La Nef de mort
V
Construisez donc la nef de mort, car il vous faut faire
le plus long voyage, vers l'oubli.
Et mourir de la mort, de la longue et douloureuse mort
qui du vieux moi sépare le nouveau.
Déjà nos corps sont tombés, meurtris, méchamment
meurtris,
déjà nos âmes suintent par l’issue
de la cruelle meurtrissure.
Déjà l'océan noir et sans fin de la fin
pénètre par les brèches de nos blessures,
déjà le flot nous touche.
Ah construire votre nef de mort, votre petite arche
et pourvoyez - la de nourriture de galettes, de vin
pour la sombre descente vers l’oubli.
//Traduit de l’anglais par J.J. Mayoux
Désir de printemps
Extrait 9
Ah, si c’est vrai, si la vivante nuit du sang de l’homme prend teinte
de violette
si les violettes percent de dessous les ruines humaines, pourriture
de l’hiver écroulée,
le printemps viendra.
Prions de ne pas mourir sur ce Pigsa(1) fleuri de violettes.
Prions d’y survivre.
S’il vous vient une bouffée de violettes de l’ombre obscure de
l’humanité,
ce sera le printemps au monde
ce sera le printemps au monde des vivants
l’émerveillement qui s’organise, annoncé par les violettes,
l’émoi des saisons nouvelles.
Ah, que je ne meure pas au bord de telles promesses !
Que, pire encore, je ne me fasse pas illusion.
//Traduit de l’anglais par J.J. Mayoux
Je vous aimes, pourries,
Délicieuses pourritures.
J’aime vous aspirer hors de votre peau
Toutes brunes et douces et de suave venue,
Toutes morbides…
Sorbes, nèfles, merveilleuses sont les sensations infernales,
Orphique, délicat
Dionysos d’en bas.
Un baiser, un spasme d’adieu, un orgasme momentané de rupture
Puis seul, sur la route humide, jusqu’au prochain tournant,
Et là, un nouveau partenaire, à nouveau se quitter…
Une nouvelle ivresse de solitude parmi les feuilles périssantes glacées de gel.
-Nèfles et orbes -
Parfum d'iris
Un léger parfum d'iris nauséabond
persiste toute la matinée. Ici dans un bocal sur la table
Une belle pointe fière d'iris violets
S'élevant au-dessus de la litière de la classe, me rend incapable
De voir les visages levés et courbés de la classe
Sauf dans un motif brisé, au milieu de pourpre, d'or et de sable.
Je peux sentir la magnifique tourbière, dans son
éblouissement essoufflé de gouttes de mai, quand l'éblouissement du souci te couvre
avec du feu sur tes joues et ton front et ton menton pendant que tu plonges
ton visage dans le bouquet de souci, pour te toucher et te contraster ,
Ta propre bouche sombre avec les pâles blouses de mariée,
Dissous sur la sorcellerie dorée, tu ne devrais pas survivre.
Toi au milieu de l'incantation jaune de la tourbière,
Toi assis dans les couscous de la prairie au-dessus,
Moi, ton ombre sur la tourbière-flamme, gouttes de mai fleuries,
Moi de tout son long dans les couscous, marmonnant ton amour;
Toi, ton âme de dame en blouse, perdue, évanescente,
Toi au visage tout riche, comme l'éclat d'une colombe.
Vous demandez toujours, est-ce que je me souviens, me souviens
La tourbière de la renoncule où les fleurs s'élevaient
Et t'ont allumée au plus profond d'une fonte d'or ?
Tu redemandes, fais fermer les jours de guérison
Les ténèbres ouvertes qui nous ont alors attirés,
Les ténèbres qui ont alors bu notre coupe débordante.
Toi sur les feuilles de hêtre sèches et mortes, dans le feu de la nuit
Brûlé comme un sacrifice ; vous invisible;
Seulement le feu des ténèbres, et ton parfum !
— Et oui, Dieu merci, c'est encore possible
Les jours de guérison fermeront les ténèbres
Où nous nous sommes évanouis comme une fumée ou une rosée.
Comme la vapeur, la rosée ou le poison. Maintenant, Dieu merci,
Le feu de la nuit est parti, et ton visage est cendre
Indiscernable par le jour gris et froid ;
La nuit nous avait éclatés, enfin le bon
feu sombre brûle sans trouble, sans heurt
De toi sur les feuilles mortes en me disant oui.
Serpent
Un serpent est venu à mon abreuvoir Par
une journée chaude et chaude, et moi en pyjama pour la chaleur,
Pour y boire.
Dans l'ombre profonde et étrangement parfumée du grand caroubier sombre
Je descendis les marches avec ma cruche
Et je dois attendre, je dois me tenir debout et attendre, car il était là devant
moi à l'abreuvoir .
Il descendit d'une fissure dans le mur de terre dans l'obscurité
Et traîna sa mollesse jaune-brun, le ventre mou, sur le bord de
l'auge de pierre
Et posa sa gorge sur le fond de pierre,
Et là où l'eau s'était égouttée du tapoter, dans une petite clarté,
Il sirota avec sa bouche droite,
Bu doucement à travers ses gencives droites, dans son long corps mou,
Silencieusement.
Quelqu'un était devant moi à mon abreuvoir,
Et moi, comme un second venu, j'attendais.
Il a levé la tête de sa boisson, comme le font les bovins,
Et m'a regardé vaguement, comme le font les bovins de consommation,
Et a fait vaciller sa langue à deux fourches de ses lèvres, et a réfléchi un moment,
Et s'est penché et a bu un peu plus,
Étant terre- brun, terre d'or des entrailles brûlantes de la terre
Le jour de juillet sicilien, avec l'Etna fumant.
La voix de mon éducation m'a dit
qu'il fallait le tuer,
Car en Sicile les serpents noirs et noirs sont innocents, l'or est venimeux.
Et des voix en moi disaient : Si tu étais un homme,
tu prendrais un bâton et tu le briserais maintenant, et tu l' achèverais.
Mais dois-je avouer combien je l'aimais,
Combien j'étais heureux qu'il soit venu comme un invité dans le calme, pour boire à mon abreuvoir
Et qu'il soit parti paisible, apaisé et ingrat,
Dans les entrailles brûlantes de cette terre?
Était-ce par lâcheté que je n'aie pas osé le tuer ? Était-ce par perversité que j'avais envie de lui parler ? Était-ce de l'humilité, de se sentir si honoré ?
Je me sentais tellement honoré.
Et pourtant ces voix :
Si vous n'aviez pas peur, vous le tueriez !
Et vraiment j'avais peur, j'avais le plus peur, Mais même ainsi, honoré encore plus
Qu'il devrait chercher mon hospitalité
De la porte sombre de la terre secrète.
Il a assez bu
Et a levé la tête, rêveusement, comme celui qui a bu,
Et fit vaciller sa langue comme une nuit fourchue dans l'air, si noire,
Semblant se lécher les lèvres,
Et regarda autour comme un dieu, sans voir, dans l'air,
Et tourna lentement la tête,
Et lentement, très lentement, comme s'il rêvait trois fois , se
mit à dessiner sa longueur lente en se courbant
et à remonter le talus brisé de mon mur-face.
Et tandis qu'il mettait sa tête dans ce trou terrible,
Et pendant qu'il s'écartait lentement, le serpent relâchant ses épaules, et entrait plus loin,
Une sorte d'horreur, une sorte de protestation contre son retrait dans cet horrible trou noir,
En entrant délibérément dans le noirceur, et se dessinant lentement après,
M'a vaincu maintenant son dos était tourné.
J'ai regardé autour de moi, j'ai posé ma cruche,
j'ai ramassé une bûche maladroite
Et je l'ai jetée à l'abreuvoir avec un fracas.
Je pense que cela ne l'a pas touché,
Mais soudain, cette partie de lui qui était restée se convulsait dans une hâte indigne.
Se tordait comme l'éclair et s'en allait
dans le trou noir, la fissure aux lèvres de terre dans la façade du mur,
à laquelle, dans l'intense midi immobile, je regardais avec fascination.
Et tout de suite je l'ai regretté.
J'ai pensé combien mesquin, combien vulgaire, quel acte méchant !
Je me méprisais moi-même et les voix de ma maudite éducation humaine.
Et j'ai pensé à l'albatros
Et j'ai souhaité qu'il revienne, mon serpent.
Car il m'apparaissait de nouveau comme un roi,
Comme un roi en exil, non couronné dans les enfers,
Maintenant doit être couronné à nouveau.
Et donc, j'ai raté ma chance avec l'un des seigneurs
de la vie.
Et j'ai quelque chose à expier :
Une mesquinerie.
Lady Chatterley de Pascale Ferran : Entretien avec Michel Ciment (2006 / France Culture). Par Michel Ciment. Réalisation : Pierrette Perrono. Photographie : Pascale Ferran • Crédits : Sipa. Le 11 novembre 2006, dans son émission “Projection privée” diffusée sur France Culture, Michel Ciment recevait la réalisatrice Pascale Ferran pour s'entretenir avec elle autour de son film “Lady Chatterley” : une adaptation cinématographique d'un roman de l'écrivain britannique D. H. Lawrence. Pascale Ferran expliquait notamment les raisons pour lesquelles elle avait choisi d'adapter la deuxième version du livre, intitulée “Lady Chatterley et l'Homme des bois”.
“Lady Chatterley et l'Homme des bois” (“John Thomas and Lady Jane”) est un roman du Britannique D. H. Lawrence publié en 1927. Deuxième des trois versions du roman polémique de 1928 “L'Amant de lady Chatterley”, il s'en distingue par l'absence de scènes crues et plusieurs variations, notamment à la fin.
Moins connu que la version définitive, “Lady Chatterley et l'Homme des bois” a servi pour la mini-série télévisée britannique de Ken Russell diffusée en 1993, et l’adaptation cinématographique française de Pascale Ferran sortie en 2006, où jouent Marina Hands, Jean-Louis Coulloc'h et Hippolyte Girardot.
Sources : France Culture et Wikipédia
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