À Argol il n'y a pas de château se révèle à la fois essai et carnet de notes, souvenirs en vrac, pensées éparses, tous tenus ensemble par le fil rouge de l'amitié et d'une admiration sans borne.
Philippe le Guillou nous parle de l'homme tel qu'il l'a connu : Louis Poirier le professeur discret, fuyant les honneurs et
Julien Gracq de son nom de plume, le conteur tant aimé de ses lecteurs, cartographe de l'attente et inlassable écrivain d'une Onirie à la frontière de l'éveil, toujours prête à basculer.
Cet essai fragmenté, dont la forme aurait sans nul doute beaucoup plu à Gracq, est composé de courts chapitres, des feuillets arrachés aux souvenirs. L'homme et l'auteur sont dessinés par touches, la plume effleurant les contours d'une silhouette qui s'échappe. Comme j'ai aimé deviner Louis et Gracq dans ces pages !
L'auteur nous parle des amitiés de Gracq, du surréalisme, de la magie particulière qui se dégage de ses écrits, de sa façon de concevoir l'écriture, de la marche et de l'attente, d'Argol et de la forêt ardennaise… Tout cela au gré de ses remembrances.
Je suis pour ma part persuadée que Gracq est de ces auteurs qu'on vénère d'emblée, et qu'alors on aimera toujours, ou que l'on délaisse à jamais si l'on n'est pas aussitôt happé par ses récits.
Ce fut lors de ma première année à l'université que je lus pour la première fois les écrits de
Julien Gracq. J'avais pris, pour diverses raisons triviales, la très mauvaise habitude de sécher le cours de littérature comparée malgré l'intérêt que j'avais pour les oeuvres étudiées au premier semestre et que je connaissais déjà. Néanmoins, en fille sérieuse, j'acquis les deux lectures du second semestre :
Au château d'Argol et
le rivage des Syrtes. Pour quelle obscure raison choisis-je de commencer par
Au château d'Argol ? Je n'en sais rien, mais une fois les pages soigneusement coupées et la première d'entre elles nonchalamment tournée, je fus prise dans les rets de l'écriture de Gracq et je tombai immédiatement amoureuse de ce roman. Aurai-je eu le même coup de foudre si j'avais commencé par
le rivage des Syrtes ? Je suis persuadée que non, bien que ce roman soit tout aussi remarquable.
Le fait est que je n'ai plus, sans doute au grand étonnement de mon professeur, jamais séché un cours de littérature comparée durant les quelques années que j'ai passées à regarder le temps filer à l'université. Qu'ils aient parlé de Gracq ou non, ces cours sont de loin mon meilleur souvenir de cette époque, ils m'ont beaucoup appris, tout en étant ma récréation de la semaine.
J'ai beaucoup digressé, je le crains. Je ne suis pas coutumière des anecdotes personnelles, chaque ouvrage que je lis mérite que je m'oublie pour mieux parler de lui, mais c'était à l'aube de ma vingtaine et Gracq m'a vraiment aidée à me construire. Il y a quelque part dans ma cartographie intérieure un château, un cimetière, une forêt, une chapelle…
Tel est l‘incipit de mon histoire d'amour avec
Au château d'Argol, roman qui n'a cessé depuis d'exercer sur moi une certaine fascination et est devenu une sorte de Mystère personnel. Il fallait que je vous raconte cela pour que vous compreniez mon attachement à son auteur.
C'est avec une grande nostalgie que je repense toujours à cette première rencontre avec Gracq et à ces pages découpées durant ce moment à part qui précède la lecture. Couper les pages pour libérer les mots. Prisonniers, ils n'aspirent qu'à s'échapper. C'est un rituel désuet que je regrette pourtant, quelle mélancolie s'est emparée de moi quand j'ai acquis, il y a peu de temps, un roman de Gracq dont les pages lisses, massicotées, étaient déjà prêtes à être tournées…
Je n'ai connu Gracq qu'en tant que lectrice admirative et pourtant je ressens la justesse des mots de Philippe le Guillou quand il trace d'une plume tendre et nostalgique les contours de la silhouette de
Julien Gracq. Il n'analyse pas l'homme, il l'esquisse, il ne raconte pas ses écrits, il les évoque.
Cet essai est un chant d'amour pour Gracq à l'usage de ceux qui l'ont lu ou non. Il pourrait vous montrer comment approcher l'ombre de l'homme cachée derrière ses oeuvres. C'est une excellente lecture pour mieux connaître Gracq et effleurer ses écrits, pour ceux qui l'aiment déjà et ceux qui aspirent à trouver une porte dérobée vers sa littérature.
Cela m'a donné envie de lire
le dernier veilleur de Bretagne et j'ai dans ma bibliothèque, comme je le disais, un roman de Gracq aux pages soigneusement massicotées que je ne connais pas encore et que je compte déguster.
Je remercie chaleureusement l'auteur et l'éditeur pour ce pèlerinage en terre gracquienne.
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