l'envie était une forme de vol mental
Jack avait nettement l'impression que tout finissait toujours ainsi : ça se terminait chaque fois par un coin sombre. Sous-sols obscurs, allées mal éclairées, maisons abandonnées, chaufferies désertes, entrepôts désaffectés.
En d'autres circonstances, si la vie de son fils n'avait pas tenu qu'à un fil, à un cheveu, à un filament microscopique, Jack aurait éclaté de rire. Il eût quand même du mal à se retenir de s’asseoir dans la neige, sur une marche, pour se payer une bonne partie de rigolade. Décidément, l'humour et la mort étaient cousins. Impossible d'affronter l'une sans le soutien de l'autre. Tous les flics savaient ça. Et comme la vie était absurde, jusque dans ses fondements les plus essentiels, on trouvait toujours un truc rigolo, même quand c'était l'enfer tout autour. Atlas ne portait plus le globe terrestre sur ses épaules depuis longtemps, et aucun géant supercostaud n'endossait plus la responsabilité de la planète; l'équilibre du monde dépendait d'une pyramide de clowns, très affairés à souffler dans leur pipeau et à se bousculer les uns les autres. Mais même si la vie n'avait pas de sens, même si elle était à la fois catastrophique et hilarante, c'était une expérience unique. Et limitée dans le temps. Non seulement la vie était dure, mais en plus, à la fin, il fallait mourir. Toby risquait la mort tous les jours. Heather aussi. Tout le monde.
Le type ne lui avait même pas demandé pourquoi il trimballait un fusil à pompe avec lui, comme si tout le monde dans le Montana se déplaçait armé jusqu'aux dents. Bon sang, c'était peut-être le cas, après tout.
Ceux qui commettent de véritables actes de bravoure n'ont jamais cette impression. [...] Tous ceux qui vont travailler tous les matins, qui font des sacrifices pour subvenir aux besoins de leur famille, et qui vivent leur vie sans faire de mal aux autres, dans la mesure du possible, ce sont eux, les vrais héros, dit Jack. Des gens comme ça, il y en a plein. Et il leur arrive à tous, de temps en temps, d'avoir peur.
Dans une société qui donnait souvent l'impression de courir à l'anarchie, ou la laideur et la corruption gagnaient tous les jours du terrain, toutes les preuves de la capacité humaine à produire de belles choses apportaient un peu de réconfort à Jack. La Lexus, évidemment, était un produit d'importation, entièrement conçu et monté à l'étranger, mais comme l'humanité tout entière, et pas seulement ses compatriotes, semblait condamnée au même sort, tout ce qui témoignait en faveur de la conscience professionnelle et du talent lui réchauffait le cœur.
C'est quoi ?
-Ce que ça a envie d'être.
-Où est-ce ?
-Là où ça veut, répondit le garçon, énigmatique.
-Qu'est-ce que ça fait ici ?
-Ça devient.
-Qu'est-ce que c'est,vie ?
-Rien ne dure toujours.
-Tout dure.
-Rien.
-Tout devient.
-Moi. Tout devient moi.