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EAN : 9782877142281
315 pages
Booking international (06/07/2004)
4.11/5   784 notes
Résumé :
Les amples strophes des six Chants de Maldoror, sorte d'épopée de la peur, des ténèbres et du mal, sont sans doute une oeuvre inclassable. Mais redécouvert par les surréalistes au début du siècle, largement commenté dans les années 60-70, le livre est devenu un classique, en même temps que les Poésies, ensemble de maximes et de réflexions sur la littérature qui ont été réinterprétées comme un texte essentiel de poétique et de critique. Cette édition, due à Jean-luc ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (48) Voir plus Ajouter une critique
4,11

sur 784 notes
Voila sans doute le bouquin le plus délirant qu'il m'ait jamais été donné d'ouvrir. Il serait totalement vain d'essayer de le faire rentrer dans une case.

Il y a un auteur dont on ne sait pratiquement rien, mais qui visiblement était un esprit brillant et doté d'une grande culture. Et par moment on se demande s'il n'a pas décidé de se payer subtilement la tête de son lecteur.

Les Chants font intervenir un très vaste vocabulaire, des descriptions minutieuses, et des visions d'une horreur totale. Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver pour qu'il ait des idées pareilles ? Est-ce qu'il s'est donné comme défi de faire vomir son lecteur ?

Les textes s'enchainent avec une absence si complète de logique, et sont eux-même d'un manque si absolu de signification au premier abord, que résumer le livre relève du défi. Au second abord... Et bien on ne comprend pas plus. On dirait une oeuvre de cette "folie lucide" qu'aimaient tant les psychologues de l'époque.

On mesure la qualité d'écriture de l'auteur, on perçoit son ironie. Et on le regarde avec effarement étaler ses idées sur le papier.
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La claque magistrale de mes quinze ans.
A cet âge où je me figurais découvrir le monde par la littérature, ce hurlement flamboyant de fureur et de violence qui m'a sauté au visage comme un démon délirant aurait eu de quoi me faire fuir et, de peur, refermer pour toujours l'univers des livres comme porte sur le monde.
Il n'en fut rien heureusement, et trente ans après c'est encore la beauté exaltée et vénéneuse qui me reste de ce texte unique et fou, qui compte parmi les incontournables.
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Quelques mois d'études et réflexions sur l'oeuvre n'ont pas épuisé le sujet... Nous avions même pondu avec un ami quelque 100 pages sur le thème du cercle, du cycle et de l'ouragan, c'est dire !

Les chants sont ce qui a été écrit de plus définitif dans notre belle langue: le cri ultime de l'homme entre l'ange et la bête, l'effroyable condamnation de qui se rend compte qu'à décrire son semblable, il plonge dans un tourbillon (encore lui) indescriptible ou rien ne prendra forme, rien n'arrivera à sa fin, ne se structurera selon une pensée saine et consistante, rien de bon ne sortira sans son contraire.

Lautréamont, comme Diderot Dailleurs, a aussi touché du bout de sa plume un autre mystère de l'homo scribens à savoir que rien non plus ne s'écrira sans le lecteur. Aussi les Chants sont-ils avant tout un long dialogue avec un lecteur inéluctablement complice de la perversité décrite.

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« L'aurore s'élève bleuâtre, cherchant la lumière dans les replis de satin du crépuscule, comme, moi, je recherche la bonté, excité par l'amour du bien »

À lire ceci, on pourrait croire que les Chants de Maldoror célèbrent l'Idéal romantique exprimé ici par la jeunesse et l'aurore. Mais le personnage de ces chants dit simplement adieu à sa vie antérieure, quand il était encore un autre, fraîchement embarqué dans le fleuve de l'existence : l'autre est amont. Maldoror, lui est déjà désabusé : « je sens déjà que la bonté n'est qu'un assemblage de syllabes sonores ; je ne l'ai trouvée nulle part ». le romantisme s'évanouit comme un rêve désuet, et l'aurore n'éclaire plus que la voie du mal : celle de Maldoror, personnage mis en scène par Isidore Ducasse, devenu pour l'occasion (et pour la postérité) Lautréamont. Cette diffraction du sujet lyrique semble contredire le passage où il affirme (en anticipant inconsciemment l'arrivée imminente de Rimbaud et de son « je est un autre ») : « Si j'existe, je ne suis pas un autre. Je n'admets pas en moi cette équivoque pluralité. Je veux résider seul dans mon intime raisonnement. L'autonomie… ou bien qu'on me change en hippopotame. »

Voilà qu'un animal impromptu débarque pour emporter aussitôt la pensée du poète vers des rivages exotiques, probablement ceux de l'Uruguay natal. Une folie bestiale échauffe l'esprit comme dans la moiteur tropicale et menace en permanence la cohérence de la parole poétique. Les animaux foisonnent, surtout ceux qui peuplent les océans. Les pages sont striées de sillages d'ailerons de requins et de baleines, surmontant des tourbillons de poissons, de crabes tourteaux… et de poulpes, un animal fétiche dont les ventouses se plaquent sur l'humanité pour en aspirer ce qu'elle a de plus monstrueux, et le porter à son plus haut degré.

Maldoror, se veut « pilleur d'épaves célestes ». Il trouve sa subsistance dans le naufrage de l'Idéal. Et il y contribue, en abattant les marins rescapés qui parviennent à se rapprocher du rivage. Ces marins pourraient représenter les auteurs romantiques comme Lamartine ou Byron, car leurs textes sont pastichés et parodiés à l'envi par Lautréamont, pour des résultats emplis de cruauté, qui en évacuent les complaintes sentimentales. Maldoror se vante d'avoir décapité sa conscience, et se veut désormais inhumain. Il se place à dessein à l'écart de ses semblables, du côté de l'océan, dont il cherche à venger la beauté souillée par le contraste que l'homme forme avec lui : « le plus ironique contraste, l'antithèse la plus bouffonne que l'on ait jamais vue dans la création ».

Il faut noter que jusqu'à une période pas si ancienne, l'océan et ses monstres marins étaient source d'une horreur métaphysique, en tant qu'avatars du chaos primitif ayant précédé la Création. En étant dévoré par un de ces monstres, on sortait du royaume de Dieu et on perdait non seulement sa vie mais aussi son âme.

Or, cette âme, Maldoror la vend au « vieil océan », envisagé comme la demeure du prince des ténèbres, lors d'une ode passionnée. Il ressort de cette communion avec les abîmes transformé en monstre tentaculaire : un poulpe géant qui vampirise un Créateur corrompu par ce contact impie*. Vidée de son sang, l'âme divine est abandonnée « au crabe de la débauche, au poulpe de la faiblesse de caractère, au requin de l'abjection individuelle, au boa de la morale absente, et au colimaçon monstrueux de l'idiotisme ! »

Ayant recrée Dieu à son image, Maldoror est laissé libre de contempler l'océan, en tant que son idéal propre. Ce dernier est décrit comme un « grand célibataire » « éternellement fécond ». Il n'engendre que lui même, en continu et à l'infini. Au chant 2, ce paradoxe devient une union contre nature entre Maldoror et la femelle requin, reflet fidèle de la férocité du premier. Les corps unis sont « emportés par un courant sous-marin comme dans un berceau », annonçant la naissance de l'hybride homme-poisson qui sera décrit au chant 4, comme un corps rêvé.

L'océan ayant montré la voie, c'est tout le règne animal qui fusionne avec Maldoror, dans des cohabitations inconfortables, visant toujours à éloigner du corps humain, y compris de sa langue. Car la langue De Lautréamont est boursoufflée par des phrases d'une longueur aussi asphyxiantes qu'une plongée vers les abysses. On y trouve un lexique fantaisiste, pillant parfois des termes savants, voire des descriptions entières dans des ouvrages zoologiques. le choix de certaines éditions accentue l'étrangeté fondamentale de cette poésie, en laissant subsister quelques fautes d'orthographe de l'édition initiale, comme autant de verrues sur cette langue contrefaite.

La métamorphose devient peu à peu la norme, comme au début du chant 5, où un homme changé en scarabée roule en une boule monstrueuse les restes de la Circée moderne responsable de sa transformation, devant d'autres victimes en forme d'oiseaux, parmi lesquelles un homme à tête de pélican qui ne déparerait pas à côté de la Toilette de la mariée de Max Ernst, et dont la description est un exemple (modéré !) des bizarreries lexicales De Lautréamont : « beau comme les deux longs filaments tentaculiformes d'un insecte ; ou plutôt, comme une inhumation précipitée ; ou encore, comme la loi de la reconstitution des organes mutilés ; et surtout, comme un liquide éminemment putrescible »

Le rapprochement avec Max Ernst s'impose d'autant plus que l'imagination chaotique De Lautréamont influença fortement les surréalistes. Toutefois, ses méthodes de distorsion des formes établies, de collages et de citations parodiques des romantiques peuvent tout aussi bien constituer un embryon du post-modernisme. Lautréamont anticipe, se joue de tout, même de l'avenir… Mais, comme le crabe, il le fait avec le sérieux du pince sans rire. Il refuse le « sourire stupidement railleurs de l'homme à la figure de canard », qui incarne à ses yeux l'antithèse de la poésie : « rien n'est risible dans cette planète. Planète cocasse mais superbe ».

* précisons que la monstruosité d'Isidore Ducasse est pathologique. Elle a vocation à contaminer ses victimes pour les rendre étrangères à elles-mêmes. C'est sans doute pourquoi, une fois les Chants de Maldoror achevés, il s'acharna, durant les derniers moments de sa courte vie à réécrire les aphorismes de certains moralistes, Pascal notamment, pour disloquer le sens pessimiste de leurs maximes et leur faire « chanter l'espoir ». Avec ces Poésies, Ducasse aboutit ainsi à un résultat qui n'est pas forcément moins vrai que l'original, et procure plus de réconfort, dans une accumulation de sentences fidèle à sa poétique de l'excès, bien qu'elles se décident finalement à encourager l'humanité au lieu de la maudire. La voie du bien est retrouvée à la faveur d'une ultime métamorphose.
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Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, « Les chants de Maldoror » : je rencontre cet opus, à l'adolescence, il me semble, dans un roman de Troyat, « Les Eygletières » dont c'était le livre de chevet d'un des protagonistes …
De nombreuses citations émaillent en effet le roman ; des citations bizarres autant qu'étranges… sulfureuses… Vite, le libraire ! Il faut lire ça en intégralité : six « chants », divisés en 60 versets… C'est long...

Quarante ans plus tard, je n'ai toujours pas terminé cette lecture fastidieuse ; le sera-t-elle un jour ? J'en doute fort, tant le côté misanthrope jusqu'à l'outrance du texte me dérange. Ajoutons à cela mes difficultés avec tout ce qui touche de près ou de loin au surréalisme ; alors ici face à ce surréalisme gothique avant l'heure… Hum !
Il n'en reste pas moins que de temps à autre, au détour d'un rangement de bibliothèque, je « m'en refais » quelques pages, toujours aussi malaisées…

Il faut de tout, mais force est de constater que ce genre d'ouvrage ne me touche pas…
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Citations et extraits (123) Voir plus Ajouter une citation
Ô pédérastes incompréhensibles, ce n’est pas moi qui lancerai des injures à votre grande dégradation ; ce n’est pas moi qui viendrai jeter le mépris sur votre anus infundibuliforme. Il suffit que les maladies honteuses, et presque incurables, qui vous assiègent, portent avec elles leur immanquable châtiment. Législateurs d’institutions stupides, inventeurs d’une morale étroite, éloignez-vous de moi, car je suis une âme impartiale.

Et vous, jeunes adolescents ou plutôt jeunes filles, expliquez-moi comment et pourquoi (mais, tenez-vous à une convenable distance, car, moi non plus, je ne sais pas résister à mes passions) la vengeance a germé dans vos cœurs, pour avoir attaché au flanc de l’humanité une pareille couronne de blessures. Vous la faites rougir de ses fils par votre conduite (que, moi, je vénère !) ; votre prostitution, s’offrant au premier venu, exerce la logique des penseurs les plus profonds, tandis que votre sensibilité exagérée comble la mesure de la stupéfaction de la femme elle-même.

Êtes-vous d’une nature moins ou plus terrestre que celle de vos semblables ? Possédez-vous un sixième sens qui nous manque ? Ne mentez pas, et dites ce que vous pensez. Ce n’est pas une interrogation que je vous pose ; car, depuis que je fréquente en observateur la sublimité de vos intelligences grandioses, je sais à quoi m’en tenir. Soyez bénis par ma main gauche, soyez sanctifiés par ma main droite, anges protégés par mon amour universel. Je baise votre visage, je baise votre poitrine, je baise, avec mes lèvres suaves, les diverses parties de votre corps harmonieux et parfumé. Que ne m’aviez-vous dit tout de suite ce que vous étiez, cristallisations d’une beauté morale supérieure ? Il a fallu que je devinasse par moi-même les innombrables trésors de tendresse et de chasteté que recélaient les battements de votre cœur oppressé. Poitrine ornée de guirlandes de roses et de vétyver.

Il a fallu que j’entr’ouvrisse vos jambes pour vous connaître et que ma bouche se suspendît aux insignes de votre pudeur. Mais (chose importante à représenter) n’oubliez pas chaque jour de laver la peau de vos parties, avec de l’eau chaude, car, sinon, des chancres vénériens pousseraient infailliblement sur les commissures fendues de mes lèvres inassouvies. Oh ! si au lieu d’être un enfer, l’univers n’avait été qu’un céleste anus immense, regardez le geste que je fais du côté de mon bas-ventre : oui, j’aurais enfoncé ma verge, à travers son sphyncter sanglant, fracassant, par mes mouvements impétueux, les propres parois de son bassin ! Le malheur n’aurait pas alors soufflé, sur mes yeux aveuglés, des dunes entières de sable mouvant ; j’aurais découvert l’endroit souterrain où gît la vérité endormie, et les fleuves de mon sperme visqueux auraient trouvé de la sorte un océan où se précipiter !

Mais, pourquoi me surprends-je à regretter un état de choses imaginaire et qui ne recevra jamais le cachet de son accomplissement ultérieur ? Ne nous donnons pas la peine de construire de fugitives hypothèses. En attendant, que celui qui brûle de l’ardeur de partager mon lit vienne me trouver ; mais, je mets une condition rigoureuse à mon hospitalité : il faut qu’il n’ait pas plus de quinze ans. Qu’il ne croie pas de son côté que j’en ai trente ; qu’est-ce que cela y fait ? L’âge ne diminue pas l’intensité des sentiments, loin de là ; et, quoique mes cheveux soient devenus blancs comme la neige, ce n’est pas à cause de la vieillesse : c’est, au contraire, pour le motif que vous savez.

Moi, je n’aime pas les femmes ! Ni même les hermaphrodites ! Il me faut des êtres qui me ressemblent, sur le front desquels la noblesse humaine soit marquée en caractères plus tranchés et ineffaçables ! Êtes-vous certain que celles qui portent de longs cheveux, soient de la même nature que la mienne ? Je ne le crois pas, et je ne déserterai pas mon opinion. Une salive saumâtre coule de ma bouche, je ne sais pas pourquoi. Qui veut me la sucer, afin que j’en sois débarrassé ? Elle monte… elle monte toujours ! Je sais ce que c’est. J’ai remarqué que, lorsque je bois à la gorge le sang de ceux qui se couchent à côté de moi (c’est à tort que l’on me suppose vampire, puisqu’on appelle ainsi des morts qui sortent de leur tombeau ; or, moi, je suis un vivant), j’en rejette le lendemain une partie par la bouche : voilà l’explication de la salive infecte. Que voulez-vous que j’y fasse, si les organes, affaiblis par le vice, se refusent à l’accomplissement des fonctions de la nutrition ? Mais, ne révélez mes confidences à personne. Ce n’est pas pour moi que je vous dis cela ; c’est pour vous-même et les autres, afin que le prestige du secret retienne dans les limites du devoir et de la vertu ceux qui, aimantés par l’électricité de l’inconnu, seraient tentés de m’imiter.

Ayez la bonté de regarder ma bouche (pour le moment, je n’ai pas le temps d’employer une formule plus longue de politesse) ; elle vous frappe au premier abord par l’apparence de sa structure, sans mettre le serpent dans vos comparaisons ; c’est que j’en contracte le tissu jusqu’à la dernière réduction, afin de faire croire que je possède un caractère froid. Vous n’ignorez pas qu’il est diamétralement opposé. Que ne puis-je regarder à travers ces pages séraphiques le visage de celui qui me lit. S’il n’a pas dépassé la puberté, qu’il s’approche. Serre-moi contre toi, et ne crains pas de me faire du mal ; rétrécissons progressivement les liens de nos muscles. Davantage. Je sens qu’il est inutile d’insister ; l’opacité, remarquable à plus d’un titre, de cette feuille de papier, est un empêchement des plus considérables à l’opération de notre complète jonction. Moi, j’ai toujours éprouvé un caprice infâme pour la pâle jeunesse des collèges, et les enfants étiolés des manufactures ! Mes paroles ne sont pas les réminiscences d’un rêve, et j’aurai trop de souvenirs à débrouiller, si l’obligation m’était imposée de faire passer devant vos yeux les événements qui pourraient affermir de leur témoignage la véracité de ma douloureuse affirmation.

La justice humaine ne m’a pas encore surpris en flagrant délit, malgré l’incontestable habileté de ses agents. J’ai même assassiné (il n’y a pas longtemps !) un pédéraste qui ne se prêtait pas suffisamment à ma passion ; j’ai jeté son cadavre dans un puits abandonné, et l’on n’a pas de preuves décisives contre moi. Pourquoi frémissez-vous de peur, adolescent qui me lisez ? Croyez-vous que je veuille en faire autant envers vous ? Vous vous montrez souverainement injuste… Vous avez raison : méfiez-vous de moi, surtout si vous êtes beau. Mes parties offrent éternellement le spectacle lugubre de la turgescence ; nul ne peut soutenir (et combien ne s’en ont-ils pas approchés !) qu’il les a vues à l’état de tranquillité normale, pas même le décrotteur qui m’y porta un coup de couteau dans un moment de délire. L’ingrat ! Je change de vêtements deux fois par semaine, la propreté n’étant pas le principal motif de ma détermination. Si je n’agissais pas ainsi, les membres de l’humanité disparaîtraient au bout de quelques jours, dans des combats prolongés. En effet, dans quelque contrée que je me trouve, ils me harcèlent continuellement de leur présence et viennent lécher la surface de mes pieds. Mais, quelle puissance possèdent-elles donc, mes gouttes séminales, pour attirer vers elles tout ce qui respire par des nerfs olfactifs ! Ils viennent des bords des Amazones, ils traversent les vallées qu’arrose le Gange, ils abandonnent le lichen polaire, pour accomplir de longs voyages à ma recherche, et demander aux cités immobiles, si elles n’ont pas vu passer, un instant, le long de leurs remparts, celui dont le sperme sacré embaume les montagnes, les lacs, les bruyères, les forêts, les promontoires et la vastitude des mers !

Le désespoir de ne pas pouvoir me rencontrer (je me cache secrètement dans les endroits les plus inaccessibles, afin d’alimenter leur ardeur) les porte aux actes les plus regrettables. Ils se mettent trois cent mille de chaque côté, et les mugissements des canons servent de prélude à la bataille. Toutes les ailes s’ébranlent à la fois, comme un seul guerrier. Les carrés se forment et tombent aussitôt pour ne plus se relever. Les chevaux effarés s’enfuient dans toutes les directions. Les boulets labourent le sol, comme des météores implacables. Le théâtre du combat n’est plus qu’un vaste champ de carnage, quand la nuit révèle sa présence et que la lune silencieuse apparaît entre les déchirures d’un nuage. Me montrant du doigt un espace de plusieurs lieues recouvert de cadavres, le croissant vaporeux de cet astre m’ordonne de prendre un instant, comme le sujet de méditatives réflexions, les conséquences funestes qu’entraîne, après lui, l’inexplicable talisman enchanteur que la Providence m’accorda. Malheureusement que de siècles ne faudra-t-il pas encore, avant que la race humaine périsse entièrement par mon piège perfide !

C’est ainsi qu’un esprit habile, et qui ne se vante pas, emploie, pour atteindre à ses fins, les moyens mêmes qui paraîtraient d’abord y porter un invincible obstacle. Toujours mon intelligence s’élève vers cette imposante question, et vous êtes témoin vous-même qu’il ne m’est plus possible de rester dans le sujet modeste qu’au commencement j’avais le dessein de traiter. Un dernier mot… c’était une nuit d’hiver. Pendant que la bise sifflait dans les sapins, le Créateur ouvrit sa porte au milieu des ténèbres et fit entrer un pédéraste.
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"Pour construire mécaniquement la cervelle d'un conte
somnifère, il ne suffit pas de disséquer des bêtises et
abrutir puissamment à doses renouvelées l'intelligence du
lecteur, de manière à rendre ses facultés paralytiques pour
le reste de sa vie, par la loi infaillible de la fatigue; il
faut, en outre, avec du bon fluide magnétique, le mettre
ingénieusement dans l'impossibilité somnambulique de se
mouvoir, en le forçant à obscurcir ses yeux contre son
naturel par la fixité des vôtres. Je veux dire, afin de ne
pas me faire mieux comprendre, mais seulement pour
développer ma pensée qui intéresse et agace en même temps
par une harmonie des plus pénétrantes, que je ne crois pas
qu'il soit nécessaire, pour arriver au but que l'on se
propose, d'inventer une poésie tout à fait en dehors de la
marche ordinaire de la nature, et dont le souffle pernicieux
semble bouleverser même les vérités absolues; mais, amener
un pareil résultat (conforme, du reste, aux règles de
l'esthétique, si l'on y réfléchit bien), cela n'est pas
aussi facile qu'on le pense: voilà ce que je voulais dire.
C'est pourquoi je ferai tous mes efforts pour y parvenir! Si
la mort arrête la maigreur fantastique des deux bras longs
de mes épaules, employés à l'écrasement lugubre de mon gypse
littéraire, je veux au moins que le lecteur en deuil puisse
se dire: « Il faut lui rendre justice. Il m'a beaucoup
crétinisé. Que n'aurait-il pas fait, s'il eût pu vivre
davantage! c'est le meilleur professeur d'hypnotisme que je
connaisse! » On gravera ces quelques mots touchants sur le
marbre de ma tombe, et mes mânes seront satisfaits!"
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« Hélas ! Qu’est-ce donc que le bien et le mal ! Est-ce une même chose par laquelle nous témoignons avec rage notre impuissance, et la passion d’atteindre à l’infini par les moyens même les plus insensés ? Ou bien sont-ce deux choses différentes ? Oui… que ce soit plutôt une même chose… car sinon que deviendrais-je au jour du jugement ! Adolescent, pardonne-moi ; c’est celui qui est devant ta figure noble et sacrée, qui a brisé tes os et déchiré les chairs qui pendent à différents endroits de ton corps. Est-ce un délire de ma raison malade, est-ce un instinct secret qui ne dépend pas de mes raisonnements, pareil à celui de l’aigle déchirant sa proie, qui m’a poussé à commettre ce crime ; et pourtant, autant que ma victime, je souffrais ! Adolescent, pardonne-moi. Une fois sorti de cette vie passagère, je veux que nous soyons entrelacés pendant l’éternité ; ne former qu’un seul être, ma bouche collée à ta bouche. Même, de cette manière, ma punition ne sera pas complète. Alors, tu me déchireras, sans jamais t’arrêter, avec les dents et les ongles à la fois. Je parerai mon corps de guirlandes embaumées, pour cet holocauste expiatoire ; et nous souffrirons tous les deux, moi, d’être déchiré, toi, de me déchirer… ma bouche collée à ta bouche. O adolescent, aux cheveux blonds, aux yeux si doux, feras-tu ce que je te conseille ? Malgré toi, je veux que tu le fasses, et tu rendras heureuse ma conscience. » Après avoir parlé ainsi, en même temps tu auras fait le mal à un être humain, et tu seras aimé du même être : c’est le bonheur le plus grand qu’on puisse concevoir. Plus tard, tu pourras le mettre à l’hôpital ; car le perclus ne pourra pas gagner sa vie. On t’appellera bon, et les couronnes de laurier et les médailles d’or cacheront tes pieds nus, épars sur la grande tombe, à la vieille figure. O toi dont je ne veux pas écrire le nom sur cette page qui consacre la sainteté du crime, je sais que ton pardon fut immense comme l’univers. Mais, moi, j’existe encore !
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— Mais qui donc !… mais qui donc ose, ici, comme un conspirateur, traîner les anneaux de son corps vers ma poitrine noire ? Qui que tu sois, excentrique python, par quel prétexte excuses-tu ta présence ridicule ? Est-ce un vaste remords qui te tourmente ? Car, vois-tu, boa, ta sauvage majesté n’a pas, je le suppose, l’exorbitante prétention de se soustraire à la comparaison que j’en fais avec les traits du criminel. Cette bave écumeuse et blanchâtre est, pour moi, le signe de la rage. Écoute-moi : sais-tu que ton œil est loin de boire un rayon céleste ? N’oublie pas que si ta présomptueuse cervelle m’a cru capable de t’offrir quelques paroles de consolation, ce ne peut être que par le motif d’une ignorance totalement dépourvue de connaissances physiognomoniques. Pendant un temps, bien entendu, suffisant, dirige la lueur de tes yeux vers ce que j’ai le droit, comme un autre, d’appeler mon visage ! Ne vois-tu pas comme il pleure ? Tu t’es trompé, basilic. Il est nécessaire que tu cherches ailleurs la triste ration de soulagement, que mon impuissance radicale te retranche, malgré les nombreuses protestations de ma bonne volonté. Oh ! quelle force, en phrases exprimable, fatalement t’entraîna vers ta perte ? Il est presque impossible que je m’habitue à ce raisonnement que tu ne comprennes pas que, plaquant sur le gazon rougi, d’un coup de mon talon, les courbes fuyantes de ta tête triangulaire, je pourrais pétrir un innommable mastic avec l’herbe de la savane et la chair de l’écrasé.
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Malheur au cachalot qui se battrait contre un pou. Il serait dévoré en un clin d'oeil, malgré sa taille. Il ne resterait pas la queue pour annoncer la nouvelle. L'éléphant se laisse caresser. Le pou, non. Je ne vous conseille pas de tenter cet essai périlleux. Gare à vous, si votre main est poilue, ou que seulement elle soit composée de chair. C'en est fait de vos doigts. Ils craqueront comme s'ils étaient à la torture. La peau disparaît par un étrange enchantement. Les poux sont incapables de commettre autant de mal que leur imagination en médite. Si vous trouvez un pou dans votre route, passez votre chemin, et ne lui léchez pas les papilles de la langue. Il vous arriverait quelque accident. Cela s'est vu. N'importe, je suis déjà content de la quantité de mal qu'il te fait, ô race humaine ; seulement, je voudrais qu'il t'en fît davantage.
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Vidéo de Comte de Lautréamont
La poétesse Eva Marzi a répondu au décalé et intimiste Questionnaire de Trousp, autant inspiré par celui de Proust que des questions de Bernard Pivot. N'hésitez-pas à rejoindre la page Facebook: https://www.facebook.com/Trousp/?ref=... Pour voir d'autres Questionnaires de Trousp: https://www.youtube.com/channel/UCN8p...
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0:00 Intro: Lecture de poèmes (Nuit scribe) 1:18 Dans quel contexte avez-vous écrit votre premier poème? 2:13 Que pensez-vous de cette citation? «La poésie doit être faite par tous. Non par un.» Lautréamont 2:52 Que pensez-vous de cette citation? «Il n'y a plus de solitude là où est la poésie.» Charles Ferdinand Ramuz 4:09 Quel est votre poète ou votre poème favori? 5:00 À quoi sert la poésie? 6:30 Comment construit-on un poème? 9:14 Pourquoi écrivez-vous de la poésie? 11:19 Remerciements
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