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EAN : 9782743627263
523 pages
Payot et Rivages (12/03/2014)
4.1/5   568 notes
Résumé :
Bordeaux dans les années 50. La Seconde Guerre mondiale est encore dans toutes les mémoires et pourtant, un nouveau conflit qui ne dit pas son nom a déjà commencé : de jeunes appelés partent pour l’Algérie. Daniel sait ce qui l’attend. Cet orphelin qui a perdu ses parents dans les camps, travaille comme mécanicien ; il voit un jour arriver au garage un inconnu qui laisse sa moto et repart telle une ombre. Cet homme n’est pas venu par hasard.
C’est dans ce c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (128) Voir plus Ajouter une critique
4,1

sur 568 notes
S'il fallait n'en lire qu'un ce serait celui-là, LE roman sur la vengeance, LE roman noir sur la guerre d'Algérie, LE meilleur roman écrit sur la ville de Bordeaux.
Dans les années cinquante, la ville se remet de la guerre, même si elle a laissé des traces sur les murs et dans les mémoires.
Le commissaire Albert Darlac, fasciste convaincu qui exècre la faiblesse et se place toujours du côté des plus forts, a su s'enrichir pendant la guerre entre marché noir et saisies. Jamais inquiété lors de l'épuration, il règne sur sa ville grâce à sa connaissance du milieu et des secrets les plus inavouables des notables du coin. Mais une silhouette fantômatique semble rôder autour de lui, surveiller sa famille, tuer des gens qui lui sont proches.
Darlac est un homme sans état d'âme qui n'a pas l'habitude qu'on le menace. Pendant qu'il met toute sa hargne et son réseau d'informateurs à la recherche d'une piste, les jeunes français reçoivent leur feuille de route pour l'Algérie. Daniel Delbos, dont les parents ont été assassinés à Auschwitz, travaille comme apprenti dans un garage et s'interroge. Pourquoi combattre? Doit-il déserter ou faire son devoir? le premier chapitre du roman, une scène d'interrogatoire musclé au cours de laquelle Darlac et ses sbires torturent un suspect, préfigure ce qui se déroule de l'autre côté de la Méditerranée. Les destins de Daniel, un amoureux du cinéma hanté par le souvenir de ses parents défunts et de Darlac, ogre dénué d'empathie semblent liés.
Inutile de dévoiler davantage l'intrigue complexe et la remarquable construction du roman, Après la guerre est le récit d'une vengeance obstinée dont la justice n'est pas le but. Ce beau roman sombre est rempli de personnages complexes, de belles figures féminines et de fantômes qui s'attachent aux semelles des vivants. On retiendra la pudeur et la délicatesse de le Corre lorsqu'il dit la déportation et le retour à la vie lorsque l'on préférerait être mort.
On retiendra aussi l'évocation de la guerre d'Algérie, si rare dans les romans français, l'arrivée des jeunes recrues sans tambour ni trompette alors que leurs parents se remettent difficilement du conflit précédent, leur quotidien, leurs craintes et leurs cas de conscience dans un conflit qui les dépasse: "Il aimerait bien aller parler avec eux, ces étudiants peinards, mais il ne sait pas ce qu'il leur dirait: la chaleur, la soif, les ampoules aux pieds, la peur, la poussière, la crasse, les insomnies, la bêtise, l'alcool, la solitude et les larmes et les sourires quand le courrier arrive, selon ce que racontent les lettres..." Après la guerre, c'est encore et toujours la guerre.
Impossible désormais d'oublier l'évocation sans concession de Bordeaux, surnommée autrefois "la belle endormie". La ville de l'oubli qui a préféré jeter le voile sur le commerce triangulaire, sur les exactions de Pierre-Napoléon Poinçot, chef de la Section des Affaires Politiques, auxiliaire zélé de la Gestapo qui torturait Cours du Chapeau-Rouge, sur le maire Adrien Marquet qui prônait la collaboration avec l'Allemagne nazie, s'est refait le pucelage en élisant le résistant Jacques Chaban Delmas à l'Hôtel de Ville. Au delà des façades XVIIIème et des demeures bourgeoises, Hervé le Corre ressuscite une ville qui n'existe plus, le port dont on a oublié qu'il fut autrefois si vivant, Bacalan, les Capus, Bordeaux et ses banlieues populaires dans une langue riche et dense saupoudrée d'un bordeluche jamais "folklorique" qui colle si bien à la réalité.
Un des plus beaux romans lus ces dernières années.
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C'est ma première rencontre avec Hervé le Corre et ce ne sera pas la dernière tant cette lecture m'a passionné et même impressionné.
Il s'agit d'un roman noir, très noir même, je ne dirai que le minimum de l'intrigue pour ne parler que de mon ressenti, pour commencer c'est remarquablement écrit et très bien construit, l'auteur va prendre son temps pour poser le décor et nous présenter les trois acteurs principaux de cette sombre histoire.
J'ai aimé pour plusieurs raisons, la première c'est que l'auteur va planter l'essentiel de son décor à Bordeaux et nous parler de la ville de façon quasi documentaire et ça j'apprécie énormément, apprendre et désapprendre des choses, vous je ne sais pas mais moi je pensais que Bordeaux était une ville calme et bourgeoise, je ne savais pas qu'il avait pu y avoir une "pègre" et des bas fonds dans cette ville prospère.
La deuxième raison c'est l'aspect historique, la collaboration vue de Bordeaux avec une Gestapo et des flics particulièrement zélés pendant l'occupation, et le parcours de ceux (nombreux) qui sont passés au travers des mailles du filet lors de "l'épuration", nous en retrouverons certains pendant cette histoire.
La troisième raison est que le récit est habilement structuré, lentement, en alternant le récit souvent introspectif des trois personnages principaux avec de nombreux flash back qui petit à petit vont nous dresser un tableau d'une grande précision et d'une force émotionnelle certaine.
La dernière raison est que les personnages sont formidablement dessinés, Jean le "revenant", homme torturé et avide de vengeance, Darlac le flic pourri, probablement la plus belle ordure de "papier" que j'ai rencontré, et enfin Daniel, un jeune homme dans la tourmente émotionnelle.
Si je devais oser une image, ce serait qu'il faut vous attendre à marcher dans la boue (ou autre chose c'est selon) et à avancer avec une pince à linge sur le nez, c'est sombre et parfois amoral, en un mot c'est parfaitement réussi dans son genre.
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Ne pas se fier à sa première impression ! Après la guerre n'est pas une série noire à deux balles comme le premier chapitre a failli me le faire juger : lieux sordides, personnages barbares, scènes insoutenables de violence, écriture argotique. Certes, ce roman est un polar noir et un thriller percutant. Il est aussi une éblouissante démonstration littéraire.

Dans Après la guerre, Hervé le Corre, ancien prof de lettre, auteur de plusieurs romans policiers à succès, embarque le lecteur dans sa ville, Bordeaux, à la fin des années cinquante. Loin de la métropole à l'image raffinée et élégante d'aujourd'hui, c'est alors une ville grise, repliée sur elle-même. L'intrigue se situe dans les quartiers populaires : habitations ouvrières fatiguées, ateliers et entrepôts délabrés, rives sinistres de la Garonne, entrelacs mystérieux de voies ferrées, troquets miteux mal famés.

Le souvenir de la guerre pèse encore sur les esprits. Des malfrats enrichis par un commerce indigne avec les Allemands ont passé sans dommage le filtre de l'épuration, et ceux qui ne se sont pas entretués depuis sont toujours aux affaires, protégés par les mêmes policiers que pendant l'Occupation. Il avait bien fallu, à la Libération, privilégier la continuité du Service Public.

Dans ce contexte glauque, deux personnages sont frénétiquement à la recherche l'un de l'autre. Leurs intentions sont claires et ils sont prêts à tout pour atteindre leur but. Y parviendront-ils et comment ?

Le commissaire Albert Darlac est un flic corrompu, un homme brutal, amoral, infect à tous points de vue. Un ancien collabo très malin, qui a su rebondir après la guerre, grâce aux dossiers qu'il a constitués sur les uns et les autres. On le déteste et on le craint. Il privilégie toujours ses intérêts personnels. Gare à qui se met en travers de son chemin, rien ne peut l'impressionner, pas même un tueur mystérieux qui s'en prend à des proches…

André, alias Jean, est revenu de déportation sans sa femme, gazée à Auschwitz. Tous deux avaient été raflés sur dénonciation, il en est convaincu. Après une dizaine d'années à tenter de se reconstruire à Paris sous une nouvelle identité, il est de retour avec l'intention de régler des comptes. Avec aussi l'espoir de retrouver le petit garçon qu'ils avaient mis à l'abri avant d'être arrêtés.

Et justement, en contrepoint, un troisième personnage : Daniel, vingt ans. Il se souvient à peine de ses parents et il est persuadé qu'ils sont tous deux morts en déportation… Et c'est à nouveau la guerre ; en Algérie, cette fois. Daniel découvre la vie en garnison, les bidasses plus bêtes que méchants, le bleu fascinant de la mer et du ciel, vite effacé par la poussière et l'incandescence. Les premières images d'horreur sont un traumatisme qui instille la peur, la terreur. S'en suit la haine, le désir de vengeance, le réflexe de tuer pour ne pas être tué. Comment s'en sortir ?

Les chapitres sont consacrés tour à tour aux trois personnages. Avec un réalisme saisissant, l'auteur y dévoile sous forme narrative, l'évolution de leurs réflexions et de leur état d'esprit. Il adapte son style d'écriture à chacun, dans la continuité des dialogues, où les langages reflètent carrément les personnalités. L'affreux Darlac jacte « façon tontons flingueurs ». André/Jean parle peu ; à son retour des camps, il s'était mis à écrire ; des textes sobres aux mots justes et aux phrases bien tournées, qui ne peuvent contenir l'émotion, ruisselante.

Hervé le Corre m'a tenu en haleine pendant les cinq cents pages du roman. Ses digressions, nombreuses, sont autant de promenades plaisantes. Elles rendent aussi bien compte de l'atmosphère crépusculaire des bas-fonds bordelais que de la lumière étincelante du djebel algérien. Elles m'ont fait suivre avec curiosité le quotidien d'une famille de sympathisants communistes – en ces années, le Parti était la première formation politique française –. Elles m'ont accompagné dans l'intimité de Daniel, dans les remords d'André/Jean, dans les stratagèmes tortueux de Darlac, un personnage qu'elles m'ont fait haïr et dont j'ai attendu désespérément la chute… Jusqu'à la dernière ligne…

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Ça commence glauque, ça finit glauque, et au milieu c'est glauque. Donc a priori là on est plutôt sur du glauque.

Bordeaux, si lumineuse aujourd'hui, est aussi noire ici que dans mes souvenirs d'enfant, où l'urbanisme bourgeois de la belle endormie se morfondait en façades couleur de suie. Mais des années plus tôt, dans ce temps flou d'après-guerre où nous entraîne l'auteur, le noir sévit aussi dans les âmes, au sein d'une société disloquée et corrompue jusqu'à la moelle.

Et puis si la guerre – la seconde – est bel et bien terminée, il y a l'autre, celle d'Algérie, histoire de prolonger les réjouissances. On se marrait bien dans les années cinquante.

De son côté l'ami lecteur progressera donc d'intrigues en péripéties entre Bordeaux et Alger, suivant la trace de divers personnages parfaitement campés et judicieusement répartis sur l'échelle de la coolitude, de niveau “abject” à échelon “attachant”, c'est selon.

Seul élément immuable dans ce roman qui secoue pas mal quand même, le talent d'Hervé le Corre qui parvient miraculeusement à associer une prose délectable et presque poétique à des thèmes d'une noirceur quasi permanente. C'est une des belles surprises que m'a réservées ce bouquin, mon premier le Corre, et pas le dernier, c'est certain.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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« - Quoi ? Les petites filles ? Bien sûr que c'est vrai. Il a déjà fait du gnouf pour ça. C'est de famille, la saloperie, chez les Penot. Son frère, il était auxiliaire chez Poinsot, la Gestapo française, ici. Cours du Chapeau-Rouge ils avaient leurs salles de torture. Et celui-là, il rabattait pour les schleus, en se servant au passage. C'est le genre de type qui va au bout de son vice quand les circonstances le permettent. Et pendant l'occupation, toutes sortes de saloperies étaient permises et ces mecs-là ont poussé sur le fumier. » mais il y a aussi « Il retrouverait pas sa bite dans son slip si on lui faisait croire qu'elle a disparu ».


Voilà, ces quelques phrases donnent le ton du livre d'Hervé le Corre. C'est noir, très noir, mais c'est extrêmement bien construit, très bien écrit, et d'un réalisme qui fait froid dans le dos quand on pense que tous les protagonistes font partie de la même espèce humaine que nous. Malheureusement, rien n'a changé sous le soleil et l'auteur n'hésite pas à nous le rappeler! Mais il y a aussi des braves gens comme Roselyne et Maurice.


Hervé le Corre ne pouvait trouver mieux que cette période d'après guerre à Bordeaux pour y situer son roman. Toute l'histoire se passe dans les années 50. La belle capitale girondine bénéficie d'un passé particulièrement glauque: Gestapo efficace, salauds, collabos qui sont passés à côté de l'épuration, zèle de la police quant à l'organisation des rafles de juifs – notre concitoyen Boris Cyrulnik en sait quelque chose.

Alors l'auteur nous concocte un roman noir qui n'a rien à envier aux grands écrivains de thrillers du moment. Il y a des pages jubilatoires à la « Michel Audiard » où chaque lecteur peut s'imaginer la scène et distribuer les rôles mais il y a aussi de très belles pages écrites dans un français choisi chargées d'émotions.

Certains chapitres sont extrêmement poignants : je pense à Hélène qui survit depuis son retour des camps. Hervé le Corre nous entraîne dans ses pensées et la question lancinante surgit : « comment vivre après avoir vécu toutes ces horreurs ».

J'ai une pensée pour Marceline qui vient de nous quitter. Elle a suivi de peu sa grande amie, Simone. Quel courage et quelle force psychologique pour rester debout après ce qu'elles ont vécu !

Et puis il y a la guerre d'Algérie, j'avoue avoir sauté quelques pages trop difficiles à lire sur les atrocités commises. Les descriptions des corps mutilés, déchiquetés, la jouissance que donne la possession d'une arme, tout participe à nous restituer l'atmosphère de cette terrible guerre.

C'est un très grand livre à mes yeux qui sous le vocable de « Thriller » est un véritable concentré d'humanités et d'abjections, un cri de détresse devant les horreurs commises, devant la noirceur de l'âme humaine, devant la souffrance des victimes.

Encore une belle découverte d'un roman sombre et intense et c'eut été dommage de passer à côté. Un grand merci à Pecosa et Michfred !
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critiques presse (2)
Telerama
02 avril 2014
Composé en virtuose, son roman joue de deux registres de langue, l'argot savoureux des bistrots et des mauvais garçons, qui rappelle Albert Simonin, et une prose limpide, sèche et sensible, qui vous transperce d'émotion. Superbe.
Lire la critique sur le site : Telerama
Lexpress
27 mars 2014
Le monde défait les hommes, mais les hommes font le monde. Un paradoxe aux allures métaphysiques que Le Corre ancre dans le quotidien de chacun. C'est banal. C'est extraordinaire.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (131) Voir plus Ajouter une citation
Darlac s'empare du plat et découpe des tranches épaisses. Volaille et foie gras. Cadeau d'un boucher-charcutier des Grands-Hommes qu'il a tiré l'an dernier d'un mauvais pas : une dette de jeux réclamée avec inisistance par un bras cassé, un julot casse-croûte qui se faisait menaçant. Comme c'était un ancien rugbymann, un colosse taillé à la serpe qui prometttait de transformer la boutique en abattoir, l'honorable artisan de la barbaque qui vendait du rôti aux rombières des Chartrons, avait eu peur pour ses os.

Il ne savait pas à qui il s'attaquait , le demi de mêlée. Il ne pouvait pas deviner que Darlac et le désosseur de ces dames avaient été en affaires en 43 : quelques meubles précieux, quelques bibelots et des tableaux volés dans les appartements après les rafles ; et un terrain juste après Mérignac, sur la route de l'aéroport, trois hectares de prés à vaches qui finiraient bien par se construire un jour, confisqués d'un trait de plume par un sous-fifre de la préfecture, certifiés par un notaire.

L'autre abruti s'est fait serrer un soir par une douzaine de flicards dans les bras de sa gagneuse, parfumé à l'eau de Cologne, des billets plein les poches. Et un petit paquet d'opium plié dans du papier journal pour faire le compte, glissé en douce, à la faveur de la confusion, par un inspecteur en service commandé. Les flics ont failli se poser des questions, sur le moment, tant sa surprise semblait réelle. Un doute a commencé de soulever leurs chapeaux. Puis ont conclu que ce trouduc était un acteur formidable, comme beaucoup de branquignols qui leur passaient sous la lampe. Enfoncés Gabin et Gérard Philipe. Tous les jours au bureau c'est cinoche en relief, théâtre en chambre, rires et larmes pour scénarios foireux. Le moindre inspecteur en sait autant que Louis Jouvet dans "Entrée des artistes" et démonte preuves en pogne les fausses confidences, les vraies fourberies, démasque les ingénues sanguinaires, traque les airs faux, soigne les trous de mémoire, tape même les trois coups avec un annuaire quand le rideau tarde à se lever.


Note : "Je me fais mon film toute seule, je distribue les rôles, devant ces savoureux dialogues".


Page 146
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Les copains lui demandent souvent comment il fait pour se rappeler ainsi tous les films qu'il voit, le nom des acteurs et du réalisateur, des détails de ce genre auxquels eux ne prêtent guère attention. Il leur répond simplement qu'il aime ça et que s'il pouvait il irait tous les jours au cinéma et écrirait des livres là-dessus et des critiques dans les journaux. Les autres trouvent ça extravagant, écrire un livre, et quoi d'autre ? Lui, le mécano de la rue Furtado, le gamin grandi ici à Bacalan ce quartier d'ouvriers à l'orée de la ville et des marécages ?
Il n'ose pas dire qu'avec un mètre pliable il s'est fabriqué un petit cadre rectangulaire qui tient dans une poche et que souvent il regarde les gens et les choses entre ces angles droits et qu'alors n'existe que ce qu'il voit, plus précis, plus profond, plus singulier, plus fort. Il n'ose pas dire, parce qu'on le prendrait pour un fou, qu'il cadre des femmes marchant dans la rue et qu'elles sont plus belles, que la ville elle-même qu'il enferme dans cette géométrie devient alors le décor d'intrigues qui pourraient surgir n'importe où, au coin de cette rue, au milieu de cette place, derrière cette fenêtre, dans cette voiture qui passe et roule trop vite...
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Et un jour, moi aussi je suis mort.

La lumière était insupportable. Tout était blanc, à perte de vue, saupoudré de neige fraîche et encroûté de glace. Le soleil tombait là-dessus et tapait sur cette blancheur et en tirait des éclats aveuglants. Le ciel était d'un bleu pur tellement transparent et profond que je m'attendais à apercevoir en plein jour quelques étoiles.
La route était vide. Les traces de pas recouvertes de neige filaient vers l'ouest en millions de creux bleuissant sous la lumière crue. Empreintes de fantômes. Le silence était total dans l'air immobile. J'entendais cogner sous mon crâne le battement de mon sang mais ce ne pouvait être qu'un écho lointain de la vie, parce que j'étais mort. Je l'ai su à cet instant. Jamais je ne reviendrais de cette terre figée, jamais je ne quitterais ce chemin balisé de cadavres. Jamais je ne retrouverais la vie. J'allais sur cette route parmi les morts abandonnés sur les bas-côtés, sans appui sur le sol poudreux et froid, ni consistance physique. J'étais seul désormais à me voir, à éprouver la réalité matérielle de mon spectre. Je me confondrais pour les autres dans la transparence de l'air. Leurs regards passeraient à travers moi sans deviner jamais ma réalité.
La nuit s'ouvrirait parfois autour de moi et seules me reconnaîtraient alors les âmes errantes que je croiserais par hasard, les yeux morts d'épouvante comme les miens, la gueule grande ouverte sur leur dernier souffle.
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Il lui arrive souvent, comme à présent, de se demander ce qu'il fait là. ¢a le prend n'importe où. Au bal, dans l'autobus, au cinéma. Parmi le bruit, les bavardages. Malgré les rires et les copains. Il s'arrête alors dans ce qu'il fait et il regarde autour de lui sans voir, et il écoute sans comprendre les humains qui l'entourent. Leur agitation, leur piétinement forcené, leur trajectoires folles d'insectes traqués entre vitre et rideau. Il se sent dans ces moments horriblement léger, transparent, existant à peine, dissous dans l'air et traversé par les êtres et les objets, au point qu'il se fait l'effet d'être un fantôme , un revenant ne sachant plus d'où il revient mais terrifié d'être parti.
Ou bien il se fige et se met à regarder le ciel à l'aube, clair et délavé, poncé par un vent froid. Cette pureté vide, traversée parfois par un oiseau pressé, lui serre le coeur et renouvelle chaque jour le prodige de la lumière soulevant la chape de la nuit.
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Juste au-dessus, une grande photo de De Gaulle à Bordeaux, en septembre 44. Le grand homme venu mettre au pas ses complices cocos est devant un micro, entouré des chefs de la Résistance mais aussi de quelques collabos déjà recasés sur qui l’épuration passera, plus tard, comme un nuage insignifiant, à peine une ombre : vraies ordures, faux résistants, flics, préfets, chefs de cabinet qui ont organisé les rafles, contresigné les demandes d’arrestations, torturé à bras raccourcis, outrepassé et anticipé les ordres boches mais ont senti le vent tourner en 43 et se sont inventé des actes de bravoure et fabriqué des alibis, ont sauvé utilement quelques Juifs et gardé traces de cet héroïsme pour que le moment venu, quand se réuniraient les tribunaux et que s’aligneraient les pelotons d’exécution, les mous du bide viennent témoigner en leur faveur.
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Nous avons eu le plaisir d'interviewer Hervé le Corre autour de son roman « Traverser la nuit » pendant le festival Quais du Polar. Ce roman lu par Ariane Brousse est en lice pour le Prix Audiolib 2024. Découvrez notre interview !
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