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EAN : 9782246706717
281 pages
Grasset (14/10/2009)
3.83/5   3 notes
Résumé :
S'il est un phénomène universellement répandu, traversant les époques et les sociétés avec son lot constant de scandales et d’indignation, c'est bien la corruption. Les journalistes en trouvent chaque jour un nouvel exemple, et les livres d'histoire en portent partout la trace. Pourtant, tous les philosophes semblent l'avoir oubliée de leurs écrits. Tous, sauf un : Bernard Mandeville, auteur anglais du début du XVIIIe siècle, et tant soit peu provocateur. Gaspard Ko... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ce livre a un grand mérite : détruire nombre d'idées reçues sur un mot qui, en lui-même, ne semble que négatif et signe de vices. L'auteur détruit pourtant les préjugés en analysant, et c'est le point le plus fort de l'ouvrage selon moi, la "logique" de la corruption avant de la condamner ou d'en faire l'éloge au nom d'un discours moral. Sa principale source de références est Mandeville, et sa célèbre image de la ruche qui prospère "grâce à" la corruption, puisqu'une société, "à cause" des hommes vertueux, stagne et s'enfonce dans l'uniformisation stérile à tout niveau (artistique, judiciaire, moral...). Ainsi apprend-on que la corruption est toujours à plusieurs et jamais le fait d'un individu isolé (pas de corrupteur sans corrompu et sans bonne poire, et pas de corrompu qui ne veuille en retour devenir corrupteur, selon une logique de dominos...) ; pas de corruption sans lien aux pouvoirs et à l'argent : il n'y a aucun intérêt à corrompre une personne qui n'a pas de pouvoir ou qui ne peut nous permettre d'accéder à un plus grand pouvoir. Un homme sans corruption n'a aucun pouvoir ; pas de corruption sans une logique des échanges et des services après qu'une amitié (même feinte) mais respectable ne se soit mise en place : et ce, afin de détruire la logique marchande où tout repose sur l'anonymat et l'argent, puisque plus personne (vendeur/acheteur) ne doit plus à l'autre. La corruption se fait toujours dans la solidarité où la logique du don/contre-don, échanges de services rendus, prime sur l'achat. On se rend des services, mais on ne s'achète pas ; difficulté de trouver la juste ligne de démarcation entre cadeau et tentative de corruption ; destruction de l'uniformité, de la monotonie et de l'ennui d'un monde totalement vertueux dans lequel il ne se passe plus rien d'intéressant.

Mais le reste ne m'a pas convaincu et j'avoue afficher un grand scepticisme pour les raisons suivantes :

- Très étrangement, l'auteur semble accepter un postulat de Mandeville et qui est problématique ; à savoir que les hommes corrompus sont toujours "créatifs" et "créateurs", tandis que les hommes vertueux et justiciers sont toujours "indolents" (terme de Mandeville), c'est-à-dire non créatifs, enfermés dans une identité stérile, toujours dans la somnolence et non l'action. Je ne vois vraiment pas d'où vient ce préjugé ! Un homme corrompu peut très bien briguer un poste où il croupi infécond (en 1982, Mitterrand a réintroduit les postes de préfet hors cadre que Charles de Gaulle avait détruit en 1964, qui sont des postes fictifs où l'on gagne 6000 euros par mois avec 4000 euros de retraite - alors pourtant qu'un préfet hors cadre est stérile, ne fait rien!!!) tandis que des hommes vertueux peuvent s'avérer créatifs (associations, projets artistiques, réformes technologiques et médicales...). L'argument de Mandeville ne semble cohérent que par ce postulat bien fragile.
- L'auteur affirme que l'homme vertueux s'enferme dans une identité qui est la répétition du même, alors que le corrompu, est-il dit, s'ouvre à l'altérité, est créatif, fait des expériences, s'adapte à des environnements différents qu'il accepte d'exploiter, est libre contre les règles monolithiques et invariantes. Malheureusement, on attendrait une définition de ces termes mais elle n'existe pas. Qu'est-ce que cette création ? Cette liberté ? cette expérience ? Il n'y en a aucune définition. Leur utilisation est totalement formelle. Pire, selon moi, si l'auteur montre à raison que le mot "corruption" est toujours jugé négativement, il me semble tomber dans l'erreur inverse : croire que les mots "expérience", "liberté", "création" ont un sens positif. Or, on peu en douter : la corruption crée des inégalités, du chômage, de la misère, de la pollution, des suicides (rien de positif, même si c'est créatif) ; de même, si la liberté consiste à faire n'importe quoi n'importe comment, n'importe où, je n'en vois pas l'intérêt et l'aspect positif. Je peux aussi décider d'enculer des hamsters pour avoir "de l'expérience". En quoi cela fait du corrompu un homme "de génie" - comme semble le croire l'auteur de plus en plus fasciné par le corrompu ?
- L'auteur dénonce l'angélisme des philosophes moraux qui pensent que la nature humaine est bonne, bienveillante et que la corruption est facilitée par un mauvais milieu (par exemple le libéralisme) qu'il faudrait réformer (comme le propose Chomsky). L'auteur de montrer brillamment que tous les systèmes politiques sont corrompus : qu'ils soient capitalistes, qu'ils aient été communistes, ou qu'ils aient été ceux du socialisme bureaucratique chinois, tous sont corrompus. Mais à la thèse (l'angélisme), l'auteur sombre trop dans l'antithèse (la corruption). Il aurait été plus intéressant de montrer la "tension" qui existe en l'homme entre le bien et le mal, l'angélisme rêvé et la tentation de la corruption, entre l'égoïsme ou l'altruisme. L'auteur ne l'avoue-t-il pas à demi mot en prenant par moments l'un des personnages De Balzac, ou Michael de Coppola dans le Parrain, qui utilisent "malgré" eux la corruption, qui la pratiquent mais avec cas de conscience ? Une analyse des dilemmes moraux, des cas de conscience aurait été mieux appropriée. On ne sait jamais en lisant l'auteur si la corruption qui se trouve valorisée est un "moyen", ou une "fin" en soi. L'auteur, à force de dénoncer l'image chatoyante de la nature humaine que répandent les philosophies de la morale, sombre dans un idéalisme : tout s'explique par la corruption, tout tend vers elle, tout ce qui est bénéfique passe par elle. Véritable idéalisme explicatif !
- L'auteur a la fâcheuse tendance à croire aussi en l'adage de Mandeville : les vices privés font les biens publics. Or, on peut en douter. Il y a des retombées sociales, économiques de la corruption, certes, mais sur des groupes d'intérêts ! Ce n'est ni l'individu, ni la collectivité qui en bénéficient, mais des groupes, des guildes, des communautés. Il n'y a qu'à voir aujourd'hui la disproportion énorme entre ceux qui détiennent de l'argent (un faible pourcentage) et ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Jamais cette disproportion (qui montre que l'argent n'est plus au service de l'échange mais de la domination) n'a été aussi forte ; des groupes d'intérêts ont créé du chômage de masse, des bidonvilles. Comme le disait un homme politique (dont j'ai hélas oublié le nom) qui critiquait le libéralisme et la main invisible : certes, la libre concurrence finit par créer par sa compétition, un équilibre (comme dans la nature), après que tous les chômeurs et les pauvres qu'elle a créés ... soient morts ! C'était l'argument de Darwin : si la nature en compétition semble harmonieuse, construite par un grand horloger comme semble le prouver la logique de la chaîne alimentaire, de l'équilibre écologique, ce n'est pas parce qu'il y a un horloger au départ. Au départ, tous luttent et s'entre-tuent. Une fois que les moins aptes disparaissent, que les moins adaptés disparaissent, effectivement, il reste un équilibre entre forces plus ou moins égales, puisque tous les autres sont morts ! Cet argument de Darwin est bien supérieur à celui de Mandeville : il n'y a en apparence des vertus publiques que lorsque toute la merde produite par la corruption a fini par mourir. Effectivement, au final, le monde semble s'équilibrer. Mais qui peut avoir l'intelligence de de situer du point de vue de la totalité, pour la décrire afin de savoir si elle est positive, équilibrée ? Le corrompu peut-il avoir cette omniscience pour cautionner cette hypothèse ? N'est-ce pas le corrompu qui veut nous faire croire que la corruption crée un équilibre ? Comment savoir s'il a l'intelligence impartiale de le nous le démontrer ? N'est-il pas tenté de "corrompre" les statistiques, les tableaux, les données, de faire des fausses lois pour le prouver ? Ne serions-nous pas la "bonne poire" que recherche le corrompu quand il veut nous faire croire cela ?
- Enfin, je crois que ce qu'il manque dans cet ouvrage, c'est le mot "situations". L'auteur à un moment reprend la distinction entre : corruption noire, blanche et grise pour éviter de parler uniformément de corruption. Malheureusement, très vite, le mot revient sans ses belles nuances. Je ne suis pas certain en effet que dès qu'il y a corruption, il y ait bienfait. Il aurait fallu distinguer et hiérarchiser des situations afin d'éviter de sombrer dans cet autre idéalisme qui veut que, quelle que soit la situation, la corruption est bonne. Car c'est ce que sous-entend l'auteur en mélangeant pêle-mêle ses analyses - qui sautent d'un film à telle situation réelle, ainsi qu'à tel épisode historique ou littéraire. Il n'y a aucun discernement dans les situations en question. Et c'est fort dommage.
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Exercice intellectuel et morale libérale.
Intrigué par son titre et intéressé par le sujet de ce livre, j'ai choisi de me plonger dans Les Discrètes Vertus de la corruption de Gaspard Koenig. Grand bien m'en a pris ! le principal risque de ce genre d'essai sur la corruption est de se fondre dans le concert unanime et moralisant de la condamnation sans appel au nom de l'évidence et sans chercher à en démonter les véritables ressorts. La meilleure façon d'éviter cet écueil consiste bien sûr à en prendre le contre-pied.
Prenant pour guide Bernard Mandeville, philosophe hollandais du 18ème siècle, Koenig nous montre le phénomène de la corruption sous un angle tout-à-fait original grâce à une réflexion libre de toute évidence et de toute bien-pensance (ou politiquement correct). Sa démarche est articulée sur les trois définitions répondant au mot « corruption » : sociale, individuelle et corporelle. Insistant essentiellement sur les deux premiers aspects, il établit un lien solide entre corruption et grandeur politique, corruption et réussite personnelle par l'intermédiaire de nombreux exemples puisés dans l'histoire, la littérature, le cinéma ou les arts plastiques. Une démonstration éblouissante pour nous amener à l'idée que la corruption se situe généralement du côté de la vie, de l'action, du mouvement, de la liberté, de l'ouverture vers l'extérieur et le différent, vers le progrès social ou intellectuel, du côté du moindre mal. Il se sent même contraint de conclure : « Ce livre n'est pas un appel à la corruption, mais la défense d'un phénomène injustement décrié à qui nous devons peut-être ce que nous avons de meilleur ». On voit ainsi chez Gaspard Koenig l'expression d'une morale certes politiquement incorrecte et très anticonformiste, mais une morale, une sorte de règle de vie que je qualifierai de pragmatique, libertaire et individualiste, celle du « moindre mal ».
En réalité, au-delà de ses qualités de style et de réflexion indéniables, cet exposé ne m'a pas pleinement convaincu même s'il a ébranlé certaines de mes convictions plus instinctives il est vrai que pleinement réfléchies (du genre la corruption est toujours l'expression du mal). le ravissement de cet essai tient pour moi dans cette démarche. J'avoue que ce que j'aime et recherche dans un livre tient aussi dans un propos qui me déstabilise et me contrarie. Cependant, faut-il prendre cet ouvrage totalement au sérieux ou le considérer comme une sorte de joute intellectuelle permettant à son auteur de se faire l'avocat du diable en redonnant à la corruption une certaine place dans la conscience et la morale collectives et individuelles ? On constate que ce genre d'argumentation déroutante et contre-intuitive possède des limites évidentes : l'exagération consistant à voir dans la corruption un moteur de la « grandeur des civilisations », distinction flatteuse entre la «corruption unilatérale» spoliatrice type Mobutu et la « corruption raffinée » type Richelieu, considération que la corruption est une forme d'expression d'une certaine liberté, et surtout le passage sous silence des effets dévastateurs pour l'ensemble des nations et des citoyens d'une institutionnalisation de ces formes de sociétés parallèles et parasites (mafias, népotismes, …).
En conclusion, ce livre nous rappelle indirectement que la lutte contre la corruption, aussi indispensable soit-elle, ne doit pas se cantonner à de nécessaires mesures de répression, mais ne peut se passer d'une réflexion approfondie sur ses causes et ses justifications.

Lien : http://talent.paperblog.fr/3..
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Mandeville ne se fait pas d’illusions sur leur compte : « Si les hommes étaient naturellement humbles et à l’épreuve de la flatterie, écrit-il dans sa Recherche sur la nature de la société, les politiciens ne parviendraient jamais à leurs fins ou ne sauraient que faire d’eux. Sans les vices, l’excellence de notre espèce serait restée cachée, et tout personnage qui s’est rendu célèbre dans le monde est un argument solide contre cet aimable système.
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N'en concluons pas que la corruption se trouve infailliblement du côté du Bien. Mais en incitant à choisir le compromis contre le fanatisme moral, elle est par nature du côté du moindre mal. (p.116).
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Ce n'est donc pas la corruption qui varie à travers les âges, c'est la manière dont elle est perçue. (p.59).
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L'échange est à l'opposé de la forme impersonnelle de l'achat et de la vente: il garantit aux relations sociales une fluidité, une confiance, une humanité irréductibles à un phénomène de marché. Rien n'est moins interchangeable que l'échange. (p.78).
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[...] vision réaliste de l'homme, où le pouvoir n'est pas considéré comme une malédiction mais comme un attribut de la liberté, où la corruption n'est pas réservée à quelques pécheurs, mais partagée par tous ceux qui ont choisi l'action. (p.224)
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Vidéo de Gaspard Koenig
Deux étudiants en agronomie, angoissés comme toute leur génération par la crise écologique, refusent le défaitisme et se mettent en tête de changer le monde. A la fois cynique et grinçant, drôle et angoissant, miroir fidèle de notre époque et de ses contradictions, le roman de Gaspard Koenig est aussi une histoire d'amitié, de fidélité et de solidarité. Prix Interallié 2023 Coup de Coeur Web TV Culture !
L'émission intégrale sur https://www.web-tv-culture.com
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