oui, la caisse noire alimentée par les fournisseurs, c'est l'usage ! ça permet de financer sur place les pots d'anniversaire, de mariage, de naissance, d'enterrement, de distribuer des primes au black, des défraiements sans facture, et de monter la grande fête de clôture du chantier, un rendez-vous cléentre ouvriers après avoir travaillé ensemble pendant six mois/un an, à monter une tour de vingt étages... pour chaque chantier, on redistribue toutes les équipes, un vrai casse-tête, mais l'important c'est de ne pas conserver les mêmes équipes ! ça crée des liens trop forts,et des solidarités, c'est dégueulasse ! ils commencent à penser qu'il faut des syndicats, veulent mettre leur nez dans la gestion des plannings, le cahier des charges constructeur, les normes de sécurité, développent l'esprit de corps, c'est la merde ! on a compris, saisi, pigé ! cinq sur cinq !
1 chantier = 1 équipe, on remet tout à zéro, on recommence tout le casting, à chaque fois ! on n'est plus emmerdé par les grandes gueules... dispersées, à l'autre bout du territoire, sur la construction d'une bretelle d'autoroute de l'A6... c'est réglé. Ici, quand un simple couple se forme, même si chacun/chacune travaillent dans des services différents ! recta ! l'un des deux doit quitter le navire, c'est l'usage interne de la maison, c'est dire ! on craint la soudure, la transversalité... il faut de la verticalité ! cloisonner ! on doit cloisonner les gens et les services ! on forme une grande et belle communauté, tous ensemble à conquérir des marchés, à prospérer, mais ! chacun est seul ! Un pour tous, oui ! Tous pour un, non ! c'est une règle d'hygiène, susurrait le père Bouygues, avant de céder sa place aux fils héritiers. (pages 133-135)
... trop, c'est trop ! en quatre mois, suis verbalisé à trois reprises sur un passage protégé ? ! Pour refus de priorité envers ... des piétons ? sont pas montés sur roues ! sont pas des véhicules ! sont des éléments pédestres, hétérogènes à la circulation ! sont nonobstant prioritaires, en toute circonstance automobilistique ! et le procès-verbal coûte cher : 250 euros, 3 points ôtés sur le permis : 3 × 3 = 9 ! j'accuse réception et travaille à présent par excès de zèle surdimensionné à démontrer conciliables ces deux univers mobiles (sic)... depuis cinq semaines, laisse systématiquement traverser les piétons en attente sur le trottoir... les suivants me klaxonnent au cul, éructent les pires insanités, m'en fous, je laisse traverser ! j'anticipe même et favorise leur volonté de s'engager sur l'asphalte fumant d'hydrocarbures ! ... mais je vous en prie, après vous ! etc., ce qui me vaut des remerciements appuyés, des saluts, entends les mères de famille me désigner à leurs chiards comme un modèle de civisme, et si tous les conducteurs étaient comme moi, dites merci au monsieur, et patati et patata... les vieux qui me traitent de brave homme, d'homme de cœur, de bonne âme... (Pages 57-58)
...rien ne tente plus un jeune enfant que d'offrir à manger un animal... un irrésistible élan le porte à ce geste, nourrir, apprivoiser, devenir l'interlocuteur privilégié, l'ami intime d'une nature jusque-là muette et indomptable, y découvrir sa propre humanité, bref ! refaire le mouvement de l'homme ancien qui domestique la nature et l'habite de son imaginaire, des millénaires de travail enfouis dans notre cerveau reptilien que l'enfant rejoue inlassablement... alors, à son tour, il arrache une touffe d'herbe, souvent ses parents le font pour lui, il saisit la touffe maladroitement, entre ses petits doigts tendres,.....(pages 39-40)
les oiseaux ont de vagues lambeaux de rêves inesquissés, et moi, avec l'âge, ne rêve plus ! yeux grands ouverts dans la noirceur de mes nuits blanches...(page 38)
ça ne s'explique pas : to fall in love, disent les Anglais, ce n'est pas même tomber amoureux, c'est tomber en amour comme en première ligne, sur le front, à la guerre, foudroyé quand c'est to fall in love, pour de vrai... (page 63)
Dans ce récit initiatique et autobiographique, Luc Lang retrace certains épisodes de sa vie au prisme de son lien étroit au judo puis au karaté. du combat tendre et fondateur avec son père adoptif, quand il était enfant – scène qui ouvre le roman sur une joie primitive -, à sa progression teintée de doutes sur les tatamis, le narrateur revisite sa vie, ses sursauts, ses drames et résurgences, à l'aune d'un art de la chute et d'une philosophie dépeinte avec humilité et profondeur. Mais plus qu'un texte sur la passion d'un homme pour les arts martiaux, le Récit du combat est à la fois le cheminement d'un homme à la recherche d'un équilibre, et une réflexion vertigineuse et précise sur le corps et l'écriture qui devient, sous la plume du romancier et karatéka, un art du geste juste et de la bonne distance.
Luc Lang est l'auteur d'une oeuvre romanesque, mais également d'écrits théoriques sur l'art contemporain et l'esthétique. Il obtient en 2019 le prix Médicis pour son roman La Tentation (Stock). le Récit du combat (Stock, 2023) est son treizième roman.
Rencontre animée par Guénaël Boutouillet.
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