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EAN : 9782848050638
218 pages
Sabine Wespieser (06/11/2008)
4.05/5   58 notes
Résumé :
Angélique se lève tous les matins la première, dans la petite maison des faubourgs de Port-au-Prince qu’elle partage avec sa mère, sa sœur Joyeuse, et son jeune frère Fignolé. Dans l’aube grise de février, l’inquiétude l’étreint: Fignolé n’est pas rentré et toute la nuit les tirs n’ont cessé de gronder au loin…
Angélique la sage est une fille soumise, une sœur exemplaire, une femme de trente ans en apparence résignée. Sa famille, le fils qu’elle a eu par acci... >Voir plus
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Huit ans après sa parution, La couleur de l'aube est réédité en poche, et c'est une excellente initiative.
Une grande humanité se dégage de ce roman.
Que Yanick Lahens décrit bien son pays ! Dès les premières pages on est pris dans un tourbillon de couleurs, de senteurs, de violence, au milieu d'une population sans espoir, démunie et désorganisée Pour se faire l'écho de son peuple, elle utilise deux soeurs inquiètes de la disparition de leur jeune frère, Fignolé, qui mène sa vie « à fleur de mal ».
Angélique, l'ainée, fait partie des vaincus, des résignés.
Joyeuse, la cadette est tournée vers la vie, la joie, la rébellion.
Leur mère les protège tous trois d'un amour inconditionnel et bienveillant.
Misère, incertitude, violence et peur sont le quotidien des personnages. Paradoxalement, à tous les rêves déçus se mêle la joie de vivre.
L'écriture est poétique et envoutante. Il y a, chez Yanick Lahens comme chez Dany Laferrière, un amour et une désespérance de leur pays qui sont traduits par une écriture forte et poétique. Les lire, c'est s'éprendre d'Haïti, c'est ressentir une compréhension et une compassion sincère pour les haïtiens.
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N°981– Novembre 2015

LA COULEUR DE L'AUBE - Yanick Lahens – Sabine Wespiesser éditeur.

Ce sont deux jeunes femmes, Angélique et Joyeuse qui alternativement s’expriment tout au long de ce texte. Angélique, l’aînée, est sage et soumise, vouée à Dieu et à ses ses malades de l’hôpital, travailleuse et aidante pour sa mère, partage avec son frère et sa sœur une petite maison dans les faubourgs de Port-au-Prince. Joyeuse est tout le contraire, belle et rebelle, sensuelle et sexuelle, gourmande de vie, elle est vendeuse dans une boutique de luxe et attend qu'un homme s’intéresse vraiment à elle et aspire à une vie meilleure malgré la misère et la violence qui font son quotidien. Fignolé, leur frère, qui ne vit que pour la musique, est incapable de s'insérer dans la vie en dehors du parti des Démunis où il milite et qui semble être sa boussole. Il n'est pas rentré de la nuit et l'aube angoisse Angélique qui n'a cessé d'entendre des tirs dans le lointain à cause d'une émeute contre le gouvernement. La mère est vouée au vaudou dans cette famille monoparentale que le géniteur, un homme « rusé et vantard » a quitté depuis longtemps.
Il y a d'autres personnages dans cette vie, le pasteur Jeantilus dont nous parlera Angélique mais aussi John, l'Américain, le journaliste-humanitaire qui a choisi leur famille pour réaliser une œuvre charitable mais qui n'est pas vraiment accepté et qui ne réussit pas dans son entreprise à cause de son arrogante utopie face à un peuple noir qu'il considère comme inférieur. Gabriel, le fils d'Angélique, témoin de tout cela et qu'elle considère comme responsable de sa solitude. Tout en attendant un homme, un mari, elle élève son fils dans la crainte de Dieu, loin de l'exemple de sa parentèle, coincée entre superstition, utopie et légèreté. Pourtant, elle porte cette maternité comme une faute, victime d'un homme disparu, comme pour sa mère avant elle. Fortuné qui, en vrai caméléon, s'adapte aux circonstances au détriment des autres, Ti-Louze, la bonne noire, Mme Jacques qui illustre la classe qui domine l'île...

C'est donc un récit à deux voix d'où sourd une sombre angoisse qui est déclinée à travers ces deux voix de femmes, deux monologues alternatifs. Il s’inscrit dans l’unité de temps d'une seule journée pendant laquelle se déroulera cette enquête familiale de ces trois femmes pour retrouver ce fils et aussi une sorte d'unité d'action qui se décline dans les trahisons politiques, les enlèvements, le chaos, la violence quotidienne d’Haïti vouée à la violence et à la mort mais aussi dans l'appétit de sensualité.

Le style est simple, sensuel, dépouillé, poétique [J'ai même lu certains passages à haute voix pour goûter la musique des mots]. Pour l'auteur l'écriture est une thérapie dans cet univers douloureux qu'est celui de son pays. Elle en porte un témoignage littéraire, émouvant et révélateur de la réalité politique et économique d’Haïti.

Après la lecture de « Bain de lune »- Prix Fémina 2014 (La Feuille Volante n°855) qui m'avait bien plu, j'ai lu ce roman comme une fenêtre sur la culture haïtienne, la religion chrétienne d'Angélique, fortement teintée de superstition noire et le vaudou et ses rites de sa mère, mais aussi sur son quotidien fait de misère et de violences du clan Duvalier. J'y ai lu la beauté et la sensualité des femmes caribéennes, la déliquescence d'une société en train de mourir entre la violence, la drogue et la mort.

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Dans une Haïti pleine de misère, de sexe, de haine et de révolte, la fille mère bigote et méchante Angélique et son appétissante soeur Joyeuse attendent leur frère Fignolé qui a passé la nuit avec les insurgés.

Je suis peu sensible à ces voix qui ressassent, desquelles sourd une certaine poésie lourde, statique, triste.
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Depuis longtemps, Haïti fascine. Quand la terre tremble, quand l'Etat capitule, lorsque les hommes se battent pour vivre mieux ou pour vivre seulement… Port-au-Prince et ses habitants suscitent l'intérêt jusque dans la richesse de sa littérature. Comme nombre d'auteurs haïtiens autour d'elle, Yanick Lahens puise dans son quotidien la matière dont ses livres sont faits.



« La vie tue d'abord les coeurs purs » . Au départ de l'histoire, un drame. Angélique et Joyeuse découvrent un matin que leur jeune frère Fignolé n'est pas rentré. Leur mère aussi a vu le lit fait. Militant déçu du « Parti des démunis », rêveur et musicien, il est une proie facile pour la rue. Dans un contexte apocalyptique, cette disparition est des plus inquiétantes. Les émeutes sanglantes de la veille, auxquelles il semble avoir participé, laisse présager le pire. En trente courts chapitres, incroyablement fluides et poétiques, vont s'alterner les voix de ces deux soeurs qui nous présentent, chacune à leur manière, un quotidien misérable où règne pourtant en maître le désir de survie.


Portraits. Angélique est une fille-mère de trente ans qui traîne son buste droit du banc de l'Eglise aux couloirs de l'hôpital dans lequel elle travaille. Soucieuse mais contenue, brisée mais droite, elle tente de faire vivre sa petite famille en repoussant tout ce qui pourrait agrémenter son quotidien. Sa soeur cadette, Joyeuse, représente l'engouement, la joie et la vitalité. Elle occupe une place prisée dans un petit magasin luxueux du centre ville. Grâce à son oncle, elle a pu suivre des études qui l'ont aidée à se faire une maigre place dans la société haïtienne. Dévorée par l'ambition, révoltée par son quotidien, elle contient difficilement sa colère et sa rage en toute circonstance. Contrairement à sa soeur, elle rejette toute forme d'autorité, qu'elle soit politique, culturelle ou religieuse et joue du rapport de force qu'elle instaure entre elle et les hommes par sa beauté. Toutes les deux vivent encore sous le toit de leur mère, une vieille femme que le poids des malheurs commence à voûter mais qui résiste à l'âpreté du quotidien.


Pendant la journée, chacun mènera l'enquête à sa manière : Angélique la raisonnable porte plainte auprès du commissariat et se heurte à l'incompétence des fonctionnaires dans un pays en faillite. Joyeuse fouille les affaires de Fignolé et trouve une arme, un papier avec des coordonnées téléphoniques et le nom d'Ismona, l'amoureuse de Fignolé. Mère cherche dans les rites vaudous et l'évocation des esprits les réponses que la réalité lui refuse. Si la mort de Fignolé plane sur chacun d'entre eux, aucun ne renonce à trouver la pénible vérité. Parce que se battre, c'est vivre encore. Et qu'ils n'ont rien d'autre à faire.


Une mosaïque douloureuse. Dans ce second ouvrage de l'écrivaine Yanick Lahens, les personnages n'ont pour seule réalité que les sentiments qui les animent. Mais ceux-ci ont maintes et maintes fois été partagés par les Haïtiens et prennent tout leur sens lorsqu'il s'agit de parler du quotidien de l'île. Dans sa manière de peindre une société en difficulté, où vivent des hommes tantôt vaillants, tantôt vaincus, elle s'inscrit parfaitement dans une longue tradition de littérature afro-caribéenne. Réalistes et éprouvants, ces propos sont riches d'une langue soignée, d'un rythme maîtrisé et d'une orchestration du récit parfaite. Il y a Gabriel, l'enfant innocent déjà devenu le témoin silencieux de la violence du monde dans lequel il vit, Ti-louze, la bonne noire, battue pour n'être que ce qu'elle est, John, le jeune blanc arrogant et prétentieux, porteur de toute la morale occidentale et tout aussi incapable que les autres d'apporter des solutions concrètes aux problèmes quotidiens, Mme Jacques la riche patronne de la boutique dans laquelle travaille Joyeuse, qui illustre parfaitement la classe supérieure méprisable de l'île, Lolo la jeune courtisane intéressée par « l'argent qui ouvre les frontières »…


L'auteure. Malgré sa triste réputation de pays pauvre et désorganisé, l'île d'Haïti a une longue tradition littéraire. Elle est riche d'une grande communauté d'auteurs en diaspora, telle que Dany Laferrière ou Louis-Philippe Dalembert, et regorge d'écrivains qui témoignent des réalités de leur île de par le monde. Yanick Lahens appartient à cette catégorie de la population soucieuse de témoigner de son histoire quotidienne, des aspirations déçues de sa jeunesse et de l'incroyable vitalité qu'elle abrite néanmoins. Née en Haïti en 1953, elle a effectué une grande partie de son parcours scolaire en France avant de retourner s'installer à Port-au-Prince où elle a travaillé comme universitaire, conseillère du Ministère de la Culture et écrivain. Comme le disait le poète haïtien René Depestre avant elle, « La littérature haïtienne est « au bouche à bouche avec l'histoire » ; dégager la création littéraire de la vie politique de l'île quel que soit le stade de l'histoire d'Haïti observé, n'est pas chose facile, tant la première se nourrit de la seconde, y trouve souffle et inspiration. Et jusqu'à la dernière page de ce livre, on respire avec eux.
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« Au coeur des ténèbres… »

par Issa Asgarally

"La couleur de l'aube", Yanick Lahens, Editions Sabine Wespieser, Prix RFO du Livre 2009.

C'est l'un des plus beaux romans qu'il m'est arrivé de lire cette année. Je l'ai découvert en tant que membre du jury du Prix RFO du Livre 2009. Et je ne me suis pas trompé sur ses qualités.« La couleur de l'aube » de Yanick Lahens a remporté le Prix avec six voix sur huit.

Deux soeurs, Angélique et Joyeuse, cherchent leur jeune frère, Fignolé, qui n'est pas rentré. Elles sont inquiètes, car toute la nuit le crépitement de la mitraille s'est fait entendre. Au fil de la journée et de leur enquête, elles dessinent de la ville de Port-au-Prince, capitale d'Haïti, une géographie apocalyptique. Toute l'histoire de l'île y défile, de « Papa Doc » Duvalier à nos jours, en passant pas « Bébé Doc » et le Prophète-Président : « Port-au-Prince, poste avancé du désespoir. Il y a toute la malfaisance secrète inscrite dans ses murs depuis deux siècles. La descente aux enfers de la ville a commencé depuis trop longtemps pour que je me plaigne. »

C'est Angélique qui découvre l'absence de Fignolé. Infirmière dans un hôpital qui manque de tout, elle se réfugie dans la prière avec obstination : « Comment ne pas prier Dieu dans cette île où le Diable a la partie belle et doit se frotter les mains. » Mère-célibataire, victime jadis de la trahison d'un homme « rusé et vantard », elle élève son fils dans « la crainte de Dieu ».

Joyeuse est tout à fait différente de sa soeur. Grande, pulpeuse, sûre d'elle et « sexuelle », c'est la fureur de vivre, l'insoumission, la révolte. Elle avoue qu'elle a soupesé les divinités illégitimes, vaudou de leur mère et le dieu respectable, chrétien d'Angélique, et qu'elle est restée sur sa faim : « J'ai choisi la lumière, le vent et le feu. Dussent-ils m'aveugler. Dussé-je y laisser ma peau. »

Sur le plan formel, le roman est une alternance de deux récits à la première personne, celui d'Angélique et celui de Joyeuse. Fignolé et les autres personnages sont donc vus à travers un double regard. Sans oublier le regard croisé des deux soeurs, l'une sur l'autre.

Les personnages sont denses, inoubliables. Fignolé, habité de musique et de poésie, est un militant déçu du Parti des démunis, dont le leader a trahi! La Mère, en écoutant chaque matin les voix à la radio épeler les malheurs de l'île, déclare qu'elle est déjà morte même si son corps n'exhale pas encore une odeur de cadavre. John, journaliste américain, suit Fignolé sur les barricades et gagne sa vie, comme le dit Joyeuse, à aimer les pauvres ! Maître Fortuné, vrai caméléon, a l'art de « prendre la couleur du pouvoir du jour et teindre sa langue et son cerveau »…

L'écriture de Yanick Lahens est économe, finement ciselée, magnifique. Je pourrais citer la plupart des phrases du roman pour l'illustrer. A commencer par la première : « J'ai devancé l'aurore et j'ai ouvert la porte sur la nuit. ». Ou encore celle-ci : « Dans cette île, dans cette ville, il faut être une pierre. Je suis une pierre. » Mais l'un des extraits les plus percutants est bien la description que fait Joyeuse d'une banlieue de Port-au-Prince : « A côté des chiens et des porcs, surgissent souvent des silhouettes sinistres. le dos voûté, elles se mélangent aux bêtes. Quand elles ne leur disputent pas des restes, elles fouinent furtivement à leurs côtés dans la puanteur et la pourriture des immondices. Je me suis souvent penchée, les paupières à demi fermées, la main sur le front pour mieux voir et me convaincre que ces créatures-là n'étaient ni des chiens, ni des porcs mais des chrétiens vivants comme vous et moi, hommes, femmes, enfants, vieillards qui n'ont d'autre choix que de se lever, de vivre, de manger, et de faire là des enfants et leurs besoins. Des centaines de milliers d'êtres venus en ville comme au Paradis et qui n'y ont trouvé que cet enfer à ciel ouvert. Dieu, s'il a créé ce monde, je lui souhaite d'être torturé par le remords. »

Je suis toujours sensible à la fin d'un roman, ou plutôt à ce qui se passe après la fin ! Je ne peux pas être mieux servi que par « La couleur de l'aube » ! L'un des événements les plus importants du roman se passe après le mot « Fin ». En effet, Joyeuse, qui mène l'enquête jusqu'au bout, découvre enfin les faits entourant la disparition de Fignolé et décide de réagir. En utilisant le revolver qu'elle trouve parmi les affaires de son frère. Mais cela est annoncé subtilement à la fin de son récit : « Je pense à l'autre. Au traître. A la robe moulante que je mettrai ce jour-là. A mes talons aiguilles. Au rouge carmin dont je dessinerai mes lèvres et à cette chose que je dissimulerai dans mon sac. ». Réussira-t-elle? Au lecteur de l'imaginer, de poursuivre le roman…

L'aube, dont il est question dans le titre du roman, n'est finalement pas celle du début, mais l'aube de « ce jour-là » : « J'entends Angélique qui se réveille. La nuit craque de tous les côtés. L'aurore est déjà là. »

Lisez et relisez « La couleur de l'aube ». Pour voir comment Yanick Lahens, qui vit en Haïti, construit l'allégorie d'un pays où la monstruosité voudrait se faire loi, mais où, à chaque page, éclate la volonté de vivre.


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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
De cette ville j'ai tiré une leçon, une seule : ne jamais s'abandonner. Ne laisser aucun sentiment vous amollir l'âme. Au lieu du coeur, une matière dure et rude avait pris place à l'intérieur de ma poitrine juste entre les deux seins. J'ai reconnu ma petite pierre grise. Et j'ai respiré très fort pour être bien certaine qu'elle tenait encore solidement à sa place.
Dans cette île, dans cette ville, il faut être une pierre.
Coincée dans ce tap-tap, je me laisse petit à petit envahir par le bavardage de Lolo, assise à mes côtés. ...
Lolo parle beaucoup. Parle trop. D'ailleurs en ce moment même, elle glousse déjà avec son nouvel amant, "son vieux" comme elle l'appelle. Soixante ans bien sonnés et qui a peur. Peur de vieillir. Et qui veut éprouver sa virilité dans le velours de sa jeunesse à elle, dans les eaux de jouvence de ses vingt ans. "Alors il paie", m'a encore répété Lolo en me dressant la liste de tout ce à quoi elle estime avoir droit : un voyage à Miami, une implantation de cheveux à la Naomie Cambell, "Fini Joyeuse, ces rallonges jamais aux couleurs qu'il faut pour faire des tresses interminables comme une Blanche", des cartes pour son téléphone portable et bien sûr des vêtements, des vêtements en veux-tu, en voilà. Elle m'a confié qu'après son premeir voyage à Miami elle reviendrait pour ne pas éveiller des soupçons mais qu'au second elle disparaîtrait dans les champs d'orangers en Floride. "Tu sais bien que la misère et moi nous ne nous entendons pas bien du tout. Je ne suis pas comme tous ces gens autour de nous qui attendent que Dieu, Notre-Dame du Perpétuel Secours, saint Thérèse, Agoué, le patron, le gouvernement ou la révolution vienne à leur secours. Personne ne viendra nous sauver, Joyeuse, personne. Alors le vieux il ne reverra plus Lolo." Il y a un mois, curieuse, je lui ai demandé "Ton vieux, il est vieux comment ?". Elle m'a répondu comme si, concentrée et pensive, elle cherchait des mots pour décrire une expédition dans une contrée lointaine, l'Antarctique ou le pôle Nord : "Vieux comme quelque chose qui m'est étranger, Joyeuse, comment te dire...Quelque chose que je ne connais pas. Vieux comme la neige, froid comme l'hiver."
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Rancœurs, haines, privations, je les accueillerai bientôt toutes. Sans distinction aucune. Comme des commères bavardes. Je porte au-dedans de moi tant d’autres femmes, des étrangères qui empruntent mes pas, habitent mon ombre, s’agitent sous ma peau. Pas une ne manquera à l’appel d’une jeune femme de trente ans que le temps a usée sur toute sa surface.
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Le Blanc nous a apporté le malheur d'une main et des promesses de bonheur de l'autre. Qui, à moins de n'être pas normalement constitué, ne voudrait pas de cette chose extravagante qui a pour nom le bonheur et que l'on a fait miroiter au loin ? Toujours au loin. Et c'est d'ailleurs pour nous prouver que ce bonheur était à portée de main, que John a partagé quelques uns de nos maigres repas, a payé des notes de pharmacie de Mère et, à une période de vaches maigres, a même consenti à régler les funérailles d'une cousine qui n'existe pas. Nous avons empoché l'argent en silence. Il a deviné le subterfuge mais a joué le jeu pour amuser sa mauvaise conscience de messager des cieux. D'autant plus que sur terre, il voulait de Joyeuse. Et la première République noire plie ses femmes à genoux, pour quelques dollars, un repas, des carrés de chocolat. John regardait Joyeuse, il la regardait et avait du mal à se retenir pour ne pas planter ses dents dans ce morceau de chair fraîche et la dévorer là, sous nos yeux. Et cela, Joyeuse le sentait. Joyeuse était déjà si différente de moi. Grande, pulpeuse. Si sûre d'elle. Si effrontée et si sexuelle. Oui, le mot est lâché, c'est bien ce qu'elle est Joyeuse. Sexuelle.
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Contrairement à Angélique, Mère n’a jamais rien attendu de personne. Elle a répondu au malheur au coup par coup, l’encerclant quelquefois comme pour l’étreindre. La vie d’Angélique est un fruit dont elle aurait mangé la meilleure portion sans même s’en apercevoir, sans même en goûter le jus. Ceux qui l’approchent sont conduits à éprouver à son endroit une indulgence tiède qui ne débouche jamais sur une relation profonde et durable. Quelque part en elle est gravé ce signe qui distingue les perdants et qui finit par les isoler irrémédiablement de l’autre partie de l’humanité. Angélique est morte de cette mort lente que connaissaient les réprouvés. Angélique a attendu et n’a pas eu ce qu’elle espérait. Comme beaucoup de femmes, Angélique espérait tout et puisque ce tout n’est jamais arrivé, elle l’a perdu sur une seule mise. Attendre ce que l’on peut avoir et se rendre compte trop tard que l’on ne l’aura jamais fait une vie coulée dans un étroit moule de tristesse, une vie de vaincue. Mère est épuisée mais pas vaincue.
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Port-au-Prince a planté des graines empoisonnées en moi et l’arbre mortifère ne cesse de grandir, grandir. Port-au-Prince nous a échappé comme l’eau qui coule entre les doigts. Le désordre a grignoté chaque parcelle de cette terre et c’est aujourd’hui un désordre de l’âme. Nous ne pouvons pas guérir. Peut-être ne le voulons-nous pas ? Dans les quartiers de la périphérie, à douze ans, un jeune garçon est un vieillard : il a déjà expédié deux ou trois chrétiens vivants dans le précipice de l’éternité et a le cervelle brûlée par l’éther. Il a trop vu, trop entendu, trop accompli ; une gamine de treize ans est une femme avertie qui a à son actif deux ou trois amants et a déjà aidé les garçons à remplir le gouffre de la mort. Et si le malheur frappe un jour à votre porte, ne vous mettez pas en tête d’aller porter plainte. Ceux préposés à la défense des victimes s’arrangent pour poursuivre l’œuvre de dépouillement et les dépècent jusqu’à l’os.
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