AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Alzie


Son attirance pour la modernité et l'avant-garde lui vaudra d'être rejeté de ses fonctions par les nazis en 1933 et de figurer parmi les "dégénérés" à l'exposition "Entartete kunst" de Munich en 1937. Paul Klee est très tôt attiré par l'expressionnisme, le cubisme, et le dadaïsme. Sa rencontre avec Delaunay, Kandinsky et les artistes du "Blaue Reiter", sa découverte de Paris, son voyage lumineux en Tunisie en 1914, seront quelques-unes des étapes marquant le parcours de cet étonnant créateur. Autre donnée non négligeable et essentielle le concernant : sa carrière et son engagement pédagogique au Bauhaus, entre 1921 et 1931, et à l'Académie de Düsseldorf, qui inspirent bon nombre des écrits et des notes, supports de son activité professorale, publiés de son vivant ou à titre posthume.

Avec un père professeur de musique une mère cantatrice on ne s'étonne pas d'apprendre qu'il ait été initié au violon, dans sa prime jeunesse. S'étant décidé plus tard pour la peinture, il épouse une pianiste (Lily Stumpf) ; dimension fortement musicale imprégnant son tempérament qui constitue un repère intéressant, pour qui souhaite s'immerger dans sa théorie. Une très riche, et pas si lointaine, exposition à la Cité de la Musique en 2011 : "Polyphonies", a montré d'ailleurs, à bon escient, les innombrables échanges entretenus entre les deux univers - pictural et musical - dans son oeuvre, et que l'artiste n'a jamais cessé d'explorer. Propension qui se retrouve à la lecture de la première partie du livre où une pensée musicale s'y fait parfois aussi entendre.

Cet essai réunit, en deux parties bien distinctes et complémentaires, d'une part différents textes de sa pensée théorique présentés, en huit chapitres, sous une forme très littéraire et donc très accessible, de l'autre, ses esquisses pédagogiques (publiées par le Bauhaus en 1925), représentant un ensemble plus foisonnant de notes brèves et de textes courts, assortis de nombreux croquis, détaillés ou plus allusifs, regroupés sous plusieurs thématiques. Tout ce qui touche la première partie : l'exposé sur l'art moderne introduisant l'approche plus générale sur l'art qui en découle, la conception nouvelle de la création ("Le credo du créateur") et les moyens d'y parvenir (l'étude de la nature devient exploration interne des choses, réflexion sur la forme et la couleur), s'y conçoit bien et s'y lit facilement. L'ensemble aboutissant à la philosophie de la création, quelque peu "cosmique", de Paul Klee, dont on comprend que la préoccupation majeure est l'élargissement du domaine du visible, plutôt que l'étude détaillée des apparences. Chaque créateur, à la recherche d'une loi originelle qui lui est propre, s'inscrit dans la Loi du Monde, par son oeuvre personnelle.

"Autrefois, on représentait les choses qu'on pouvait voir sur terre, qu'on aimait ou aurait aimé voir. Aujourd'hui la relativité du visible est devenue une évidence, et l'on s'accorde à n'y voir qu'un simple exemple particulier dans la totalité de l'univers qu'habitent d'innombrables vérités latentes. Les choses dévoilent un sens élargi et bien plus complexe qui souvent infirme en apparence l'ancien rationalisme. L'accidentel tend à passer au rang d'essence." (Credo du créateur, p. 39)

La deuxième partie, immédiatement visuelle, vient parfaitement s'accorder à la première, grâce au dessin. L'ordre plastique basique régi par la ligne, la tonalité et la couleur, définies en préambule, trouve ici naturellement sa place et sa formulation. C'est ici que se jouent les gammes. D'emblée, peut s'y lire la capacité de l'artiste, autant que l'intention pédagogique, à élargir le champ exploratoire de la création, en direction de tout ce qui peut l'enrichir. La géométrie, l'anatomie, l'astronomie, la cinétique, la physique, les mathématiques, la dynamique, l'optique ou les sciences de la nature servent de support aux études sur la ligne et la surface, la structure, les dimensions, l'équilibre et le mouvement. La symbolique des formes et des signes directionnels (la flèche) et la couleur porteuse de sens, occupent une place toute particulière qui renvoie immanquablement au dynamisme et au chromatisme de l'oeuvre de Klee (quelques reproductions au centre du livre). Agencements, échanges, production/réception, symétrie/asymétrie, jeu des forces et de leurs contraires : curiosité inventive et intérêt manifeste pour le rythme et la mobilité, offrant sans doute aussi une perception renouvelée des choses et des phénomènes, à ses étudiants du Bauhaus, qui ont dû méditer longuement devant le marteau hydraulique ou le système de reproduction de la plante. Un cours plutôt pragmatique et qui débouche finalement sur une vision métaphysique de l'art, d'où la poésie n'est pas absente. Hommage final à deux de ses contemporains : Franz Marc, Emil Nolde.


Commenter  J’apprécie          232



Ont apprécié cette critique (18)voir plus




{* *}