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EAN : 9782848050904
160 pages
Sabine Wespieser (07/10/2010)
3.85/5   27 notes
Résumé :
Failles. Le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 minutes, dans un crépuscule qui cherchait déjà ses couleurs de fin et de commencement, Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu'ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s'écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang. Livrée, déshabillée, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (8) Voir plus Ajouter une critique
Le 12 janvier 2010, à 16h53 minutes, la terre s'ouvre en Haïti, "Port au Prince [est] chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu'ils se repaissent de chair et de sang". Yanick Lahens qui entamait l'écriture d'une fiction, le roman d'amour de Nathalie et Guillaume, voit son projet contrecarré par l'horreur des événements. Pour l'écrivain, il devient alors urgent de témoigner, de raconter, de dire, d'alerter, mais sans exotiser davantage, sans en "rajouter" par rapport à ce que montre les medias, sans tomber dans le voyeurisme macabre et comptable, tout en disant la vérité : "Comment ne pas laisser au malheur une double victoire, celle qui nous broie corps et âme (...) Comment éviter l'enfermement du dedans en ne nous en tenant pas à une simple comptabilité macabre ?(...) Comment éviter l'enfermement de ceux qui nous verrouillent du dehors en attendant de nous que cette comptabilité macabre ? Comment ramener les mots à cet espace paradoxal du jeu, où ils disent et ne disent pas ? Comment donner à la littérature sa part et sa belle part ? (...) Pas un seul jour sans que je n'aie été hantée par ces questions".

Yanick Lahens s'efforce, dans ce récit, de témoigner de ce qu'elle voit, et ce qu'elle voit l'amène à raconter la situation et l'histoire complexe d'Haïti, à montrer ses failles historiques, sociologiques et politiques : "Le 12 janvier 2010 a mis en évidence une catastrophe lancinante tout aussi dévastatrice que le tremblement de terre, notre bilan d'Etat-nation. Mais ce bilan est aussi celui des relations entre les pays du Nord et ceux du Sud." Elle prend appui sur les études d'anthropologues, de sociologues et d'historien pour démontrer que les failles profondes de la société haïtienne remontent à une scission de la nation dans les premières années de l'indépendance, "en deux parties, avec comme point de clivage, la position par rapport au type de développement à adopter" et de l'appropriation de l'outil de production, "qui avait fait de ce territoire la plus riche colonie du monde". En Haïti, Yanick Lahens explique qu'il y a ceux qui ont, les Créoles (mulâtres ou Noirs descendant d'esclaves affranchis ou de Noirs ayant acquis fortune et/ou éducation à l'occidentale au cours des ans) , et ceux qui n'ont pas, les Bossales ("Africains" exclus du partage d'une partie de l'outil de production et désirant le rester). Pour l'écrivain, cette faille est la plus grande ("Je ne connais pas de faille historique et sociale plus grande que celle-là en Haïti. C'est elle qui fabrique l'exclusion depuis plus de deux siècles. Elle nous traverse tous, Bossales comme Créoles. Elle structure notre manière d'être au monde. Elle façonne notre imaginaire, ordonne nos fantasmes de couleur de peau, de classe. Bloque notre société en deux modèles indépassables : maîtres et exclaves").

Yanick Lahens parle de son pays avec un amour immense mais sans concession. Elle reconnaît le travail d'une partie des ONG tout en gardant ses distances car les malheurs des uns peut vite devenir le business des autres (depuis le tremblement de terre, Haïti est devenu "le pays à plus forte concentration d'ONG par habitant", ce qui a fait flamber les prix). Et pourtant, ce n'est pas ce qui sauvera Haïti, d'autant plus que l'aide ne va pas forcément aux nécessiteux, au regard du haut degré de corruption du pays. Haïti a besoin d'aide, elle ne le nie pas pas, mais il faut que Haïti fasse son sevrage de l'aide internationale pour retrouver sa dignité : "Nous somme devenus à la longue des camés, dépendants d'une cocaïne, d'un crack qui s'appelle l'aide internationale. La reconstruction, la vraie, supposerait un accompagnement de qualité venu d'ailleurs (car nous avons besoin d'aide) mais précisément par une cure de désintoxication qui passerait par les affres du sevrage avant le long chemin vers la dignité."

J'ai trouvé ce récit à la fois instructif et extrêmement bien écrit. J'ai appris beaucoup sur l'histoire de l'île. Un livre qui permet de voir largement au-delà du "vernis" médiatique, sans pour autant tomber dans le voyeurisme, grâce à la grande pudeur de l'auteur. Un tour de force qui n'est pas donné à tout le monde.
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Ce récit analyse de manière juste et sans aigreurs inutiles, les "failles" de la société haïtienne, et pas seulement celles révélées par la catastrophe du 12 janvier 2010. Plus qu'un appel à l'aide ( "de toute façon, à la longue, l'aide pervertit ceux qui donnent et ceux qui reçoivent"), c'est un appel à laisser Haïti à se prendre en mains elle-même, à acquérir une véritable indépendance par rapport aux grandes puissances. Un texte magnifique, qui sonne toujours juste et se tourne délibérément vers l'espérance.
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Témoigner, oui, mais comment se demande avec justesse l'écrivain ? Témoigner sans donner force au malheur, sans misérabilisme, sans ressasser des clichés. Pourquoi le sort s'acharne-t-il continuellement sur cette île si malmenée depuis deux siècles. Yanick Lahens explore toutes les failles de la société haïtienne, l'exclusion, la scission entre "ceux qui ont" et "ceux qui n'ont pas", scission dont l'origine remonte à l'indépendance. Elle observe, impuissante au glissement de la société moyenne vers la précarité, glissement accéléré par le séisme, elle pointe la corruption des politiques, la mauvaise gestion et l'incompréhension des ONG face à la situation haïtienne qui rendent parfois la situation encore plus inextricable, la trop grande dépendance du pays à l'assistance, la désorganisation, l'ingérence des pays riches, totalement inadaptée. Reste l'espoir qu'un jour Haïti sortira la tête de l'eau.
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L'auteure rend compte de la faille sismique du 12-01-2010 et évoque les autres failles économiques et politiques qui gangrènent l'île. A l'origine peut-être l'opposition ancestrale, culturelle, entre Bossales et Créoles " ceux qui n'ont pas et ceux qui ont. le Créole est mulâtre [...] le Bossale est noir. Je ne connais pas de faille historique et sociale plus grande que celle-ci en Haïti."
Le récit plein d'empathie mais sans excès montre aussi les inconséquences de l'aide internationale et l'auteure s'interroge sur le rôle de l'écrivain devant une telle catastrophe. A lire pour ne pas oublier...
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Yanick Lahens a vécu le tremblement de terre du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince. Elle aurait préféré écrire un roman d'amour plutôt qu'un récit de cette catastrophe.
Usant d'une langue superbe, elle mêle son témoignage personnel avec l'analyse politique du malheur en Haïti et des dérives de l'aide internationale. le couple qui devait être le moteur de son roman parviendra-t-il à se construire à l'image du peuple Haïtien qui doit recommencer à vivre en dépit de la pauvreté, des ravages du séisme et de la carence du gouvernement.
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
Lire, c'est ouvrir les portes du silence, y pénétrer à pas feutrés, le coeur battant, et miser gros sur l'inconnu. Ce qu'on apprend dans les livres de Christian Bobin, c'est la grammaire du silence. Et cette langue n'a point de fin. Et elle me console. Souvent.
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Oui. Failles, un mot comme jamais entendu avant le 12 janvier 2010. Affaissée, pliée sous le poids des images, la pensée par instants m'a semblé s'enfoncer, ne plus pouvoir avancer. Moment des pensées pétrifiées, balbutiantes, blanches. blanches d'intensité contenue. Quelquefois blanches d'absence de mots.
Quels mots font le poids quand les entrailles d'une ville sont retournées, offertes aux mouches qui dansent dans la pestilence ? Quels mots font le poids face à des hommes et des femmes têtus, forcenés de vie, qui dans la poussière et les gravats de la mort s'acharnent à réinventer la vie de leurs mains ? (...) Mais comment écrire ce malheur sans qu'à l'issue de la confrontation il n'en sorte doublement victorieux et la littérature méconnaissable ? Comment écrire pour que le malheur ne menace pas le lieu d'existence même des mots ? Question qui depuis si longtemps me tenaille et gicle au mitan de la nuit du 12 janvier. Comment écrire en évitant d'exotiser le malheur, sans en faire une occasion de racolage, un fonds de commerce, un article d'exhibition de foire ? Comment être à la hauteur de ce malheur ?
Cette terre des mots, la seule qui soit nôtre, à nous écrivains, se fissure et risque de craquer elle aussi si nous n'y prenons garde. Faille énorme sous nos pieds. Le temps de l'information, de la vitesse, de l'image, ronge du dedans le seul qui vaille la peine, le seul pour lequel l'écrivain devrait se mettre en danger et non point en représentation. Comment échapper à ce piège, pieds et mains liés ?
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Le 12 janvier 2012 à 16 h 53 minutes, dans un crépuscule qui cherchait déjà ses couleurs de fin et de commencement, Port-au-Prince a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on dit qu'ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de s'écrouler cheveux hisurtes, yeux résulvés, jambes disloquées, sexe béant, exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang. Livrée, déshabillée, nue, Port-au-Prince n'était pourtant point obscène. ce qui le fut, c'est sa mise à nu forcée. Ce qui fut obscène et le demeure, c'est le scandale de sa pauvreté.
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Pourquoi nous les Haïtiens ? Encore nous, toujours nous ? Comme si nous étions au monde pour mesurer les limites humaines, celles face à la souffrance, et tenir par une extraordinaire capacité à résister et à retourner les épreuves en énergie vitale, en créativité lumineuse. J'ai trouvé mes premières réponses dans la ferveur des chants qui n'ont pas manqué de se lever dans la nuit. Comme si ces voix qui montaient, tournaient résolument le dos au malheur, au désespoir.
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Dieu que ce 12 janvier nous fait mal ! Cela on ne le dira pas assez non plus. On préférera plutôt, sans nuance aucune, claironner l'incompétence et la corruption absolues de toute l'administration publique haïtienne. Ce que je ressens comme une injure à la mémoire de tous ces travailleurs et travailleuses de l'ombre, comme une seconde mort.
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Quel roman, récemment couronné par le prix Fémina, raconte de façon saisissante l'histoire d'Haïti, première colonie à conquérir l'indépendance et pays le plus déshérité des Amériques ?
« Bain de lune », de Yanick Lahens, c'est à lire en poche chez Points.
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