Il arrive toujours ce moment
où l'on ne se reconnaît plus
dans le miroir
à force de vivre sans reflet.
Aujourd'hui à cinquante-six ans, je réponds non à tout. Il m'a fallu plus d'un demi-siècle pour retrouver cette force de caractère que j'avais au début. La force du non. Faut s'entêter. Se tenir debout derrière son refus. Presque rien qui mérite un oui. Trois ou quatre choses au cours d'une vie. Sinon il faut répondre non sans aucune hésitation.
Le poète m’aide à faire le lien entre cette douleur qui me déchire et le subtil sourire de mon père
Ces jeunes garçons qui dansaient nus
sous la pluie, me dis-je
en rentrant à l'hôtel,
ne voulaient aucun adulte dans leur jeu.
L'adolescence est un club exclusif.
Ici on vit d’injustice et d’eau fraîche.
Quand je vois cet adolescent assis tout seul
sur une branche de manguier en train
de gratter une vieille guitare déglinguée
je me dis que les musiciens amateurs
ont remplacé les oiseaux.
Ce qui manque à ce garçon
c'est une paire d'ailes transparentes.
Elle me raconte cette histoire :
une de ses amies qui avait passé sa vie au Togo
et à qui elle a demandé conseil avant de quitter Belfast
lui a fait comprendre qu'on est pas forcément
du pays où l'on est né.
Il y a des graines que le vent aime semer ailleurs.
Ma mère ne se baigne pas
dans le fleuve de l'Histoire.
Mais toutes les histoires individuelles
sont comme des rivières qui la traversent.
Elle conserve dans les replis de son corps
les cristaux de douleur de tous ces gens
que je croise dans les rues depuis mon arrivée.
[...] Gary Victor sort chaque fois de son chapeau un roman plein de diables, de voleurs, de zombies, d'esprits moqueurs et de bandes carnavalesques aux couleurs riantes d'un tableau naïf. Mais si chargé d'obsessions qu'à la fin ça devient aussi noir qu'un cauchemar d'adolescent. J'ai discuté un moment avec lui de ce que pourrait être le sujet du grand roman haïtien. On a d'abord passé en revue les obsessions des autres peuples. Pour les Nord-Américains, on a pensé que c'était l'espace (le Far West, la conquête de la Lune, la route 66). Pour les Sud-Américais, c'est le temps (Cent Ans de solitude). Pour les Européens, c'est la guerre (deux guerres mondiales en un siècle, ça marque un esprit). Pour nous, c'est la faim. Le problème, m'a dit Victor, c'est qu'il est difficile d'en parler si on ne l'a pas connue. Et ceux qui l'ont vu de près ne sont pas forcément des écrivains. On ne parle pas d'avoir faim parce qu'on n'a pas mangé depuis un moment. On parle de quelqu'un qui de tout temps n'a jamais mangé à sa faim, ou juste assez pour survivre et en être obsédé.
Il n'y a que dans une banque, une église ou dans une bibliothèque qu'on trouve cette qualité de silence. Les hommes ne se taisent que devant l'Argent, Dieu et le Savoir - la grande roue qui les écrase.