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EAN : 9782260029366
288 pages
Julliard (18/08/2016)
3.75/5   72 notes
Résumé :
Ali, marocain de naissance, est un brillant ingénieur. Avec Malika, ils vivent heureux à Paris jusqu'au jour où Ali perd son travail : l'entreprise l'a écarté d'un dossier sensible à cause de ses origines. Livré à lui-même, le jeune homme bascule dans le désespoir puis dans l'extrémisme. Une exploration des mécanismes qui mènent à la radicalisation.
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Il est bon que les romanciers s'emparent de l'Histoire en marche.
Ali, un jeune ingénieur franco-marocain promis à une brillante carrière et Malika, une pétillante institutrice, vivent gaiement ensemble à Paris lorsque le jeune homme est écarté d'un important dossier par des clients américains en raison de sa bi-nationalité. Profondément meurtri par cette injuste décision, il démissionne et sombre dans une grave dépression. Poussé par son cousin Brahim, il se tourne progressivement vers la religion alors qu'il était athée avant de basculer dans l'extrémisme.
Beaucoup moins romanesque et romantique qu'Ahlam de Marc Trevidic sur le même thème, Ce vain combat que tu livres au monde est cependant une belle invitation à la réflexion, sans tomber dans les pièges idéologiques ou la démagogie, un roman particulièrement vivant, profondément pédagogique et humaniste.
Fouad Laroui interrompt régulièrement le récit pour s'adresser au lecteur et jalonne son roman de nombreux rappels historiques passionnants qui permettent une autre lecture des évènements tragiques liés aux attentats. Cela peut désarçonner le lecteur mais c'est passionnant. La meilleure amie de Malika, Claire est son double, résolument républicaine et agnostique.
J'avais beaucoup aimé, Les Noces fabuleuses du Polonais et Le jour où Malika ne s'est pas mariée, deux recueils de nouvelles truculentes, Fouad Laroui confirme son talent de narrateur avec ce roman richement dialogué et plein d'humour malgré la gravité des évènements.

Je remercie Babelio et les éditions Julliard pour cette découverte.
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Ali et Malika forme un jeune couple moderne, d'origine marocaine, elle née en France, lui au Maroc. Tous les deux bien intégrés dans la société française, ils partagent un appartement à Paris. Malika est institutrice, Ali ingénieur. Mais l'ombre du cousin Brahim, musulman intégriste, qui voit cette union d'un oeil sombre, puis le licenciement d'Ali par la compagnie américaine pour laquelle il travaille suite aux attentats du 11 septembre, vont faire basculer le jeune homme dans le ressentiment jusque dans l'absurdité d'un engagement dont il n'a pas mesuré les conséquences…

Dans ce roman très intéressant, Fouad Laroui nous livre une excellente analyse, à la fois de la dérive d'un homme qui a du mal à trouver sa place entre deux cultures, et bien qu'ayant choisi l'une, la société occidentale moderne, se trouve dans une période de doute et de dépression tenté par les formes les plus obscurantistes de l'autre, l'islamisme revanchard, qui le pousse à remettre en question sa relation avec Malika. Avec en arrière fond l'histoire du monde arabe, sa gloire passée, ses conflits, l'appel du fondamentalisme et la réécriture de l'histoire au service d'une propagande mortifère…
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Je n'avais encore jamais lu Fouad Laroui. le découvrir avec ce roman est une très bonne expérience. J'ai apprécié sa construction qui alterne l'intrigue d'Ali et Malika avec des chapitres abordant l'Histoire avec un grand H (ou une grande hache) pour expliquer comment celle-ci explique aussi celle-là.

Pour le duo amoureux Ali-Malika, on assiste aux débuts sous de clairs et prometteurs auspices. Jusqu'à ce que Ali, ingénieur informaticien de talent, se fasse éjecter d'un projet qu'il a porté à cause d'un nom qui ne renvoie pas à la France profonde. Suit une lente déprime. le cousin salafiste est là pour lui remonter le moral, les pendules. Et c'est une sourde puis tonitruante dégradation du si beau couple du début.

Fouad Laroui permet d'observer le processus de radicalisation d'un jeune Marocain jusque là plus attiré par les mojitos et la vie dans tous les plaisirs qu'elle a à offrir. Par son biais, on voit les discours mortifères des imams et autres préchi-préchas fondamentalistes.
Les chapitres alternatifs offrent un angle plus large à ce grave problème du djihadisme, rappelant les sordides découpages coloniaux, les humiliations, etc. Cette partie incite à réfléchir sur l'Histoire et sur la véracité historique. Fouad Laroui démontre que "notre" histoire et "leur" histoire ne se lisent pas de la même manière. Dans le récit même, la leçon donnée par l'ami professeur d'Ali éclaire sur le concept de relativité historique.

Je pense que cette réflexion est un point à mettre en avant contre les extrémismes islamistes et autres. Car comme le montre l'imam salafiste dans sa longue narration des croisades, à ne pas assumer son passé et à ne pas prendre en compte celui d'autrui, c'est l'incompréhension et l'irrespect qui dominent. Jusqu'à l'aigreur, la colère et, hélas, les passages à l'acte.

En quelques deux cent cinquante pages, Fouad Laroui offre une bonne histoire, une belle leçon d'humanité et matière à réfléchir sur de nombreux points. Je compte bien poursuivre ma découverte de son oeuvre avec d'autres titres.
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Documenté, Drôle, Déconcertant, Décapant. Ali, ingénieur franco-marocain et Malika, institutrice, s'installent en couple. La cohabitation se passe bien jusqu'au jour où Ali est évincé du projet sur lequel il travaille depuis longtemps. La raison ? Ce sont des américains à la tête et ils ne veulent pas d'arabe. Ali démissionne. Sa vie va basculée sous l'influence de son cousin pratiquant. le malaise s'accroît au fil du roman, heureusement entrecoupé par des scènes cocasses sur un sujet sérieux, comme celle de l'effeuillage de sa meilleure amie. D'autres fortes comme celle du Bataclan. Quelques pages, de ci de là, de faits historiques instructifs et étonnants. Fouad Laroui a une écriture qui lui est propre dont j'adhère pour son engagement et cette espèce de retrait qu'il a sur la situation tragique du monde actuel. Un roman qui restera toujours quelque part au fond de moi.
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C'est l'histoire de quatre personnes: Malika ( institutrice née en France de parents maghrébins) est en couple avec Ali (informaticien franco- marocain), Claire, l'amie d'enfance de Malika et Brahim, le cousin d'Ali.
Malika et Ali sont amoureux depuis six mois quand Ali lui propose de vivre avec lui. Ce qu'ils font malgré la réprobation de Brahim qui essaie de dissuader Ali eu égard à leur religion. Ali refuse de l'écouter: ils sont en France et non au Maroc.
Tout se déroule bien jusqu'au jour où Ali apprend qu'on ne veut plus de lui sur un projet en raison de ses origines. Il ne comprend pas, lui qui n'a jamais mis les pieds dans une mosquée, lui qui mène une vie à la « française »,... Tout bascule. Il ne sait plus qui il est, il ne comprend pas.

L'auteur nous raconte la grande histoire au travers de la petite histoire. Il nous raconte aussi la radicalisation sans jugement mais bien dans une volonté de compréhension, pourquoi alors qu'on a jamais mis les pieds dans une mosquée de toute sa vie, on se retrouve en Syrie....
Un chapitre m'a particulièrement intéressée car tout à fait ignorante de ce que ce chapitre révèle ( merci internet qui a complété les informations du livre). L'auteur aborde les découvertes faites, au travers des siècles, par plusieurs personnalités arabes mais qui ne sont pas connues du grand public (dont je fais partie) et en plus, elles sont attribuées à des Occidentaux. L'auteur dit d'ailleurs: « Ça n'enlève rien aux mérites de Descartes - mais enfin, si on parlait un peu de tous ces pèlerins, avec leurs noms à coucher dehors, dans les lycées de la République, peut-être que ça aiderait un peu à créer un roman qui ne serait plus, pour le coup, seulement national, mais qui s'étendrait à toute l'humanité, toute l'espèce humaine, ou alors un roman qui serait national dans un sens beaucoup plus généreux, plus... inclusif. »
L'intervention de l'auteur dans certains chapitres peut dérouter mais pour moi, c'est le seul bémol.
C'est un livre avec lequel on apprend de manière plaisante et c'est aussi un livre qui donne à réfléchir.
J'ai déjà lu « L'insoumise de la Porte de Flandre» de cet auteur et je n'en resterai pas là: j'aime sa plume, j'aime le regard qu'il pose sur le monde et les questions qui en découlent pour nous, lecteurs, j'aime sa tolérance, son humanité,... Cet auteur me bouleverse.
Merci Monsieur Fouad Laroui, à la prochaine.
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Tu apprends quoi, à l'école pour ce qui est de l'histoire des idées ? Ça commence au siècle de Périclès, il y a eu le miracle grec, Platon et Aristote, puis un millénaire d'abrutissement général, le Moyen Age, puis un miracle : la Renaissance, et on te parle de François 1er, l'ami des lettres et des arts, etc...
[...]
- Minute ! Que te disent les chaînes arabes ? Le fameux millénaire d'abrutissement général, ce n'était qu'en Europe ! A contrario, ce furent les Lumières de Bagdad à Cordoue ! La pensée philosophique, la science, les techniques, c'est là qu'elles se développèrent ! [...]
-On se dispute sur le point de savoir quelle est la plus ancienne université du monde. Bologne, créée en 1088 ? Paris au XIIe siècle ? Oxford ? Que te dit la télé marocaine ? Que l'Université de Fez fut fondée en l'an 859, et par une femme en plus ! Fatima el-Fihryya... [...]
- Tu vas au cours de sciences naturelles, on te dit que Harvey a découvert la circulation du sang au début du XVIIe siècle. Tu regardes un documentaire sur Al-Jazira et tu apprends que le Syrien Ibn el-Nâfis avait postulé, au XIIIe siècle, la circulation sanguine en se basant sur des dissections de coeur d'animaux. Tu te précipites sur Internet, la chose s'y étale, noir sur blanc, avec une superbe reproduction du manuscrit Ash-shâmil fi t-tibb d'Ibn Nâfis, qu'on peut consulter à Damas.
- Mais Harvey n'était pas français, non ? Ce n'est pas le roman national...
- Si, si, le roman national est maintenant, comment dire... enchâssé dans un roman européen.
- Tu retournes au lycée, on te parle de l'invention de l’anesthésie de Crawford Long, au XIXe siècle. Mais que t'apprend ce documentaire regardé sur Al-Jazira ? Zahawari et Ibn Zuhr, dans l'Espagne musulmane, ont procédés à des centaines d’opérations chirurgicales avec anesthésie six siècles avant Crawford Long !
....
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Ce vain combat que tu livres au monde
Fouad Laroui


L'Histoire
(Ici commence l'imposture : ce l apostrophe, ténu, discret, griffure qu'on remarque à peine, qui s'efface aussitôt prononcée, ce l falot, consonne constrictive liquide qui meurt dans un souffle et, en expirant, nous trompe magistralement : l’Histoire ? au singulier ? Y en aurait-il une seule ? … un seul récit au monde ? Et si nos malheurs venaient de l’emploi de cet article mutilé et qui ment ?)
L’Histoire…
(La nôtre ou la vôtre ?)
L’Histoire, c’est la grande concasseuse, machine aveugle qui broie, ingère et puis rejette, brisés, de part et d’autre d’un grand partage, les corps de ces pantins qui s’étaient crus hommes, chacun maître de son destin, seulement préoccupé de vivre, de mener une vie qui en vaudrait la peine, qui aurait saveur à défaut de sens, accomplie comme l’œuvre d’art qui réjouit l’œil sans qu’on lui demande de dénouer une énigme, sans qu’on exige d’elle qu’elle nous parle de Dieu, de l’Homme, des fins dernières.



- Bon, soyons sérieux. Tu es sûr que tu es prêt à ça, toi ? Vivre avec mes petites manies qui peuvent devenir irritantes, à la fin ?(…)
- Quelle fin ?
- C’est juste une expression. « A la fin, à la longue… » Tu sais bien ce que je veux dire : et si la vie quotidienne nous bouffe… nous gâche… ? (…)
- Nous gâche quoi ? La vie nous gâche … la vie ? C’est profond ça…



- (…) On est libres de faire machine arrière, de changer d’envie…
- Changer de quoi ?
- Changer d’avis.
- Tu as dit : changer d’envie. C’est juste une envie ? Ça passe vite…


C’est important, l’imaginaire des peuples. Ce monde d’idées parfois fausses, de constructions paradoxales, de mythes et de préjugés est parfois plus réel, par ses effets, que le monde réel, « la totalité des faits ».
Ce n’est pas après avoir considéré « la totalité des faits » que des jeunes gens se font jihadistes, font allégeance à un calife de cauchemar et vont se faire exploser dans la foule, à Samarra ou à Irbil.
Mais il n'y a pas à barguigner : Les Sept Piliers de la sagesse est un chef-d'œuvre, même si certaines formulations nous semblent un peu baroques aujourd'hui. On y trouve ce genre de phrase, où la réflexion se pare des beaux atours du style : « Nous avions travaillé désespérément à labourer un sol en friche, tentant de faire croître une nationalité sur une terre où régnait la certitude religieuse, l’arbre de certitude au feuillage empoisonné qui interdit tout espoir. »
(Belle prémonition… S’il avait pu voir la catastrophe actuelle…)



Mais personne n’a raison ! Tout le monde a raison ! La question n’a pas de sens : l’important, c’est de constater qu’il y a deux récits différents. Deux Lawrence, en somme.



C’en était fini de cet aspect-là du plan de Lawrence : une Syrie indépendante.
- Il y croyait vraiment ?
On ne sait pas. Lui-même écrivit : « Si nous gagnons la guerre, les promesses faites aux Arabes ne seront qu’un chiffon de papier. »
- C’est du cynisme.
Non : de la lucidité.



Abattez vos cartes, monsieur !
Mes cartes ? Belle ambiguïté… Vous parlez sans doute de cartes de jeu et tout s’est joué autour de cartes géographiques… Soit, abattons nos cartes ! De jeu, de géographes, de stratèges, d’hommes politiques…



Dans le récit arabe, « une nation a solennellement promis à une autre le territoire d’une troisième. » (Koestler)
Dans le récit européen, la lettre de Balfour allait permettre un miracle moderne, la résurrection d’Israël après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, après la destruction des Juifs d’Europe (Hilberg) - … par des Européens.
- « Un désastre », « un miracle » ? Précisez, monsieur ! Qui a tort, qui a raison ?
Personne. Tout le monde. Rien n’est simple ni singulier. Un récit est-il faux, est-il vrai ? Nous sommes en deçà de la vérité, ou au-delà.
- Mais enfin, quel est le « bon » récit ?
La question n’a pas de sens.
- Qui a tort ?
A vous de me le dire.
- Qui a raison ?
Les deux protagonistes.
- Vous plaisantez ?
Non. C’est bien là le drame.



La promesse qui, dans un récit, n’a (peut-être) jamais été faite et qui, dans l’autre, n’a pas été tenue – où l’on voit combien il sera difficile de concilier les deux récits sans faire violence à la logique du tiers exclu.


On en reviendra toujours à ce qui s’est passé au début du XXe siècle, à ces promesse consignées dans les archives ou chuchotées sous une tente, à ces lignes tracées sur la carte, à ces accords qui n’en sont pas, à ces lettres qui disent ce qu’on veut et n’engagent que ceux qui les lisent, à ce trou noir massif autour duquel gravite le récit arabe – mais trou noir invisible par définition dans le récit européen.


- C’est un bus, on est d’accord. Ce n’est pas un chameau, non ? On est à Paris, pas à Médine au temps des dromadaires ? Ou à Fqih Ben Salah au temps de feu le haj Hassan, notre grand-père commun ? (…)
- Et alors ? La religion, c’est pour toujours, c’est pour … pour partout. Dans les deux mondes : al-‘âlamayn
- C’est quoi, les deux mondes ?
- Eh bien, c’est ici et après. La vie qu’on mène ici-bas et puis l’au-delà, comme disent les Français.
- Comme disent aussi les Sénégalais et les Québécois.
- (…)al-‘âlamayn, ce n’est pas du tout ce que tu dis. Ce n’est pas « la vie ici » et « la vie après la mort ». Al-‘âlamayn, ça signifie : le monde des hommes…
il fit un grand geste des deux bras comme s’il voulait étreindre tout l’univers, ou au moins Paris.
- … et le monde des djinns, un truc mystérieux, un univers parallèle que personne n’a jamais vu mais auquel il faut quand même croire. En plus, les djinns peuvent passer de l’un à l’autre (…)
- Tu es sûr ?
- Certain. Ça me fascinera toujours, les gens comme toi…
Il enfonça l’index dans la poitrine de son cousin.
- … qui parlent tout le temps d’islam sans y connaître grand-chose.
Brahim, piqué au vif, revint à la charge.
- J’en sais assez pour te dire que ce que tu fais n’est pas normal. Tu n’as pas répondu à ma question : comment peux-tu respecter une femme si elle vit avec toi sans être ton épouse ? La nuit, elle… elle… couche avec toi, un homme qui n’est pas son mari, et le lendemain, tu prends le petit déjeuner avec elle ? … comme si de rien n’était ?
Ali se mit à rire.
- Mais attends, la situation est symétrique !
- Ch’nou (Quoi) ? Je ne comprends pas.
- Je ne suis pas marié, moi non plus. Selon ton raisonnement, elle ne devrait pas me respecter puisque je vis avec elle sans être marié. Tu me suis ?
Brahim prit un air scandalisé.
- Ah non, ah non ! Ce n’est pas la même chose !
Ali, sûr de son avantage, se contenta de lasser tomber du coin des lèvres, froidement :
- Pourquoi ?
Il connaissait le pouvoir de ce simple adverbe, prononcé ainsi, apparemment sans passion : pouvoir de dissolution de tous les dogmes, de tous les fanatismes…
(…)
- Ça va, j’ai compris, je ne suis pas complètement idiot. En gros, la clé d’or, celle que tu as entre les jambes, peut ouvrir cent coffres sans s’altérer, sans que ça se voie, mais le coffre, une fois forcé, défoncé, c’est fini, on ne peut plus le réparer. Subtile, la métaphore. Très délicate. Bravo !




Je crois que, finalement, ça n’aurait pas mieux marché si je m’étais mise avec un Français « de souche », comme on dit. « De souche »… Drôle d’expression… Comme si on était des arbres. Vous êtes bizarres, vous les Français…
(…) Bon alors, on bizarres, bous, les Français. On parle de « souche » comme si c’était l’idéal, d’être enraciné dans le sol, bien profond, immobile… Et en même temps, on dit « l’homme aux semelles de vent » pour Rimbaud. Avec admiration… Les semelles de vent, c’est quand même le contraire de la souche, non ? Et tout le monde a rêvé un jour d’être Rimbaud, même le type qui vote Front national depuis ses premières couches-culottes… Enfin, tu vois la contradiction ?




… et ton père qui a fait l’Algérie, dans les paras. « Fait » l’Algérie… Carrément ! On « fait » tout un pays, désert copris, avec les regs et les ergs.



Our les Egyptiens, leur propre révolution, celle de juillet 1952n qui avait aboli une monarchie pour lui substituer une république (tiens, tiens…), fut l’événement fondateur de la libération du monde arabe. L’Histoire se mettait – enfin ! - - en mouvement dans le bon sens, après les trahisons et les humiliations des siècles passés.
On ne comprend rien au monde arabe si on n’étudie pas cette révolution du 23 juillet et les discours de celui qui en devient le chef deux ans plus tard, Nasser. Pour lui, il répéta à plusieurs reprises, l’Egypte ne se sentirait pas vraiment libre tant qu’un pouce du monde arabe serait encore occupé par des forces étrangères.
Et où cette occupation était-elle la plus enracinée ?
Au Maghreb
Nasser : « La libération du Maghreb, la partie la plus étroitement dominée, la plus profondément colonisée de notre nation, est prioritaire. »
Quand le colon français demandait avec rage, avec désespoir : « Qui a planté les arbres, dans ce pays, qui y a défriché la terre ? », Radio Le Caire rétorquait : « Qui t’a rendu maître de cette terre ? »
Deux récits du monde…



- Oui, mais bon, je ne prends pas ça pour du racisme. C’était juste de l’ignorance, de la maladresse… Parfois, c’était même de la curiosité, un vrai intérêt pour une autre culture… il ne faut pas tout confondre.
- Tu es trop bonne pour ce monde cruel.



- Je te l’ai dit : ils ont la peau épaisse. Il en faut quand on entend des expressions du type : « Qu’est-ce que c’est que ce travail d’Arabe ? » On le dit parfois en ma présence, en rigolant, entre copains ou collègues, genre : « On n’est pas racistes, tu vois bien, on utilise cette expression alors que tu es là. »
- Drôle de logique…
- J’ai envie de leur dire : vous avez vu l’Alhambra, à Grenade, la grande mosquée de Cordoue, les palais de Marrakech ? Ça c’est du travail d’Arabe… Et le pire, ce sont ceux qui n’osent même pas prononcer le mot « arabe », comme s’il s’était contaminé, souillé… Même le
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« - Voici une question cruciale : quand est-on vraiment étranger dans un pays ?
Ali le regarda sans répondre, l'air interrogateur.
Eh bien, continua Hamid, c'est quand on ne fait pas partie du récit national.
C'est quoi, le récit national ?
Le professeur se tut un instant, puis il reprit.
Tu sais qu'il y a eu, il y a quelques mois, un colloque d'historiens à la Sorbonne organisé par notre chère Najat, la ministre ? Ils devaient réfléchir à la question suivante : "L'Histoire est-elle une science sociale, un récit ou un roman national ?" […]
[…]
Il y a donc un roman national, écrit par Lavisse ou par un autre, peu importe, et la question est de savoir si tu t'y reconnais ou non. Si la réponse est non, alors tu es un étranger.
Ali restait silencieux. Hamid continua.
De toute façon, pour toi et moi, tout cela n'a pas trop d'importance. On peut se rattacher à un autre roman national. Le vrai problème, ce sont les p'tits gars de banlieue, les petits Rachid, Mamadou et Fatima qui sont nés et ont grandi ici... Ils n'ont pas le choix, eux. S'ils ne se reconnaissent pas dans le roman national, ils sont où ? Ils sont qui ?
Un large sourire éclaira sa face.
Tu me diras qu'il y a le foot... Comment on disait, en 1998 ? "Black, Blanc, Beur"... La France championne du monde, c'est Vercingétorix et Napoléon qui continuent, droit au but !... et tous les p'tits gars de banlieue peuvent y croire. On n'est plus dans le roman mais dans la bande dessinnée nationale... […]

[…]
Donc, ce qui est en train de changer, c'est ça : il ne peut plus y avoir un roman national à l'ancienne, à la Lavisse. Pourquoi ? C'est simple : Internet et les télés satellitaires ! Ce sont d'autres romans nationaux qui circulent là-dedans. Imagine que tu sois français mais que tes parents viennent d'ailleurs, du Maroc ou d'Algérie, par exemple. On te raconte le fameux roman national à l'école mais, chez toi, la télé est branchée en permanence sur des chaînes en arabe, du Qatar, d'Egypte ou du Maroc. […] » (pp. 141, 143, 145)
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Elle reposa sa tasse découragée.
- Bon, qu'est-ce que tu voulais me dire?
De nouveau, les lèvres de Brahim bougèrent sans qu'il prononçât un mot. Puis il se lança.
- Tu me parles toujours de mon influence sur Ali. Ma mauvaise influence...
Il s'arrêta, puis murmura tristement:
- Si je pouvais trouver les mots, Malika...
- Ne t'en fais pas, je sais lire entre les lignes... entre les mots.
Il but une gorgée de café puis reprit:
- Tu as prétendu que ce que disait Ali, sous mon influence, n'avait aucun sens.
Il cherchait une confirmation dans le regard de Malika.
Elle murmura:
- C'est possible.
- Aucun sens? Mais c'est justement ça que je cherche: le sens... Comment vivre, sinon? Alors oui, je suis ce qu'on appelle... euh, un musulman "pratiquant". Et alors? Il n'y a pas de juif pratiquant, de chrétien pratiquant? d'hindou pratiquant? Mais eux, on ne leur dit rien, on les laisse faire. On les respecte! On respecte les prêtres, les rabbins, on leur fait des politesses. Même les athées disent: "Sa Sainteté le pape". Ou bien: "les bonnes sœurs". Je les entends, à la télé.
[...]
Et cette polémique sur la viande halal... Est-ce qu'ils savent que nous pouvons manger tout ce que les juifs mangent et rien d'autre? Casher, halal, c'est la même chose, mais il n'y en a que pour nous! On ne tape que sur nous! C'est de l'islamophobie.
Il avala une gorgée de café.
- Oui, j'ai besoin d'avoir un sens dans ma vie. Il faut un sens, quelque chose qui me... qui me dépasse. Sinon, qui suis-je? Un corps, un animal? Un singe habillé? Habillé. Oui, ce n'est pas moi qui ferais un strip-tease devant des inconnus! Claire, ton amie... Tu sais ce qu'elle est? Elle est désorientée. Dé-so-rien-tée! Moi, j'ai mon Orient. Je sais où elle est, l'étoile qui me guide: c'est le Livre. Le Coran. Je sais d'où je viens, je sais où je vais. Je sais ce que je dois faire. Est-ce un crime?
Il avait l'air de réciter un texte appris par cœur. Il n'était pas si éloquent, d'habitude. Malika répliqua posément:
- Non, ce n'est pas un crime. Personne ne dit ça! Tu fais ce que tu veux, tu crois ce que tu veux. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est: pourquoi veux-tu imposer aux autres tes croyances, ton mode de vie?
Brahim cria presque:
- Parce que ça fait partie de ma foi! Je dois montrer aux autres le droit chemin! Les chrétiens disent "annoncer l’Évangile". C'est la même chose, non? Moi, j'annonce le Coran...
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Quelques instants plus tard, Hamid revint, s'exclamant:
- Mais j'y pense, il faut justement que je te parle d'al-Biruni! Je viens de lire un bouquin formidable... [...]
Voilà ce que disait al-Biruni... Tu vois qui c'est ?
- Il y a une rue al-Burini à Rabat.
- Il y en a une dans toutes les capitales des pays arabes et sans doute en Iran et en Turquie. Le bonhomme a calculé la circonférence exacte de la Terre au Xè siècle alors que la plupart des habitants de la planète ne savaient pas qu'elle était ronde. Bref, voilà ce qu'il écrivait (je traduis): "Les extrémistes religieux vont traiter la science d'athée et lui reprocher de... dévier, dérouter le peuple du droit chemin et ils vont faire cela pour que les gens restent dans leur état d'ignorance. Les extrémistes pourront ainsi dissimuler leur propre ignorance en détruisant la science... et les scientifiques." Inouï, non? Le gars a écrit ça il y a mille ans, mais on dirait qu'il parle des islamistes les plus bornés d'aujourd'hui!
Ali ne répondit rien. Il finit de boire sa tasse de café et se leva.
Hamid en était à la péroraison. Il avait les deux bras en l'air et les agitait comme un chef d'orchestre.
- Tu imagines comment les enfants d'immigrés se sentiraient si on leur apprenait officiellement, dans le cadre des programmes scolaires, tout cela? Tu te souviens de la formule de Chevènement? Il parlait d'estime de soi. Imagine l'estime de soi que pourraient ressentir le petit Khalid de Trappes ou la petite Naïma de Clichy si le roman national s'ouvraient à leurs ancêtres?
Ali sortit de sa léthargie pour murmurer:
- Oui, je l'imagine. Mais ça n'empêche pas...
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Vidéo de Fouad Laroui
Insatiable arpenteur de la planète, assoiffé de connaissances, dévoreur impénitent de toutes formes de textes, Fouad Laroui manifeste dans chacun de ses livres son émerveillement face à la beauté de la vie. Dans ce recueil de chroniques cursives, lapidaires et lumineuses, il vante l'intelligence intarissable des êtres humains et pourfend, dans un même mouvement, leur insondable stupidité. Un régal !
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