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Citations sur L'Art du roman (86)

Il y a un proverbe juif admirable : "L'homme pense, Dieu rit". Inspiré par cette sentence, j'aime imaginer que François Rabelais a entendu un jour le rire de Dieu et ce que c'est ainsi que l'idée du premier grand roman européen est née. Il me plaît de penser que l'art du roman est venu au monde comme l'écho du rire de Dieu.
Mais pourquoi Dieu rit-il en regardant l'homme qui pense ? Parce que l'homme pense et la vérité lui échappe. Parce que plus les hommes pensent, plus la pensée de l'un s'éloigne de la pensée de l'autre. C'est à l'aube des Temps modernes que cette situation fondamentale de l'homme, sorti du Moyen Âge, se révèle : don Quichotte pense, Sancho pense, et non seulement la vérité du monde mais la vérité de leur propre moi se dérobent à eux. Les premiers romanciers européens ont vu et saisi cette nouvelle situation de l'homme et ont fondé sur elle l'art nouveau, l'art du roman.
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On demande à Karel Capek pourquoi il n'écrit pas de poésie. Sa réponse : "Parce que je déteste parler de moi-même." Le trait distinctif du vrai romancier : il n'aime pas parler de lui-même. "Je déteste mettre le nez dans la précieuse vie des grands écrivains et jamais aucun biographe ne soulèvera le voile de ma vie privée", dit Nabokov. Italo Calvino avertit : à personne il ne dira un seul mot sur sa propre vie. Et Faulkner désire "être en tant qu'homme annulé, supprimé de l'histoire, ne laissant sur elle aucune trace, rien d'autre que les livres imprimés". (Soulignons : LIVRES et IMPRIMES, donc pas de manuscrits inachevés, pas de lettres, pas de journaux.)
D'après une métaphore célèbre, le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les briques, construire une autre maison : celle de son roman. D'où il résulte que les biographes d'un romancier défont ce que le romancier a fait, refont ce qu'il a défait. Leur travail, purement négatif de point de vue de l'art, ne peut éclairer ni la valeur ni le sens d'un roman. Au moment où Kafka attire plus l'attention que Joseph K., le processus de la mort posthume de Kafka est amorcé.
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Je n'utilise jamais le mot Tchécoslovaquie dans mes romans, bien que l'action y soit généralement située. Ce mot composé est trop jeune (né en 1918), sans racines dans le temps, sans beauté, et il trahit le caractère composé et trop jeune (inéprouvé par le temps) de la chose dénommée. Si on peut, à la rigueur, fonder un Etat sur un mot si peu solide, on ne peut pas fonder sur lui un roman. C'est pourquoi, pour désigner le pays de mes personnages, j'emploie toujours le vieux mot de Bohême. Du point de vue de la géographie politique, ce n'est pas exact (mes traducteurs se rebiffent souvent), mais du point de vue de la poésie, c'est la seule dénomination possible.
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L'esprit du roman est l'esprit de complexité.
Chaque roman dit au lecteur : "Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses." C'est la vérité éternelle du roman mais qui se fait de moins en moins entendre dans le vacarme des réponses simples et rapides qui précédent la question et l'excluent. Pour l'esprit de notre temps, c'est ou bien Anna ou bien Karénine qui a raison, et la vielle sagesse de Cervantes qui nous parle de la difficulté de savoir et de l'insaisissable vérité paraît encombrante et inutile.
L'esprit du roman est l'esprit de continuité : chaque oeuvre est la réponse aux oeuvres précédentes, chaque oeuvre contient toute l'expérience antérieure du roman. Mais l'esprit de notre temps est fixé sur l'actualité qui est si expansive, si ample qu'elle repousse le passé de notre horizon et réduit le temps à la seule seconde présente. Inclus dans ce système, le roman n'est plus OEUVRE (chose destinée à durer, à joindre le passé et l'avenir) mais événement d'actualité comme d'autres événements, un geste sans lendemain.
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Situer un roman dans ce monde de l'obéissance, du mécanique et de l'abstrait, où la seule aventure humaine est d'aller d'un bureau à l'autre, voilà qui paraît contraire à l'essence même de la poésie épique. D'où la question : Comment Kafka a-t-il réussi à transformer cette grisatre matière antipoétique en des romans fascinants ?
On peut trouver la réponse dans une lettre qu'il a écrite à Milena : "Le bureau n'est pas une institution stupide ; il relèverait plutôt du fantastique que du stupide." La phrase recèle un des plus grands secrets de Kafka. Il a su voir ce que personne n'a vu : non seulement l'importance capitale du phénomène bureaucratique pour l'homme, pour sa condition et pour son avenir, mais aussi (ce qui est encore plus surprenant) la virtualité poétique contenue dans le caractère fantomatique des bureaux.
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Le roman (comme toute la culture) se trouve de plus en plus dans les mains des médias; ceux-ci, étant agents de l'unification de l'histoire planétaire, amplifient et canalisent le processus de réduction; ils distribuent dans le monde entier les mêmes simplifications et clichés susceptibles d'être acceptés par le plus grand nombre, par tous, par l'humanité entière.
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P17 : « Comprendre avec Descartes l’ego pensant comme le fondement de tout, être ainsi seul en face de l’univers, c’est une attitude que Hegel, à juste titre, jugea héroïque.
Comprendre avec Cervantès le monde comme ambiguïté, avoir à affronter, au lieu d’une seule vérité absolue, un tas de vérité qui se contredisent (vérités incorporées dans des ego imaginaires appelés personnages) posséder donc comme seule certitude la sagesse de l’incertitude, cela exige une force non moins grande. »
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A propos de Tolstoï : "... il écoutait une autre voix que celle de sa conviction morale personnelle. Il écoutait ce que j'aimerais appeler la sagesse du roman. Tous les vrais romanciers sont à l'écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs oeuvres devraient changer de métier."
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« REPETITION. Nabokov signale qu'au commencement d'Anna Karénine, dans le texte russe, le mot 'maison' revient huit fois en six phrases et que cette répétition est un artifice délibéré de la part de l'auteur. Pourtant, dans la traduction française, le mot 'maison' n'apparaît qu'une fois, dans la traduction tchèque pas plus de deux fois. Dans le même livre : partout où Tolstoï écrit 'skazal' (dit), je trouve dans la traduction proféra, rétorqua, reprit, cria, avait conclu, etc. Les traducteurs sont fous des synonymes. (Je récuse la notion même de synonyme : chaque mot a son sens propre et il est sémantiquement irremplaçable). Pascal : 'Quand dans un discours se trouvent des mots répétés et qu'essayant de les corriger on les trouve si propres qu'on gâterait le discours, il faut les laisser, c'en est la marque.' La richesse du vocabulaire n'est pas une valeur en soi : chez Hemingway c'est la limitation du vocabulaire, la répétition des mêmes mots dans le même paragraphe qui font la mélodie et la beauté de son style. Le raffinement ludique de la répétition dans le premier paragraphe d'une des plus belles proses françaises : 'J'aimais éperdument la Comtesse de… ; j'avais vingt ans et j'étais ingénu ; elle me trompa, je me fâchai, elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna : et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le plus aimé, partant le plus heureux des hommes…' (Vivant Denon : Point de lendemain.) (Voir : LITANIE.) »

(Folio, p.169)
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la seule raison d'être du roman est de dire ce que seul le roman peut dire.

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