Tout a été dit ou presque sur Guillaume Seznec depuis ce 24 mai 1923 où l'on perd la trace de Pierre Quémeneur, son compagnon de voyage, quelque part entre Houdan et
Paris.
Les deux compères étaient partis de Rennes pour
Paris, dans une Cadillac déglinguée, pour y négocier l'achat et la revente de voitures américaines. Après un voyage calamiteux (la Cadillac fait panne sur panne, crevaison sur crevaison ...), les deux voyageurs épuisés arrivent, en soirée, à Houdan où, après un énième arrêt pour réparer la voiture, ils décident de se restaurer avant la dernière ligne droite : plus que 60 kms pour - enfin ! - atteindre
Paris.
A partir de là, les récits divergent : Guillaume Seznec affirmera avoir laissé Pierre Quémeneur, désireux de finir le trajet en train, à la gare de Houdan (il n'y avait pourtant plus de train avant le lendemain), le chef de gare et ses cheminots indiqueront avoir vu les deux voyageurs repartir en voiture après avoir demandé leur chemin.
Une chose est certaine : plus personne (ou presque : le "presque" est capital) ne verra Pierre Quémeneur vivant à compter de cet instant.
Le lendemain, au lieu de rejoindre son ami à
Paris, Guillaume Seznec décidera, de manière incompréhensible, après une énième panne à La Queue les Yvelines et alors qu'il est presque arrivé, de ... rebrousser chemin et de retourner à Morlaix dans la même Cadillac déglinguée !
Alors que la famille de Pierre Quémeneur commence à s'inquiéter - au bout de trois semaines - de n'avoir aucune nouvelle, un télégramme providentiel leur parvient le 13 juin.
Envoyé du Havre, d'où les paquebots partent pour les Etats-Unis, le message de Pierre Quémeneur les rassure : tout va pour le mieux, il sera de retour dans quelques jours.
Il n'en sera rien.
Le 20 juin, on trouvera même la valise de Pierre Quémeneur à la Gare du Havre.
Elle est tachée de sang et contient la promesse de vente d'un "château" appartenant à Pierre Quémeneur au bénéfice de Guillaume Seznec. La vente est consentie moyennant la somme de 35.000,00 Frs alors que la propriété en vaut 140.000 ...
En 1924, Guillaume Seznec - qui n'a jamais cessé de clamer son innocence - sera condamné aux travaux forcés à perpétuité à la fois pour le meurtre de Pierre Quémeneur et pour les faux en écriture (l'enquête démontrera - de manière difficilement contestable - qu'il est à la fois l'auteur du télégramme et de la promesse de vente).
Ainsi commence l'interminable affaire Seznec qui occupe, avec une régularité de métronome, la presse et les médias depuis plus de 90 ans.
La famille Seznec a, en effet, déposé, depuis la condamnation de leur mari, père, grand-père, quatorze demandes de révision, lesquelles ont toutes été rejetées avec la même régularité de métronome.
Denis Langlois, qui a été l'avocat de la famille Seznec pendant quatorze ans, livre un ouvrage passionnant et mesuré.
L'auteur y fait le point :
- sur les éléments à charge (qui sont tout sauf négligeables),
- sur les éléments à décharge ou à tout le moins susceptibles de créer le doute (il en existe qui n'ont jamais été exploités à l'époque),
- sur le parti pris inadmissible de l'enquête et de l'instruction,
- sur les conséquences terribles du procès et de la condamnation sur la femme et les enfants de Guillaume Seznec, jusqu'aux petits-enfants qui aujourd'hui encore portent le poids de cette affaire,
- sur les théories absurdes développées par un nombre incalculable de détectives amateurs depuis le meurtre,
- sur les multiples croisades entreprises en vue de la réhabilitation de Guillaume Seznec,
- sur les mensonges et les approximations relayées par la famille et les médias pour tenter de faire croire à l'innocence totale du bagnard (ce qui relève davantage du credo que d'un examen impartial du dossier).
Denis Langlois livre in fine sa propre théorie issue du témoignage (jamais révélé jusqu'à aujourd'hui) de l'un des fils de Guillaume Seznec.
Ce témoignage a été enregistré par Bernard le Her, neveu du premier et petit-fils du second, et confié sous le sceau du secret à
Denis Langlois alors qu'il était en charge des intérêts de la famille.
Les révélations que cet enregistrement contient donnent de cette affaire un éclairage nouveau et, à ce titre, méritaient sans doute d'être portées à la connaissance du public et des historiens.
Deux bémols cependant.
La révélation de cette confidence m'interroge sur la violation, par l'avocat, du secret professionnel auquel il est tenu. Au nom de l'Histoire,
Denis Langlois glisse un peu vite à mon goût - et sans convaincre - sur ce point.
L'auteur se montre, par ailleurs, très agressif à l'encontre de Denis Seznec, lequel s'est donné pour mission de parvenir, coûte que coûte, à la réhabilitation de son grand-père, au besoin en s'arrangeant quelque peu avec la vérité et en accaparant les médias, toujours prêts à endosser le costume - un peu trop grand pour eux - d'
Emile Zola. S'agissant d'un ancien client, j'aurais aimé davantage d'élégance dans le propos.
Convaincue, jusque-là, de l'innocence de Guillaume Seznec (le battage médiatique avait fait son oeuvre), je ressors de cette lecture beaucoup plus informée et, du coup, beaucoup moins convaincue.
Et si Seznec, après tout, était en tout ou partie coupable ?