Je n'avais jamais lu de textes de Krishnamurti et je dois reconnaitre que j'ai été impressionné lors de la lecture de "
Se libérer du connu" par la profondeur et la clarté de sa pensée. Il est difficile d'en faire un résumé, mais l'essence même de l'ouvrage propose que chacun entreprenne « la seule révolution qui vaille : sa libération intérieure ».
Pour cela, chacun doit donc se libérer de tout ce qu'il connait, de ses préjugés, de ses pensées mécaniques, de toutes les idées religieuses, philosophiques ou politiques qu'il a faites siennes, bref de tout le conditionnement culturel, religieux, idéologique dans lequel il s'est enfermé. Cette transformation de l'humain ne peut se faire qu'en s'affranchissant de toute autorité afin d'accéder à une liberté que ni les pouvoirs spirituels, politiques ou sociaux, ni les rituels, ni les dogmes, ni l'athéisme ne sont capables de produire, puisque, selon Krishnamurti, ces formes de pensée ne font que perpétuer les conditionnements. Mais comment se libérer de ce conditionnement ? Comment même se rendre compte que l'on est conditionné ? Krishnamurti nous propose de regarder à l'intérieur de nous, de nous observer tel que nous sommes réellement, et non tel que nous pensons être ou voulons être. En abordant les thèmes de la foi,
de la vérité, de la peur, du conditionnement, du plaisir, de la douleur, de l'amour, de la méditation, de la mort, il nous engage à élargir le champ de notre conscience pour nous rendre compte que nous sommes, à notre insu, prisonnier de tout un réseau de dogmes et de conventions.
« Nous avons réduit ce monde à un état de chaos par nos activités égocentriques, par nos préjugés, nos haines, nos nationalismes, et lorsque nous disons que nous n'y pouvons rien, nous acceptons le désordre en nous-mêmes comme étant inévitable. Nous avons brisé ce monde en morceaux et si nous-mêmes sommes brisés, fragmentés, nos rapports avec le monde le seront également. Mais si, dans nos actions, nous agissons totalement, nos rapports extérieurs subiront une formidable révolution. »
Ce que Krishnamurti dit, bien que très séduisant, semble pourtant inaccessible. Non pas parce qu'il nous demande de nous libérer des chaînes du connu et de chercher par nous-mêmes, mais parce que par le fait même de suggérer cela, il propose une pensée, un principe à suivre qui est contradictoire avec son idéal de nous libérer de toutes les idéologies. Je retiens néanmoins de cette lecture de nombreux temps forts comme l'étude des ressorts indissociables du plaisir et de la douleur, l'analyse des mécanismes de la peur, les préalables à la cessation de la violence individuelle, l'importance de l'ancrage dans l'ici et le maintenant pour dépasser le connu.
L'une de mes parties préférées de ce livre concerne les questions sur l'amour. « Qu'est-ce que l'amour ? Ce mot est si galvaudé et corrompu, que [Krishnamurti] ose à peine le prononcer. » Fidèle à sa méthode, il nous invite tout d'abord à faire table rase de nos représentations sur l'amour (amour et religion, amour et possession, amour et plaisir, amour et mort). Ensuite, il analyse ce qui peut lui nuire (la peur, la respectabilité, la jalousie, la domination) et les conditions de sa présence (le soin, la beauté, l'abandon de soi, la recherche de vérité). Il dit que l'amour est cet état dans lequel les processus de la pensée ont complètement cessé, un état hors du temps et de l'espace dans un total abandon de soi. « L'amour n'obéit pas. » C'est un oiseau rebelle comme l'a senti Bizet, « un enfant de bohème, il n'a jamais, jamais connu de loi. » Par contre, Krishnamurti reste selon moi trop discret ou trop vague quant aux rapports entre amour et sexualité. Il botte en touche (« Je ne suis pas contre les pratiques sexuelles, mais voyez ce qu'elles impliquent. ») conscient que la sexualité peut être un outil de destruction, mais ne s'étend guère sur le fait qu'elle peut également être un moyen d'élévation.
Je me rends compte en finissant d'écrire cette note de lecture que ma compréhension actuelle de Krishnamurti est d'ores et déjà une pensée morte et que j'aurai besoin de relire ce livre tôt ou tard, pour m'aider à remettre en question ma propre compréhension. C'est vertigineux comme est enivrant le fait que je suis mon propre maitre et qu'il n'existe personne pour me dire ce que je dois faire. « Chacun de nous est seul dans ce monde fou et brutal. »