Citations sur Éloge de la fuite (312)
Aimer l’autre, cela devrait vouloir dire que l’on admet qu’il puisse penser, sentir, agir de façon non conforme à nos désirs, à notre propre gratification, accepter qu’il vive conformément à son système de gratification personnel et non conformément au nôtre. Mais l’apprentissage culturel au cours des millénaires a tellement lié le sentiment amoureux à celui de possession, d’appropriation, de dépendance par rapport à l’image que nous nous faisons de l’autre, que celui qui se comporterait ainsi par rapport à l’autre serait en effet qualifié d’indifférent.
Se révolter, c’est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l’intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la suppression du révolté par la généralité anormale qui se croit détentrice de la normalité. Il ne reste plus que la fuite.
Prendre systématiquement le parti du plus faible est une règle qui permet pratiquement de ne jamais rien regretter.
"De quoi est faite la vie quotidienne de l'homme contemporain dans la société industrielle ?
Du fait du progrès technique, dont nous connaissons maintenant la motivation, il est rare qu'il meure de faim. La structure sociale à laquelle il appartient lui permet d'assouvir généralement, souvent il est vrai au minimum, ses besoins fondamentaux.
Si le déterminisme auquel il s'est trouvé soumis par sa niche environnementale depuis sa naissance ne lui a pas permis d'atteindre un niveau honnête d'abstraction dans son activité professionnelle, il parviendra à maintenir sa structure au prix d'un dur travail énergétique au sein du processus de production.
Dans les pays capitalistes, il dépendra presque entièrement pour cela des détenteurs des moyens de production et d'échanges qui décideront de son salaire, des gestes qu'il doit effectuer, de son taux de productivité, et lui fourniront le minimum nécessaire à l'entretien de sa force de travail."
Le bien-être est acceptable, la joie est noble, le plaisir est suspect.
Être heureux, c'est à la fois être capable de désirer, capable d'éprouver du plaisir à la satisfaction du désir et du bien-être lorsqu'il est satisfait, en attendant le retour du désir pour recommencer.
Même en écarquillant les yeux, l’Homme ne voit rien. […] Dès sa naissance, la mort lui passe les menottes aux poignets. C’est parce qu’il le sait, tout en faisant l’impossible pour ne pas y penser, qu’il est habituel de considérer que lorsque des primates ont enterré leurs morts en mettant autour d’eux leurs objets familiers pour calmer leur angoisse, dès ce moment, ces primates méritent d’être appelés des Hommes.
Il est plus facile de dire que l'on aime l'espèce humaine,l'homme avec un grand H, que d'aimer, et non pas simplement avoir l'air d'aimer, son voisin de palier.
(p.32)
Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique, nous sommes programmés depuis l'œuf fécondé pour cette seule fin, et toute structure vivante n'a pas d'autre raison d'être, que d'être.
Dans notre organisme, certaines cellules chaque jour naissent, vivent et meurent sans que notre organisme, lui, cesse pour cela de vivre. Chaque jour, dans l'espèce humaine des individus naissent, vivent et meurent sans que l'espèce interrompe pour autant sa destinée. Chaque cellule durant sa courte vie remplit la fonction qui lui est dévolue en s'intégrant dans la finalité de l'ensemble. Chaque individu fait de même au sein de l'espèce. Nous ne nous attristons pas sur le sort réservé à ces cellules passagères. Pourquoi devrions-nous nous attrister sur celui des individus qui ont contribué à l'évolution déjà longue de l'espèce humaine ?