Ainsi, qu’en est-il de ces histoires imaginaires ? Elles ne varient guère au travers des siècles dans leur motif ou leur thème. Il y est toujours question de naissance, de filiation et de mort. D’amour et de passions, de conflits familiaux et sociaux, de conquête, de guerre et d’affrontements, d'amitié fidèle et de trahison, le spectre est assez étroit, la tragédie et la comédie ont fixé l'étendue restreinte de la gamme. Ce n’est donc pas là qu’oeuvre, à proprement parler, le roman. Les histoires individuelles ou collectives, on les sait et on les vit, à quoi bon les raconter et les décliner à l’infini ? Pourtant, l’histoire du genre romanesque comme objet littéraire et objet de langage en est la réponse. Les bouleversements qui s’aménagent, je le répète, dans les points de vue, les modes d'énonciation, les systèmes temporels, le style, les champs sémantiques, etc. sont précisément ce qui transfigure ces mêmes histoires inlassablement répétées, pour donner à lire et à vivre de nouvelles représentation du monde, d’autre régimes de significations et de nouveaux modes de connaissance. (p.55)
Encore une fois, le roman ouvre sur une expérience sensible, il étend le champ d’expression du monde et du langage, en faisant parler et vivre non du point de vue du concept, de la loi ou de l’universel, comme le philosophe, le théologue ou le scientifique, mais du point de vue de la voix singulière et spécifique en chacun d’entre nous comme des fragments de sujet et de conscience dans une absolue relativité; convoquant alors un autre univers, celui, ouvert, vide et vacant, de l’homme sans qualités. (p.101-102)
Ce qui n’interdit pas au roman de devenir à son tour un objet d'analyse dans l’extériorité de son espace. Mais il le sera après avoir été traversé, éprouvé avec ses personnages, leur histoire, et l’écriture qui les fait advenir. Ce sera enfin parler de la nage après s’être laissé emporter dans le fleuve, et non en restant sur la rive, bardé d’un savoir inerte. (p.101)
C’est entre autre cela qu’avouent les fictiones, cette manière de reconstruire, par le détour des mots, qui seuls font sens pour nous, une cohérence qui rende simplement acceptable et supportable cette réalité définitivement étrangère dans laquelle nous sommes précipités. (p.36)
Le roman est une forme écrite de l’intime capable de traverser les différents écrans politique, social, psychologique même, qui construisent la personne en objet. (p.100)
Dans ce récit initiatique et autobiographique, Luc Lang retrace certains épisodes de sa vie au prisme de son lien étroit au judo puis au karaté. du combat tendre et fondateur avec son père adoptif, quand il était enfant – scène qui ouvre le roman sur une joie primitive -, à sa progression teintée de doutes sur les tatamis, le narrateur revisite sa vie, ses sursauts, ses drames et résurgences, à l'aune d'un art de la chute et d'une philosophie dépeinte avec humilité et profondeur. Mais plus qu'un texte sur la passion d'un homme pour les arts martiaux, le Récit du combat est à la fois le cheminement d'un homme à la recherche d'un équilibre, et une réflexion vertigineuse et précise sur le corps et l'écriture qui devient, sous la plume du romancier et karatéka, un art du geste juste et de la bonne distance.
Luc Lang est l'auteur d'une oeuvre romanesque, mais également d'écrits théoriques sur l'art contemporain et l'esthétique. Il obtient en 2019 le prix Médicis pour son roman La Tentation (Stock). le Récit du combat (Stock, 2023) est son treizième roman.
Rencontre animée par Guénaël Boutouillet.
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