DANS LA RUMEUR DES EAUX.
Il faut parfois se méfier des textes qui paraissent par trop autobiographiques : lorsqu'ils sont de prime talent, il arrive plus souvent qu'à leur tour d'être non pas seulement "quelque chose d'autre que" mais, plus inconcevable sans doute, d'être "bien plus que cela", c'est à dire que, puisant au plus loin dans la mythologie personnelle de l'auteur, ils en arrivent à définir les contours d'un moment universel et vaste. Ce bref mais dense opus dans l'oeuvre de l'écrivain finistérien Philippe le Guillou ne déroge pas à cette règle pour ainsi dire proustienne - génie incommensurable avec lequel notre breton se sent, à juste titre, quelque noble filiation -.
Aussi, plus qu'un simple - tout est relatif - Lied malhérien de souvenirs anciens, quelque émouvant fussent-ils, c'est au déroulé sensible et profond d'un morceau de musique de chambre - on songe par exemple à un trio sombrement lumineux de Brahms - dans lequel les souvenirs d'enfance entameraient une étonnante discussion avec l'adulte écrivain qu'il est devenu, le lien entre les deux se transmuant, par la magie de la rivière Faou, en une manière - matière - de récit de voyage tranquille quoi qu'inquiet de ce qu'il va retrouver, nostalgiquement paresseux - de cette paresse active des passeurs de rêves et de mots, l'otium de nos antiques - un voyage à contre-temps autant qu'à contre-courant, au propre comme au figuré.
Ne voit-on pas ainsi notre arpenteur remonter le cours tortueux de cette petite rivière ayant donné nom au village de sa naissance, le Faou, le "fagus" pour en revenir à cette source essentielle de notre langue, cette langue d'un classicisme impérieux, poétique et complexe chez le Guillou, le Hêtre donc, et, pour rattachement viscéral aux racines celtes, l'arbre de l'éloquence, de la communication avec les ancêtres, ceux avec lesquels l'auteur de l'impressionnant Livres des Guerriers d'or ne cesse d'échanger mots - cette grand-mère «sérieuse, efficace, drôle et pétillante, mais certainement pas contestataire», plus loin le grand-père maternel, un taiseux sur lui-même mais qui distillait des «récits plein de crocs et de prunelles luisantes [...] avec la virtuosité d'un conteur»- contre remembrance de temps pas forcément si lointains mais qu'il avoue ne pas avoir toujours lui-même connus.
Rapide et lente pérégrination au fil de ce courant de souvenirs d'avants divers et d'enfance, le livre s'offre aussi l'attachement des grands prédécesseurs. Ainsi le Guillou convoque-t-il comme de son compagnonnage primordial, sans fausse modestie mais sans appesantissement, l'incontournable Julien Gracq, le grand styliste devenu aussi grand chrétien Joris-Karl Huysmans, Proust bien entendu, mais encore le poète terrien Jean-loup Trassard et Patrick Grainville, autre immense prosateur, pour les plus proches de notre temps. Et l'écrivain de nous rappeler, par le biais de ces dédicaces reconnaissantes autant que par l'immersion dans l'écrit - ceux de ces autres-là, le sien -, que les mots choisis sont en eux-mêmes voyage et creusement, sillon et frondaison, rareté et connaissance, que la phrase est surface et profondeur, silence et abondance, saisissement et influx. Où le lecteur, en ravissement, raffole de se noyer.
Prégnance sensible et humble en cette dé-marche véridique, celle des églises de ce presque bout du monde, celle aussi de cette foi chrétienne pénétrante, réconfortante, évidente, dont le Guillou ne fait nul secret, sans jamais en faire quelque cheval de bataille que ce soit, que marquent ce dialogue tant avec lui-même qu'avec ces lieux aimés. Autre forme d'Église, la Nature - rivière, mer, rocs, landes, forêt -, dans ce qu'elle a de génésiaque, de plus sauvage, cardinal et précieux, semble seule à même, en de courts instants, de transsubstantier ce croyant affirmé en un païen des temps de la belle Dahu et du roi Gradlon, à retrouver les temps et le «génie» de lieux millénaires, ravivant «aussitôt les sortilèges d'un monde qui continue de vivre, fidèle aux mythes, aux rites, loin des atteintes d'une modernité ravageuse.»
L'invite est si forte, le voyage semble tellement enchanteur qu'on n'hésite pas un instant à suivre l'écrivain dans ce rassérénant voyage vers "L'intimité de la rivière". Et on fait bien !
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Imaginez vous au coeur de l'endroit où vous avez grandi, ou de celui qui vous a le plus transporté. Les deux pieds bien plantés dans le sol...maintenant promenez vos yeux dans ce paysage et faites 360°...décrivez ce que vous voyez, et assaisonnez des souvenirs et des émotions liés à ce que vos yeux vous donnent.
Vous avez alors ce superbe récit de Philippe le Guillou qui vous emmène dans la région du Faou en Finistère (Bretagne). Une écriture précise, avec des arythmies qui vous promènent de l'imaginaire à la réalité; une écriture qui vous donne envie de fermer les yeux (mais du coup ce n'est pas facile pour continuer la lecture), et tenter de saisir toutes les particules d'odeur, de couleur et de relief. Une promenade dans ce bout de terre, passage obligé vers l'hermine, en fin d'Aulne, face à la rade de Brest. L'auteur nous met à la croisée de la mer, la forêt et la rivière, triptyque incontournable des gens des Monts d'Arée et des montagnes noires. Pays de légendes, de croyances et de rêves pris tour à tour dans les embruns et les brumes sylvestres ...
Au gré des pages, on fait le tour du Faou puis, ressourcé, on ferme le livre pour reprendre le cours des choses.
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Petit ouvrage par la taille, il n'en est pas moins par son récit. L'objet est la région de Bretagne où l'auteur a grandi, et surtout les souvenirs qui lui sont associés, notamment ceux en lien avec la rivière toute proche.
L'écriture est douce et poétique, et permet ainsi de capter toute la sensibilité des souvenirs en question, à travers la déformation associée des lieux et des personnes cités. On sent également dans cette évocation une certaine nostalgie de cette enfance et des moments passés en ces lieux.
Ce regard permet au lecteur de se remémorer ses propres souvenirs d'enfance et les bons moments associés.
Un bel instant de douce nostalgie !
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C'est un récit d'enfance, si l'on veut. Ou, à sa façon, intimiste et chuchotée, un récit de voyage.
Lire la critique sur le site : Telerama
J'y retrouve le mystère d'un monde d'eau et d'ombre, d'un couvert plus épais que le soleil perce difficilement, ce qui n'est pas le cas de Kerdour, la villa luxueuse et faussement normande. Les sortilèges d'un univers de bief et d'ondin, de vouivre tapie entre les fougères et les roseaux affleurent ici qui, un instant, me font dériver du côté de la Franche-Comté magique de Marcel Aymé et des étangs maudits de Barbey : nulle créature enchanteresse ne s'insinue entre les herbes, nulle barque non plus sur l'étang trop petit pour accueillir le moindre esquif : pourtant, on se prend à espérer pareilles apparitions - la fée, la barque - dans ce domaine retiré du pont de bois qui appelle le pas sonore, un charroi fou, un cavalier mystérieux qui voyagerait entre la motte féodale du Faou et le sanctuaire druidique, tout éclairé de torches sous les ifs.
Je ne connaissais pas encore l'Argol de Gracq - je connaissais l'Argol géographique avec sa statue équestre coiffant l'arc de triomphe de l'enclos paroissial - mais la vue de cette chapelle que j'apercevais de la voiture, alors que nous nous rendions l'après-midi du dimanche au Cranou, éveillait toujours une fascination vive, aussi indémêlable que les ronces et les fougères qui enserraient les ruines, l'idée, confuse, d'un sacrifice à la lisière de la forêt, d'une messe secrète célébrée sous les broussailles, d'une coupe magique qu'un prêtre invisible élevait puis déposait sur l'autel de pierre dans l'écrin végétal, à la seule intention d'une assemblée de pénitents fantômes.
J'ai grandi dans la fidélité à un monde d'images qui m'a été transmis et dans lequel je croyais entendre, dès que l'orage obcurcissait le ciel du côté du Menez Hom, la cavalcade folle du cheval qui emportait Gradlon et Guénolé, un monde dans lequel il y avait des vagabonds maléfiques et des sourciers, des rebouteux et des personnages inquiétants dont il fallait se méfier.
Evidemment je n'y croyais pas; l'école avait déjà inoculé en moi suffisamment de raison pour que je n'adhère pas complètement à des histoires que ceux qui me les transmettaient voyaient surtout comme un patrimoine primordial et vivifiant.
e garde de ces marches du dimanche après-midi au bord de l’eau, pour peu que le soleil donnât à plein, le souvenir unique de pas dans une lumière douce et tamisée par les feuillages verts d’avril et de mai – ce vert jeune, acide, vierge de la morsure du soleil que j’aime par-dessus tout - ; les narcisses, les glaïeuls, les violettes égayaient les prairies boueuses des rives, les passages qu’avaient ménagés les bêtes pour aller boire, la rivière se révélait enfin dans une candeur printanière, comme un trait d’eaux vives au milieu d’un jardin constellé de fleurs sauvages.
Elle est cachée, la rivière, tapie derrière les saules et les aulnes, les herbes, les hautes fougères. On l’imagine avec son bestiaire fantastique, ses anguilles et ses truites enfouies dans les cavités des berges, sous les chevelures d’algues, ses loutres, comme celle qu’on voyait jadis, naturalisée, rue fontaine, dans le capharnaüm drôlatique d’André Breton.
L'ecrivain Philippe le Guillou fait decouvrir les lieux qui l'ont vu naitre, tout pres de la pointe du Finistere. Les photographies d'Herve Glot illuminent Rumengol, les monts d'Arree, Quimper, autant de noms d'une Bretagne flamboyante et immemoriale.
Philippe le Guillou est ne au Faou, tout pres de la pointe du Finistere. Finistere ou « fin des terres », proue finale de l'Armorique, terminaison rocheuse de l'Europe qui bascule soudain dans les vagues, vers le large. La fin et le commencement.
L'evocation de cette contree frontaliere, entre terre et mer, entre Armor et Argoat, est pour l'auteur l'occasion de revisiter les lieux qui lui sont chers, d'evoquer sa fidelite a des paysages, des traditions, des valeurs et des lieux. Les noms de Rumengol, des monts d'Arree, de Quimper et de la Ville d'Ys resonnent comme autant de noms d'une Bretagne flamboyante et immemoriale.
De steles en iles, de villages en rivieres, Philippe le Guillou egrene ses souvenirs, superbement mis en lumiere par les photographies sensibles d'Herve Glot.
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