Missy Douglas travaille comme bonne chez les Kincaid. Elle s'occupe avec amour de Nathan, leur bébé. Un grand barbecue est prévu sur la plage pour fêter le 4 juillet et le coeur de Missy bat plus fort à l'espoir de revoir Henry Roberts, qu'elle aime en secret depuis son enfance. Henry est parti faire la guerre en France et il n'a plus donné de nouvelles depuis dix-huit ans.
Hélas, cette journée, qui devait être une fête, est marquée par des drames. On retrouve le corps de Hilda, vivante, mais défigurée. le coupable est désigné d'office ! Et pourtant, que représente ce petit orage à côté de la catastrophe planétaire qui les menace ?
Pour écrire son roman,
Vanessa Lafaye s'est servie d'éléments qu'elle a puisés dans la vie réelle et mélangés avec des personnages et des lieux sortis tout droit de son imagination. Elle a voulu mettre en scène trois aspects particulièrement dramatiques de la Floride. D'abord, la cruelle ségrégation raciale dont étaient victimes les Noirs dans les années 30. Elle explique, dans une postface, avoir découvert, « dans le "St Petersburg Times", l'horrible histoire du lynchage de Claude Neal en 1934, à Greenwwood, crime pour lequel personne n'a jamais été poursuivi. »
Elle a donc campé, dans son livre, des personnages tels que Ronald LeJeune, qui n'ont aucun souci de vérité ni de justice. Pour eux, dès qu'un événement désagréable se produit, c'est un Noir qui en est responsable. On ne s'embarrasse pas des formes et on va immédiatement chercher à le tuer, qu'il ait ou non quelque chose à voir avec l'affaire.
Un terrible ouragan a bien dévasté la Floride, mais le village de Heron Key, qui est, ici, au centre de la catastrophe, a été créé par l'auteur.
Son attention avait été attirée par les mauvaises conditions dans lesquelles on faisait vivre les vétérans de la Première Guerre mondiale et « comment, lors du passage d'un ouragan majeur, on les avait laissés mourir par un mélange d'apathie et d'incompétence », alors que, à part un article rédigé par
Hemingway, qui avait fait partie des gens venus aider au nettoyage, et « une note en bas de page dans les livres d'Histoire », nul ne semble se soucier de ces personnes.
Vanessa Lafaye a donc aussi voulu honorer leur mémoire.
L'histoire se déroule en quelques jours à Heron Key, un village de Floride en bord de mer. L'action se situe en 1935 et, dès le départ, le suspense est lancé par un événement hallucinant et terrifiant : l'enlèvement du petit Nathan dans son couffin par un alligator qui veut l'entraîner dans la mangrove pour le noyer et le dévorer.
Par quelques habiles rétrospectives, l'auteur nous donne des détails sur la vie de ses personnages.
Missy Douglas a vécu, dans son enfance, une tragédie vraiment traumatisante. Pour échapper à ses cauchemars, Missy se réfugie dans la lecture de « l'Encyclopaedia Britannica », grâce à laquelle elle va acquérir une solide culture qui lui fait concevoir le rêve d'une école où elle pourrait instruire des enfants noirs.
Henry Roberts est parti faire la guerre en France, en 1917. Il a vécu tellement d'horreurs lors de cette boucherie, qu'il lui faudra dix-huit ans pour revenir à Heron Key, où Missy l'attend. Elle était une petite fille à son départ et il n'avait pas pris conscience de l'attachement qu'elle éprouvait pour lui. Il est entouré d'un groupe de bras cassés, comme lui, dont il se sent responsable, puisqu'il était leur officier, et auxquels il tente de conserver leur fierté de soldats.
Hilda était une fille gâtée de bonne famille. Très jolie, elle avait remporté des concours de beauté. Pourquoi s'était-elle entichée de Nelson Kincaid, un séducteur au petit pied, qui paradait dans sa belle voiture et gagnait sa vie en jouant au gigolo ? Hilda l'avait attiré un moment, mais bien vite, il s'était lassé et avait voulu la quitter. Prête à tout pour le garder, Hilda avait imaginé un piège dans lequel elle l'avait entraîné. A présent, amère, bouffie, enlaidie par les kilos accumulés pendant sa grossesse, Hilda est délaissée par cet époux volage. Les mauvaises langues du club de tennis ne se privent pas de lancer ragots et moqueries. La malheureuse trouve refuge dans l'alcool.
Autour d'eux gravite une foule de personnages, dont certains sont particulièrement insolites : Zeke passe son temps à insulter les vagues, un perroquet sur l'épaule. Selma a hérité des pouvoirs magiques de sa mère, et veut les utiliser pour rapprocher Henry et Missy. Doc Williams était un médecin militaire qui vit seul depuis que sa femme l'a quitté en emmenant leur fille. Noreen, la frêle épouse du shérif adjoint a donné naissance à un bébé métis, mais, en dépit des coups, refuse de révéler le nom du père. Dwayne fait des efforts pour mener à bien son enquête, malgré les contretemps et ne baisse pas les bras, même en plein coeur de l'ouragan.
Jamais l'auteur ne mentionne qui, parmi eux, est noir ou blanc. Au lecteur de se faire son opinion.
Plusieurs événements intenses ponctuent le récit : une bagarre éclate lors du barbecue, Hilda est retrouvée quasi-morte, Henry est arrêté. Tous nous maintiennent en haleine avant que nous ne soyons entraînés, au sens propre, dans le tourbillon du cyclone. L'auteur lui a donné vie avec brio. Ici et là, quelques petites zones de calme nous permettent de souffler avant de nous embarquer de plus belle dans la furie des éléments. On se sent emporté dans la lecture comme des personnages qui sont enlevés dans les airs tels des fétus de paille.
J'avais été terriblement frappée par la scène d'ouverture du film « Hereafter » de
Clint Eastwood. A mon avis,
Vanessa Lafaye réussit parfaitement à rendre en mots les sensations que procurent les images.
A certains moments, des passages en italiques nous projettent dans les rêves que fait Hilda pendant son coma. Parfois, à la fin de la tirade d'un des protagonistes, quelques phrases en italiques nous permettent de pénétrer dans ses pensées. de temps à autre, quelqu'un cite ou lit un passage de la Bible. Missy chante pour calmer Nathan.
J'ai donc beaucoup aimé ce roman que j'ai trouvé passionnant et qui nous fait parcourir toute la gamme des sentiments.
Heureusement, il y a un épilogue, où l'on retrouve, deux ans après le drame, quelques personnages qui ont survécu, et, malgré des blessures, parfois terribles, réussissent à trouver une certaine paix et un peu de bonheur. Je ne suis donc pas du tout d'accord avec certains lecteurs qui stigmatisent cette forme de « happy end ». Sans lui, pour moi, l'histoire aurait été trop décourageante.
Il me reste à remercier les éditions Belfond ainsi que l'opération Masse critique. Je ne m'inscris jamais sans me renseigner d'abord sur l'ouvrage proposé et ne choisis que des livres susceptibles de correspondre à mes goûts littéraires. Un fois encore, j'ai été contente de ma lecture, qui ne m'a pas du tout déçue.