La diaspora a aussi ses histoires de fou. Celle d'
Irving Layton en est une : il est né Izzy Lazarovitch, juif roumain, en 1912. En 1913, sa famille émigra au Canada, dont il devint un des poètes anglophones les plus populaires. Ce livre est une sélection de ses poèmes, qui, sauf erreur de ma part, n'ont pas été traduits en français.
Portrait en quelques mots : médiatique (il a fait des émissions de télévision), ennemi du puritanisme voire de la religion (sa vie en a témoigné autant que ses poèmes, avec cinq femmes sans compter les aventures), désenchanté (il n'avait aucun espoir sur l'homme, auquel il ne reconnaissait que le talent de massacrer son prochain en vain), direct (les anglophones disent "tell it like it is", en franglais moderne on dirait peut-être "cash"), prolifique, clown (de son propre aveu).
Je le rapproche un peu de Larkin avant Larkin, c'est-à-dire pour un francophone de
Houellebecq, du coup bien avant
Houellebecq, en plus polémiste, doué pour les joutes verbales, davantage porté sur les métaphores et comparaisons absurdes, souvent drôles, gouvernées par un principe hédoniste : il souhaitait sans doute que ses lecteurs prennent avant tout du plaisir (réfléchissent aussi, mais…).
Il a par exemple qualifié les golfeurs avant
Tiger Woods : "parmi les sportifs, ce sont les métaphysiciens", "ce qui finit par vous convaincre, c'est leur chasteté" (j'ai bien dit avant
Tiger Woods). le plus épatant, c'est que la conclusion du poème reste valable même après : "aucune théorie du pessimisme n'est complète qui les ignore complètement".
Quant au "papillon sur le rocher", il s'agit évidemment d'une allégorie de la littérature roumaine avant Mircea Cărtărescu, auteur de "L'Aile tatouée" dans la trilogie Orbitor : "les grandes ailes jaunes, cernées de noir, étaient immobiles". Et sa conclusion : "j'ai posé ma main sur le papillon et senti le rocher bouger sous ma main", valable également après bien entendu.
Inutile de dire qu'on ne trouve guère l'équivalent dans le reste de la littérature roumaine (un
Istrati moins désespéré peut-être ?) ni probablement ailleurs, et que je vous inviterais bien à découvrir un de ses recueils.