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La Fontaine conteur ? Qu'est-ce que vous me chantez là, c'est une fable!
- Non, non, je vous assure,
La Fontaine est fabuliste ET conteur.
- A d'autres. Les contes, au XVIIème siècle, c'est "Le Petit chaperon rouge" ou "La Belle et la Bête", les conteurs ce sont Perrault et Mme le prince de Beaumont, ou Mme d'Aunoy, mais
La Fontaine, allons donc !
- Je vois mon ami que vous êtes loin du compte. Laissez-moi vous dire (ne m'en veuillez pas), qu'en matière de conteur, vous êtes un bleu. Pour reprendre les choses depuis le début, il faut savoir que le conte, avant d'être un genre littéraire, est d'abord un objet littéraire comme la nouvelle ou le roman. Vous comprenez, conte, nouvelle, roman, c'est une question de format, en somme. Ensuite, il y a le sujet évoqué : les auteurs que vous me citez, comme deux siècles plus tard les frères Grimm et Andersen, et comme au XXème siècle
Marcel Aymé ou
Pierre Gripari, ont écrit, plus ou moins à destination d'un jeune public, des histoires où domine le merveilleux. C'est aussi le cas avec les contes orientaux comme ceux des Mille et une nuits. Mais c'est loin d'être le cas de tous les contes : certains sont carrément fantastiques, voire horrifiques, certains sont du domaine de la science-fiction, les contes populaires qui viennent du fin fond de nos campagnes touchent un peu à tous les genres...
- Oui mais
La Fontaine dans tout ça ?
- J'y viens.
La Fontaine écrit des
contes libertins.
- Libertins, vous voulez dire... cochons ?
- Je n'irai pas jusque là, je dirais plutôt coquins, grivois, lestes...
- Erotiques, quoi.
- Oui, si l'on veut, mais avec beaucoup d'esprit. Voyez-vous, la cour de Louis XIV est très prude, très pudibonde ( et ça s'aggravera avec Mme de Maintenon), tout l'art
De La Fontaine est d'évoquer la sexualité (puisqu'il faut l'appeler par son nom) avec suffisamment de précautions pour ne pas choquer, et de sous-entendus pour faire sourire les... euh... initiés...
- Je n'aurais pas cru que
La Fontaine fût... comme ça.
- Attention,
La Fontaine était un bon vivant, mais il ne fait que reprendre une vieille tradition... gauloise, dirons-nous, qui remonte à
Rabelais. Il s'est inspiré à la fois du Décaméron de Boccace et des conteurs français du XVIème siècle comme Bonaventure des Périers. Tout son génie a été de traduire cette gaillardise de façon subtile, il ne dit pas, il évoque, il ne décrit pas, il suggère, et tout en parlant à demi-mot, il fait naître la connivence, et donc le sourire.
- Mais, on peut encore lire ce genre de choses à notre époque ?
- Certes oui, je dirais même, il faut le lire : la liberté de ton
De La Fontaine reste très posée, très loin de la vulgarité qui préside à ce genre de choses de nos jours. Et la place des femmes n'est pas plus mise à mal que dans les autres productions de l'époque, souvent même, elles ont le dernier mot !
- Et donc...
- Donc, si vous m'en croyez, dans ces histoires-là, ne vous en laissez pas conter... Ou alors que ce soit par
La Fontaine !