J'en reviens
encore à cette histoire qu'on considère
Jacques Lacan comme un entubeur –parce que cette question m'a turlupinée un moment à ouvrir ses livres une première fois à sec, sans rien comprendre. Mais
Lacan se lit avec du lubrifiant, voyez-vous, il faut bien s'humidifier les réseaux neuronaux de ses concepts avant de lire plus loin ses réflexions. Vous n'aviez jamais réussi à vous plonger dans Bambi avant d'avoir lu un Musso, pas vrai ? C'est que chaque chose doit être faite en son temps.
Impossible de penser
encore que
Lacan nous prend par-derrière lorsqu'on lit ce compte-rendu de séminaire. Déjà, il s'est fait virer de l'université, ce qui est un bon point pour lui. Ensuite, il engueule les connards qui viennent l'écouter sans avoir relu les textes nécessaires à la bonne compréhension de ses explications. Déjà que la vérité est imbaisable, comment essayer de lui mettre un doigt si on ne fait aucun effort pour sortir de sa condition d'imbécillité ?
Il est beaucoup plus facile, à la limite, de s'extasier sur le « Ceci n'est pas une pipe » de Magritte. Au collège, j'avais même une prof de français qui faisait du prosélytisme auprès de la caillera inculte en nous donnant à étudier des tableaux avec une petite phrase écrite en-dessous plutôt que de nous forcer à nous cramer les neurones sur Racine ou
Corneille (pour des gamins de douze ans, ça peut être difficile). Tout le monde trouvait ça génial, le Magritte, mais quand c'est Jacques qui dit : « Nous ne pouvons omettre que c'est un fait de langage que de dire Ça. Ce que je viens de désigner comme Ça, ce n'est pas mon cigare. Ça l'est quand je le fume, mais quand je le fume, je n'en parle pas», tout le monde fait genre de trouver ça difficile. En fait, c'est « ne pas comprendre » qui est normal, ça veut dire que ça chemine dans la tête de ceux qui en ont une. On a fait semblant de ne pas remarquer que
Lacan est trop clair pour être compris et que tout le langage philosophique né de l'oubli de la chose fondamentale constitue la plus grosse niquerie des siècles : « le baratin philosophique qui n'est pas rien –le baratin, ça baratte, il n'y a pas de mal- a longtemps servi à quelque chose, mais depuis un temps il nous fatigue. Il a abouti à produire l'être-là, qu'on traduit quelquefois en français, plus modestement, par la présence, que l'on y ajoute ou non vivante, enfin bref, ce qui pour les savants s'appelle le Dasein ». On continue, parce que ça fait du bien de rappeler à ceux qui s'imaginent savoir, d'où ils viennent : « Bien sûr, vous avez des pensées, vous avez même, certains d'entre vous, un peu arriérés, des connaissances. Alors, vous vous imaginez que vous vous représentez des mots. C'est à se tordre. »
De là au cul, il n'y a qu'une évidence qui se formule ainsi : « le langage, dans sa fonction d'existant, ne connote en dernière analyse que l'impossibilité de symboliser le rapport sexuel chez les êtres qui l'habitent […] ». C'est peut-être pour ça que dans le sexe, ce qu'il y a de plus excitant c'est
encore d'inviter le mystérieux pour aller boire un verre dans la nuit jusqu'au lever du jour : « C'est toujours le même rendez-vous, quand les masques tombent, ce n'était ni lui ni elle ».
Comme je lisais Vincent de la Soudière au même moment, j'aurais pu relever ces quelques aphorismes pour marteler un peu les mots du brave Jacques : 1) « La Grande Rencontre n'a pas eu lieu –n'aura sans doute jamais lieu. Je vis du poids de son attente ». Pourquoi : 2) « Nous nous sommes refusés nos mystères réciproques ». Et puis plus loin c'est écrit : 3) « le sexe ? Vous voulez rire ! Je suis tellement au-dessous de cela ! » le 3) découle du 2) qui est lié à l'impossibilité du 1). CQFD. C'est plus ou moins tout ce que Jacques a voulu faire comprendre là-dedans, modulo cette assertion : « Quelque chose auquel on ne comprend rien, c'est tout l'espoir, c'est le signe qu'on en est affecté. Heureusement qu'on n'a rien compris, parce qu'on ne peut jamais comprendre que ce qu'on a déjà dans la tête».
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