AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782718604398
98 pages
Galilée (24/02/1993)
4.6/5   5 notes
Résumé :
Après l’arrestation de son père à son domicile rue Ordener le 16 juillet 42, une petite fille juive élève de l’école de la rue Doudeauville, trouve refuge avec sa mère chez une "dame" rue Labat...
Que lire après Rue Ordener, rue LabatVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Née en 1934 à Paris de parents polonais immigrés en 1929, traquée avec sa famille pendant la guerre par la police de Vichy et la Gestapo, Sarah Kofman fut cachée de fin 1942 à août 1944, après l'arrestation de son père, le rabbin Bereck Kofman raflé en juillet 1942 et assassiné à Auschwitz.

"Rue Ordener Rue Labat", récit sans grands mots et d'une grande pudeur, publié en 1994 aux éditions Galilée, est l'unique texte autobiographique de la philosophe qui se suicidât en octobre de la même année, quelques mois après la parution de ce livre.

Tout commence avec le stylo paternel, qui l'a accompagnée et l'a poussée à écrire, à écrire encore et à construire « une vie comme texte ».

«De lui, il me reste seulement le stylo. Je l'ai pris un jour dans le sac de ma mère où elle le gardait avec d'autres souvenirs de mon père. Un stylo comme l'on n'en fait plus, et qu'il fallait remplir avec de l'encre. Je m'en suis servie pendant toute ma scolarité. Il m'a «lâchée» avant que je puisse me décider à l'abandonner. Je le possède toujours, rafistolé avec du scotch, il est devant mes yeux sur ma table de travail et il me contraint à écrire, écrire.
Mes nombreux livres ont peut-être été des voies de traverse obligées pour parvenir à raconter “ça”.»

Parvenir à raconter “ça”. A l'origine, il y a quelques souvenirs heureux d'avant-guerre, la célébration des fêtes juives, le tabac que son père aimait tant ; puis Paris sous le régime de Vichy, l'étoile jaune, l'épreuve du malheur extrême, la terreur, les rafles, la disparition du père qui se sacrifie avec l'espoir de sauver sa femme et ses enfants, sa dernière carte – perdue – envoyée de Drancy, le récit de sa mort insoutenable à Auschwitz, les frères et soeurs dispersés, la vie d'une petite fille obligée de se cacher.

«Pendant la guerre, quand le tabac fut rationné, je ramassais pour lui des mégots sur les trottoirs et j'aimais aller lui acheter rue Jean Robert le papier « zigzag » dans lequel il roulait ses cigarettes.
Plus tard, dans un rêve, je me représentai mon père sous la figure d'un ivrogne qui traversait la rue en zigzaguant.»

Ça ? Traquées, cachées, ne pouvant plus revenir dans leur appartement de la rue Ordener, Sarah et sa mère trouvent finalement refuge chez «la dame de la rue Labat», une ancienne voisine qui couve la petite fille, l'encourage dans ses études, l'arrache à sa mère et à sa culture juive, supplantant sa mère dans son coeur au grand désespoir de celle-ci. Disparition du père vécue comme un abandon, terreur et arrachements, déchirures de l'identité entre deux figures maternelles rivales, la philosophe spécialiste de Nietzsche et de Freud réussit à dire sans pathos les survivances de la petite fille, de la souffrance et de la culpabilité.

Les souvenirs semblent survenir de manière alternativement suivie et erratique sous la plume de Sarah Kofman, comme des éclats lumineux (l'apparition d'un inconnu qui vient les prévenir de l'imminence d'une rafle, la bienveillance des institutrices, dont la très généreuse madame Fagnard) ou comme des explosions noires – remontées de la mémoire composant un récit à vif sans mise à distance, à l'inverse d'un autre roman autobiographique, familial et cher à mon coeur, L'amour sans visage d'Hélène Waysbord (Christian Bourgois, 2012) ou de la traversée des fleuves de Georges-Arthur Goldschmidt (Seuil, 1999).

La petite fille oublie les traumatismes du monde dans les cadeaux éminemment précieux de livres et la fréquentation des textes, dessinant un rapport vital aux textes et à l'écriture, ce qui fit dire à Jean-Luc Nancy que l'écriture était pour Sarah Kofman ce qui attestait de son existence.

«Elle [madame Fagnard] savait, au nombre de livres que j'empruntais à la bibliothèque, que lire était ma passion. J'avais dû lui raconter, je crois, qu'en lisant Merlin l'enchanteur, j'avais été tellement absorbée que, me balançant sur une chaise, j'étais tombée dans le feu de la cheminée sans m'en apercevoir, et avais tranquillement continué ma lecture.»

Retrouvez cette note de lecture et beaucoup d'autres sur le blog de la librairie Charybde : https://charybde2.wordpress.com/2020/05/03/note-de-lecture-rue-ordener-rue-labat-sarah-kofman/
Commenter  J’apprécie          60
"De lui, il me reste seulement le stylo".
Philosophe et essayiste, Sarah Kofman a publié près d'une trentaine de livres, pour la plupart aux Éditions Galilée, où elle dirigeait, avec Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy et Philippe Lacoue-Labarthe, une collection intitulée " La philosophie en effet ". Grande lectrice de Nietzsche, Freud et Platon, professeur à la Sorbonne, elle publia son premier livre, L'Enfance de l'art, chez Payot, en 1970. Sa réflexion philosophique est nourrie par la littérature (Don Juan ou le refus de la dette, 1991), par la psychanalyse (Quatre romans analytiques, 1974), également par des problèmes de société (L'Énigme de la femme, 1980 ; le Mépris des Juifs, 1994). Elle a publié, en 1994, quelques mois avant sa mort, un court récit autobiographique (Rue Ordener, rue Labat) qui éclaire les enjeux de son oeuvre philosophique.
Ce texte autobiographique évoque son enfance juive sous l'Occupation, la déportation de son père. Elle évoque aussi, avec beaucoup d'émotion, la déchirure que représente la séparation d'avec sa mère. Elle évoque aussi la douleur du détachement progressif; et son abandon de ses racines juives. Son besoin de protection qui se recentre sur sa mère
adoptive, le refuge que représente l'école et les livres. C'est ce conflit entre deux mères, l'une naturelle et l'autre d'adoption, qui marque son enfance et son adolescence. En filigrane, et sans qu'elle l'évoque jamais directement, elle parle de la déconstruction des fondements du soi. Elle se suicide peu après, le 15 octobre 1994, le jour du cent cinquantième anniversaire de naissance de Nietzsche.
La pensée et l'écriture sont ici intimement liées, l'une ne peut se faire sans l'autre.
Commenter  J’apprécie          30


autres livres classés : Enfants juifsVoir plus


Lecteurs (21) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3169 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}