zombies ont perdu leur essaim de moucherons omniprésents dans le tome précédent. La représentation des zombies devient plus conceptuelle que descriptive. À l'opposé, Charlie Adlard effectue un travail significatif sur les tenues vestimentaires, ordinaires et pratiques. Il joue avec la profondeur de champ, tantôt montrant toute l'étendue de la résidence Wiltshire Estates, ou du ranch par la suite. Au contraire, il peut se concentrer sur un plan rétréci pour montrer le peu de marge de manoeuvre dans certaines situations. Il n'hésite pas à dramatiser certaines scènes avec un angle de vue accentué (Rick Grimes prenant un individu à la gorge en gros plan comme si le visage du lecteur était à 30 centimètres) ou en interposant un objet au premier plan (la croix d'une tombe).

Il faut reconnaître que le travail du dessinateur est rendu plus compliqué par un tome plus bavard, le scénariste ayant beaucoup de choses à faire raconter aux personnages. Il souhaite en donner pour son argent au lecteur (ce tome prend une fois et demi plus de temps à lire qu'un comics ordinaire de superhéros) et en caser le plus possible pour développer son histoire et retenir l'attention du lecteur, afin d'assurer la survie de sa série. Effectivement la narration prend un ton plus sombre, les personnages se rendant compte au fur et à mesure de tout ce qu'ils ont perdu, que le retour à la normal n'est pas pour demain, et que subvenir aux besoins élémentaires est redevenu une tâche à plein temps. Il faut trouver de la nourriture, trouver un abri, assurer la sécurité en s'assurant de l'absence de zombies, réfléchir à la manière d'assurer la santé de chacun et de soigner les blessés.

Malgré tout, le lecteur constate que le réalisme reste relatif. Au cours de ce tome, l'un des protagonistes fait justement observer qu'il n'est pas possible de savoir si la condition des individus transformés en zombies ne serait pas réversible. Les autres estiment que la probabilité est nulle, mais qu'effectivement ils ne s'étaient pas posé la question. Ils ont immédiatement assumé les conventions relatives aux zombies. le lecteur un peu tatillon peut trouver que les survivants devraient se protéger les muqueuses à l'approche de zombies, en cas de mode de contamination similaire à celui d'un virus. Cela semble une précaution élémentaire. Kirkman explique bien que ces zombies ne sont pas très rapides, et les dessins le montrent de manière claire. Tout de même, le lecteur se demande pourquoi les survivants achèvent les zombies au pic et la hache, plutôt que de se servir d'outils avec un manche plus long (par exemple une pioche, ou une pelle comme dans le premier tome) pour éviter de recevoir des projections sur eux. Enfin, comme il est de coutume avec les zombies, ceux-ci continuent d'avancer malgré des muscles atrophiés, l'absence de vascularisation, l'absence de nourriture pour fournir des nutriments à leur corps. Ce qui est montré évoque plus des créatures surnaturelles mues par une force de nature magique, que des cadavres en état de fonctionnement.

Encore plus que dans le premier tome, Robert Kirkman donne l'impression d'avoir adopté un mode de narration tellement simple qu'il en devient simpliste. L'histoire est rigoureusement linéaire. le caractère des personnages reste superficiel, souvent dicté par une motivation basique et unilatérale. Certes, les protagonistes en sont réduits à se préoccuper d'assouvir leurs besoins basiques : se nourrir, s'abriter, se protéger. Mais la situation de Lori Grimes nécessite de pouvoir se projeter dans l'avenir à plusieurs semaines à l'avance. Pour que sa grossesse parvienne à son terme dans des conditions satisfaisantes, il est nécessaire qu'elle s'inquiète (avec l'aide de son mari) de son état de santé et de celui du foetus. Or il semble que l'incertitude du lendemain empêche d'envisager plus loin que les 12 prochaines heures au mieux. En outre, le scénariste semble être très attaché aux moments choc, comme s'il s'agissait de maintenir l'attention du lecteur à tout prix par des révélations brutales, comme dans une comédie de situation bon marché.

Ces révélations donnent l'impression d'arriver à un rythme régulier, comme une mécanique bien réglée. Cette fréquence est bien sûr dictée par le mode de parution en épisode mensuel. Kirkman prend la précaution d'asséner un suspense insoutenable en fin de chaque épisode pour s'assurer du retour du lecteur le mois suivant. En cela, il ne fait que respecter les contraintes du feuilleton sérialisé. Mais il éprouve également le besoin de théâtraliser ces moments de la manière la plus dramatique qui soit. Lorsque Lori informe son mari qu'elle est enceinte, elle lui tourne le dos, le visage et une partie de sa silhouette mangée par l'ombre qui figure le poids de cette terrible révélation. En choisissant ces mises en scène appuyées jusqu'à la caricature, Kirkman et Adlard donnent l'impression que ces adultes sont redevenus le jouet des leurs émotions, comme si l'effondrement la civilisation les avait ravalés à l'état d'adolescent en proie aux dérèglements hormonaux irrépressibles. le lecteur peut choisir entre penser que les auteurs font le choix d'exagérer parce qu'ils s'adressent à un public assez jeune, ou qu'ils en rajoutent au-delà du nécessaire plombant ainsi leur narration. Mais…

D'un autre côté, le lecteur remarque également des regards appuyés qui laissent présager des catastrophes à venir, comme par exemple le petit Carl avec un regard noir et la main hésitant à prendre son revolver à sa ceinture. Il remarque également que sous une apparence simpliste le récit touche à des questions politiques très délicates. Après la mort d'un personnage à la forte aura dans le tome précédent, les autres se rangent assez facilement à l'avis de Rick Grimes, avec une régularité élevée, sans pour autant devenir des moutons. Cela peut sembler une évidence, mais Kirkman met ainsi en scène que ce petit groupe a choisi un chef de manière tacite. Pour pouvoir progresser et survivre, cette petite communauté a besoin d'un individu qui exerce une forme de commandement, pour l'instant assez consensuel, sans qu'il soit besoin d'organiser les prises de décision de manière formelle. Il y a là un mode de fonctionnement qui ressemble à une évidence, mais les réactions ponctuelles de quelques-uns montrent que cette autorité déléguée n'est acceptée que tant qu'elle apparaît utile sur le moment. Plusieurs personnages n'entendent pas se contenter de cette vie en communauté dictée par les besoins du groupe, et veulent pouvoir disposer d'une latitude d'action pour pouvoir satisfaire des besoins personnels.

De la même manière, les pérégrinations de ce tome posent à 2 reprises la question du périmètre du groupe. Faut-il accueillir et intégrer tous les individus moins bien lotis que le groupe ? Lori Grimes fait remarquer à son époux qu'il fait peut-être preuve de trop de confiance vis-à-vis d'inconnus. de même, le responsable du ranch fait observer qu'il ne peut pas accueillir tout le groupe pour une durée indéterminée car il ne dispose pas d'assez de ressources (en particulier alimentaires) pour subvenir aux besoins de tous, et qu'il préfère privilégier les membres de sa famille. Dans la forme, Robert Kirkman met en scène ces questions avec ses gros sabots, avec une dramaturgie dans l'excès. Mais dans le fond, il questionne la nature même d'une société si petite soit-elle, son fonctionnement, sa raison d'être, la légitimité de son chef (ou de son meneur), les conséquences de ses choix. La première fois, le lecteur se dit que le scénariste n'a pas fait exprès et qu'il a eu de la chance. La deuxième fois, il se dit que ce récit vaut le coup d'être lu malgré sa narration criarde. La troisième fois, il commence à penser que cette narration primaire ne reflète pas forcément l'intelligence de l'auteur.

Ces épisodes ne remettent juste en cause la notion d'altruisme, ils obligent à regarder en face la raison de l'existence de toute forme de société, à se poser des questions plus fondamentales que les réactions épidermiques des personnages. de manière sous-jacente, la question des armes à feu se repose également. La sécurité reste une préoccupation majeure, mais elle doit s'apprécier au regard du risque encouru en armant tout le monde, avec les accidents dramatiques qui peuvent survenir. À ce stade du récit, il reste nécessaire d'armer le plus grand nombre, mais les conséquences des erreurs sont bien réelles. À chaque apparition de zombies, le lecteur se demande quel genre de métaphore ils représentent. Robert Kirkman n'est pas George Romero, et il semble ne servir des zombies qu'au premier degré : des individus morts errant au gré du hasard, et attirés par les vivants. Il représente le risque de mort arbitraire (être au mauvais endroit au mauvais moment) pouvant s'abattre sur n'importe qui (sauf peut-être sur Rick Grimes au vu de la déclaration d'intention de l'auteur, contenue dans le premier tome). Ils représentent donc la mort inéluctable qui attend chacun d'entre nous à plus ou moins court terme.

À l'issue de ce deuxième tome, le lecteur reste partagé entre 2 ressentis. D'un côté, ce n'est qu'un récit de survie, pas si réaliste qu'il veut en donner l'impression, avec des personnages qui restent assez superficiels (difficile de souvenir du nom de tous les membres de la communauté de Rick Grimes), avec une intrigue tellement linaire qu'elle réserve finalement peu de surprises, et une mise en scène manquant de nuance. D'un autre côté, Charlie Adlard n'embellit ni la situation ni les personnages et place le lecteur dans un monde assez réel et consistant. Robert Kirkman attaque de front le concept même de société et ses principes de fonctionnement qui n'ont rien d'évident ou d'immuable, sans jamais donner de cours ou de leçon. 4 étoiles du fait de cet arrière-goût irritant pour un récit dont l'ambition en mériterait peut-être 5.
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (8)voir plus




{* *}