À ses débuts, l’Anarchie se présenta comme une simple négation. Négation de l’État et de l’accumulation personnelle du Capital. Négation de toute espèce d’autorité. Négation encore des formes établies de la Société, basées sur l’injustice, l’égoïsme absurde et l’oppression, ainsi que de la morale courante, dérivée du Code romain, adopté et sanctifié par l’Église chrétienne. C’est sur une lutte, engagée contre l’autorité, née au sein même de l’Internationale, que le parti anarchiste se constitua comme parti révolutionnaire distinct.
Il est évident que des esprits aussi profonds que Godwin, Proudhon et Bakounine, ne pouvaient se borner à une simple négation. L’affirmation — la conception d’une société libre, sans autorité, marchant à la conquête du bien-être matériel, intellectuel et moral — suivait de près la négation ; elle en faisait la contre-partie. Dans les écrits de Bakounine, aussi bien que dans ceux de Proudhon, et aussi de Stirner, on trouve des aperçus profonds sur les fondements historiques de l’idée anti-autoritaire, la part qu’elle a joué dans l’histoire, et celle qu’elle est appelée à jouer dans le développement futur de l’humanité.
« Point d’État », ou « point d’autorité », malgré sa forme négative, avait un sens profond affirmatif dans leurs bouches. C’était un principe philosophique et pratique en même temps, qui signifiait que tout l’ensemble de la vie des sociétés, tout, — depuis les rapports quotidiens entre individus jusqu’aux grands rapports des races par-dessus les Océans, — pouvait et devait être réformé, et serait nécessairement réformé, tôt ou tard, selon les grands principes de l’anarchie — la liberté pleine et entière de l’individu, les groupements naturels et temporaires, la solidarité, passée à l’état d’habitude sociale.
Voilà pourquoi l’idée anarchiste apparut du coup grande, rayonnante, capable d’entraîner et d’enflammer les meilleurs esprits de l’époque.
Disons le mot, elle était philosophique.
C’est que contre tous ces partis, les anarchistes sont les seuls à défendre en son entier le principe de la liberté. Tous les autres se targuent de rendre l’humanité heureuse en changeant, ou en adoucissant la forme du fouet. S’ils crient « à bas la corde de chanvre du gibet », c’est pour la remplacer par le cordon de soie, appliqué sur le dos. Sans fouet, sans coercition, d’une sorte ou d’une autre, sans le fouet du salaire ou de la faim, sans celui du juge ou du gendarme, sans celui de la punition sous une forme ou sous une autre, ils ne peuvent concevoir la société.
Pourtant, pour résumer, les principaux points communs entre Bakounine et Kropotkine, c’est l’amour de la liberté, l’importance de la révolte, la haine de l’Etat centralisateur et de la brutalité que l’autorité non contrôlée finit toujours par exercer sur ceux qui ont eu l’imprudence de lui confier les clés du pouvoir.
Les Editions de Londres pensent que Kropotkine, dans son effort de construction systématique, trahit certains principes de l’esprit anarchiste, et que ceci n’échappe pas à l’Union Soviétique stalinienne qui voit dans l’anarcho-communisme une belle opportunité de récupérer les débris de la mouvance anarchiste.