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EAN : 9782361573362
96 pages
Editions Transboréal (05/01/2024)
3.76/5   17 notes
Résumé :
La collection « Petite philosophie du voyage » invite Anne Le Maître, auteur de carnets de voyage, à définir le regard sur le monde, tout en nuances, du peintre itinérant. En restituant le réel de manière sensible, l'aquarelliste revit pleinement le bonheur et l'exaltation de sa découverte, tandis que ses pinceaux en saisissent l'ineffable beauté.
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PLUMES FEMININES 2022
Les bonheurs de l'aquarelle – Anne le Maître **

J'ai vu le livre sur un petit étal à l'entrée d'une librairie et en le feuilletant j'ai cru reconnaître et retrouver quelques uns des moments que je vis avec la peinture à l'eau. Je l'ai lu jusqu'à la fin, ai surtout relu la première page, une citation de Jean-Michel Maulpoix dans Une histoire de bleu, que je partage avec vous :
« Le ciel se recolore. Les arbres s'égouttent et le pavé boit. La ville aussi essaie de dire des phrases. Rires mouillés et pluie de pieds nus. On dirait que le paysage est tout éclaboussé de croyance.
On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir avec des gestes lents dans un tablier de toile ou une corbeille d'osier. Disposer le ciel en bouquets, égrener ses parfums, tenir quelques heures la beauté contre soi et se réconcilier.
On voudrait, on regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et qu'il suffit de rester là, debout dans la lumière, dépourvu de geste et de mots, avec ce désir d'amour un peu bête dont le paysage n'a que faire, mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas pour rien, puisque l'amour précisément est notre tâche, notre devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que ces gouttes d'eau après l'averse tombant dans l'herbe du jardin. » ! le poète s'arrête, regarde s'émerveille et la poésie naît, délicate et lumineuse.

Après cette introduction, le livre de Anne le Maître nous invite à vagabonder avec elle ses pinceaux et ses aquarelles, « la proposition du carnet de voyage. Une façon d'être au monde » p.13. le plaisir de saisir l'instant fuyant, la lumière joueuse, « pour retrouver le plein déploiement du temps qui s'oppose à celui du TGV, des avions, de l'appareil photo, le temps du regard qui découvre. »p.19. Je m'arrête déçue, la photo est-elle exclue de ce temps du regard qui découvre ? C'est vrai aussi que certaines photos, comme d'ailleurs certaines peintures font la course au TGV, mais pourquoi généraliser ? Et pour enfoncer le couteau dans la chair de la photo, Anne le Maître ajoute : « Et que faire d'une photo de pissenlit, d'ailleurs ? »p.22. J'ai envie de lui répondre, rien ! et plein de choses !, un moment fuyant saisi dans sa course, une éternité qu'une émotion lui prête un peu d'éphémère...
Je continue à la suivre dans son voyage de la peinture vagabonde, où Anne le Maître choisit le temps au ralenti avec ses yeux d'aquarelliste «Une question me vient : n'y aurait-il pas le même rapport entre dessiner et prendre une photo qu'entre aller à pied et prendre sa voiture ?  Il s'agit à chaque fois de revenir au plus près de l'humain .»
L'auteure, ne sait-elle pas que la photo peut être un long et patient chemin de recherche et d'attente, passionnant aussi et parcouru à pied  d'un bout à l'autre ?

Anne le Maître fait des réflexions sur le temps « il est essentiel d'en profiter plutôt que de gaspiller le maigre temps qui nous est imparti » p.23, et nous parle de ce que peut invoquer un dessin qui se profile sur la feuille blanche. Mais le temps de déguster un moment de rêverie est coupé court par la suite qui tente de nous rassurer : « invocation… il y a de la magie dans cette pratique-là. Rassurez-vous : pas de surnaturel... » et le fouet inutile me casse le rêve et tue la poésie… Comme si l'auteure était sans cesse en train d'analyser le travail poétique, celui des mots, de l'aquarelle, des émotions, « l'expliquer », comme si elle n'était pas dedans mais dehors pour tout contrôler. Elle s'érige en prof pour un cours de sensibilité  et d'une manière péremptoire elle nous dit « Ce n'est pas l'oeuvre qui importe, c'est le temps qu'elle retient en ses plis. » p.30. D'accord on a compris.
« Examinons un peu les mots qu'on utilise ; on dit par exemple prendre en photo. Il y a de la prédation dans cette expression au sens même où le support technique qu'est l'appareil réduit à presque rien l'interaction entre le sujet et celui qui déclenche la prise de vue. le temps d'un coup d'oeil. On cueillerait d'un geste aussi machinal une herbe sur le bord du chemin. Un peu de révérence, que diable ! »p.40. Et moi lectrice je sens monter la colère !
« Contrairement à une peinture à l'huile ou à un dessin au trait, on ne maîtrise jamais totalement une aquarelle. .. C'est ce côté aléatoire qui est fascinant.»p.45 Pourquoi, diable, n'a-t-elle pas développé ce qu'elle aime dans le travail de la peinture à l'eau ?

Une rêverie voulue appelle quelques phrases poétiques qui ont du mal à vivre avec des affirmations sans recours qu'elle lance depuis sa chaire surélevée qu'elle a du mal à quitter. Et à cela s'ajoutent deux ou trois renseignements pratiques sur les secrets des couleurs. Une référence à Pascal, une autre à Nicolas Bouvier et puis ce mot « zen » qui commence à fatiguer viennent « enrichir » ce patchwork d'amateur.
Mais nom d'un nom, où est le naturel qui revient au galop ?, où est ce sérieux qui ne se prend pas au sérieux ? Où le sel et l'humour ? Où est la poésie toute nue ? Pourquoi l'auteure l'a-t-elle encombrée d'un costard cravate ? « Arrêtons-nous sur un quai… laissons-nous envahir par le froissement des vagues... »p.59 .
Dans le même pot au feu, les émotions intellectualisées se mélangent avec la technique. Comment parler des émotions si on prend du recul, si on les analyse et les enseigne comme un programme d'éducation censé être bien fait ? « D'ailleurs on ne peint pas une chose, on peint une émotion… l'enfant le sait bien qui peint d'immenses soleils orange pour signifier que sa vie est joyeuse .»p.65 Je ne sais pas si l'enfant veut signifier que sa vie est heureuse, je crois qu'il nous dit que le soleil est grand !
Et Anne le Maître revient à la photo : « A la façon de la « mémoire de l'intelligence » de Marcel Proust, les photos ne viennent – ou ne devraient venir – que par surcroît, en guise de mémento . »p.67 pour l'accuser, presque, de tous les maux. Pourquoi ne voit-elle dans la photo la sensibilité qui dit bonjour à l'instant fuyant, l'oeil caressé par une transparence de porcelaine, un seul et unique moment ? La photo peut toucher quelques vérités aussi, dire des mensonges avec un naturel déconcertant. Quand il appuie sur le bouton le photographe peut s'approcher de l'unique trait du pinceau dont l'histoire le précède bien en amont.

« Bonheur de l'aquarelle qui transforme radicalement le rapport au temps du voyage et ouvre sur la réalité de nouvelles fenêtres. Grâce d'un geste qui propose, en faisant l'économie d'un passage par l'intellect, d'en appeler d'abord aux sens, permettant ainsi un rapport renouvelé avec nous-mêmes. » J'aime ce ressenti mais pas dans la façon dont il a été exprimé dans ce petit livre  Les bonheurs de l'aquarelle . Cette façon, l'aurais-je mal comprise ?
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« Je ne suis pas peintre. Simplement je peins. A l’aquarelle. Il ne s’agit pas d’art, quoi que ce mot puisse signifier. Je ne suis ni Turner, ni Cézanne, et si je dessinais la montagne Sainte-Victoire, personne d’autre que moi n’en ferait cas. Je le ferais, moi, au nom de l’occasion qui me serait ainsi donnée, une heure durant, de dialoguer avec chaque brin d’herbe qui m’en sépare, avec chacun des arbres, chacune des pierres qui la composent ; avec Cézanne, même, pourquoi pas ?… »

Ainsi commence le témoignage de l’auteur qui nous pousse sur les chemins, équipés d’un carnet d’esquisses, de pinceaux et d’une palette de couleurs. De sa confession, j’ai retenu ces quelques idées qui j’espère sauront traduire avec justesse sa passion… l’aquarelle. Réceptive à cette pratique plus qu’à une autre, elle fait corps avec sa peinture et offre son approche toute personnelle.
Résumer un roman, une intrigue, est bien plus facile que de relater, sans outrepasser, les sentiments d’autrui.

Elle saisit comme pourrait le faire un poète, l’instant qu’elle s’accorde. Elle se donne au temps, à la nature, à quelques traces de vie. Elle s’abandonne.
Je pense que ses aquarelles peuvent s’associer à des haïkus.
La peinture peut ressembler à une lecture. Elle transporte l’esprit et le situe au-delà de nos périphéries. L’artiste peut s’évader et pousser les limites de sa rue jusqu’à un sentier ombragé perdu d’une campagne.
Elle raconte sa communion avec les éléments, le vent, la chaleur, l’harmonie des formes, des couleurs, et conte l’aventure dans sa forme la plus simple. D’une attention particulière et délicate pour d’infimes descriptions, elle peut s’immobiliser quelques minutes pour esquisser ses traits, les colorer, comme elle peut rester patiemment, un temps infini.

« Se dépouiller un peu plus. S’ouvrir. Il lui faudra garder le cœur disponible s’il veut être capable d’entendre l’appel de ce qui l’entoure… »

Autre partie après le temps, c’est l’espace, pour une étendue qui peut être lointaine ou proche. Dans cet espace, il y a le sujet, inerte ou vagabond, organique ou minéral. L’observateur-aquarelliste peut saisir le plus petit indice. Dans un compartiment de sa conscience, il garde son information et essaiera de la retranscrire… L’insecte, le pissenlit, prend présence et l’artiste aimerait rendre honnêtement le petit détail.
Anne Le Maître aime parcourir les contrées et les peindre. Elle retrouve dans ses aquarelles la magie des instants vécus et se rappelle ses émotions.
Elle rentre en osmose avec le sujet et prône la contemplation… Un état d’esprit que l’on retrouve chez Proust.

« Assieds-toi.
Regarde.
Attends. »

Le temps, l’espace et la maîtrise… Il y a différentes méthodes de peindre, dont celle du lavis. L’auteur narre « le miracle »… Lorsqu’elle imbibe sa feuille d’eau et qu’elle pointe son pinceau gorgé d’un pigment, la peinture fuse, éclate et se propage en léchant le papier. A sa lecture, je voyais les tons s’avaler, se mêler et posséder le support. C’est vivant et magique. J’imagine la fascination du spectateur fasse à cette alchimie.

Anne Le Maître perçoit l’aquarelle comme des bonheurs. Elle partage son amour avec ardeur et gourmandise. Elle savoure le temps, essaie parfois de conserver l’innocence de l’enfant, rester zen, généreuse, et capture les petits plaisirs, comme les grands, pour les ranger sur les étagères de ses souvenirs. Peintre voyageur… un beau titre qu’elle peut revendiquer… elle l’est sans prétention.
Pour terminer ce billet, je préfère vous écrire ses mots qui évoquent sa sensibilité …

» Que rapportes-tu de ton voyage, voyageur ?
As-tu griffures aux jambes ou bleus à l’âme ?
Que nous rapportes-tu de plus que ce hâle léger de ta peau et quelques rides au coin des yeux ?
Je vous rapporte des mots et des couleurs. Voici un bouquet d’émeraude et de cobalt. Voici le carmin d’un épilobe, l’or d’un collier, l’outremer d’un orage. Voici la laque de garance dont était issue par un matin d’hiver la montagne de la Table dominant la baie du Cap où vaguaient cargos et baleines… Et mêlé aux pigments, en même temps que la poussière de la route, c’est le voyage entier que je vous livre. Ce sont les effluves musquées du marché aux étoffes de Dakar, c’est la nuit qui tombe en longs accords d’orgue sur les vitraux de l’abbatiale de Conques. C’est la peur mauve du sanglier sous les pins, le froid d’un lac suédois qui noue les muscles des mollets, le baiser d’un brin de chèvrefeuille. Le poids du sac. Le goût du pain tiède. Le craquant d’une pomme. C’est l’empreinte, la moisson, la matière brute, le minerai sortant tout juste de la fosse. Plié sur le dessus de mon bagage, je vous rapporte le temps que j’ai passé à me dépayser. La lenteur des jours. Dix minutes en tête-à-tête avec une fleur. Un quart d’heure sous un chêne à regarder tomber l’averse… »

Peinture-écriture, aquarelle-poésie, j’aimerais partir m’installer dans un coin surplombant un champ de colza, m’installer sur un muret moussu et contempler les frisures du lichen, caler mon dos entre deux rochers face à la baie de Calvi, m’installer dans le jardin et rendre hommage à mes fleurs… Oui, j’aimerais avoir cette habileté et voyager…
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En commençant cette petite philosophie du voyage après celle de Matthieu Raffard (sur la photographie), je m'attendais à une certaine continuité, tant par les thèmes choisis (qui sont tous deux une des formes de la représentation du monde) que par la présentation de l'éditeur qui semblait mettre l'accent sur le regard, prépondérant dans le texte de Matthieu Raffard. Cette attente a été trompée de façon plus ou moins heureuse, Anne le Maître traitant d'une série d'autres paramètres de façon très intéressante, mais m'agaçant également par moments.

Après une magnifique citation d'Une histoire de bleu de Jean-Michel Maulpoix, l'auteure ouvre son texte de façon très abrupte en affirmant un positionnement assez humble :

Je ne suis pas peintre. Simplement je peins. A l'aquarelle. Il ne s'agit pas d'art, quoi que ce mot puisse signifier. […] Pour moi comme pour tous ceux qui ne partent jamais en randonnée ou en voyage sans avoir glissé au préalable dans leur bagage un bloc de papier, un crayon et quelques tubes de couleur, la peinture vagabonde – cette façon d'aller à la rencontre du réel un pinceau à la main – est plus qu'une activité : un mode de vie. [p. 11]

Cette attitude humble face au monde revient par la suite sous la plume de l'auteure comme une des nécessités à la peinture et à la vie en général. Sont également longuement abordées les questions du temps et de l'espace, les deux composantes du voyage : on sent que l'auteure connaît son sujet (elle est professeur d'histoire-géographie), sans pour autant noyer le lecteur sous les références et les informations. Selon elle, il est inutile d'aller loin pour voyager et il faut réapprendre le temps du voyage, par la marche notamment. Toutes ces réflexions sont nourries par des anecdotes personnelles, narrées de façon fluide et très agréable : celle de la découverte de l'aquarelle notamment est vraiment belle, avec toute l'émotion que recèle ce souvenir et les descriptions très évocatrices.

Malheureusement, il y a eu un « mais » dans ma lecture : Anne le Maître compare souvent l'aquarelle, ou la peinture en général, à la photographie, au détriment de la seconde. Cela m'a souvent agacée, surtout après avoir lu toutes les possibilités de cet art sous la plume de Matthieu Raffard. Dans l'ensemble, je trouve dommage que l'auteure ait délimité son art par des comparaisons négatives, par exclusion, en le plaçant au-dessus des autres plutôt qu'à leurs côtés : cela contredit l'humilité prônée ci-dessus d'après moi. C'est sans doute l'un des éléments qui m'a empêché de me sentir tout à fait invitée au sein de ce texte, comme le proposait pourtant le titre. Heureusement, dans les dernières pages (un peu tardivement, pourrait-on dire), le « miracle » s'est produit : en abordant la question des lecteurs des carnets de voyage, Anne le Maître a réussi à m'entraîner vraiment dans son texte, jusqu'au point final.

Un beau voyage, agrémentés de réflexions intéressantes, malgré quelques petits accrocs pour ma part avec l'expression de certaines.

Lien : http://minoualu.blogspot.be/..
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Une autre façon de saisir un instant, une autre manière de magnifier la nature, un médium de création qui ne se dompte pas facilement ; avec l'aquarelle, Anne le Maître nous fait vire une belle itinérance entre voyage et peinture.

Je retiens de cette lecture une question de temps. Tout d'abord, lire un livre nécessite du temps. Et j'ai trouvé cela beau de lire un livre qui parle de peinture de cette manière. Car pour peindre, là aussi il faut du temps.
Comme toujours dans cette collection de livre des Éditons Transboréal, il y a une part poétique dans ce récit. Et j'aime ressentir ce côté poétique dans chacune de ces lectures. Un fil invisible qui relie chacun de ces livres.

Malgré tout, il y a un petit "mais" dans ce récit. Comme pour les autres critiques que j'ai pu lire, j'ai trouvé que la photo n'avait pas été bien traitée, comme si c'était le vilain petit canard de l'art. Pratiquant moi-même la photographie, je peux vous dire qu'il est question de temps dans cette pratique. du moins, dans ma façon de la pratiquer. Et puis même si certaines personnes font des clichés très rapidement, il existe aussi des peintres, qui font des tableaux rapidement. Et c'est très bien ainsi. Après tout, chacun pratique l'art comme il en a envie. Mais on ne devrait pas mal parler d'un autre art, même si nous ne l'apprécions pas. Pourquoi vouloir opposer la photographie à l'aquarelle ? Ce sont des supports artistiques différents qui peuvent très bien se marier. Pour réconcilier la photographie et l'aquarelle, je vous propose de chercher sur internet "Iris du levant - le pinceau et l'objectif" d'Annie Patterson et Frédéric Depalle. Une magnifique exposition ou deux artistes subliment les iris sauvages. Un beau contre pied aux propos d'Anne le Maître.

Hormis ces quelques passages délicat où il est question de photographie, j'ai vraiment apprécié le reste de la lecture.

Je vous laisse découvrir ce beau récit qui soulève tout de même quelques questions.
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
» Que rapportes-tu de ton voyage, voyageur ?
As-tu griffures aux jambes ou bleus à l’âme ?
Que nous rapportes-tu de plus que ce hâle léger de ta peau et quelques rides au coin des yeux ?
Je vous rapporte des mots et des couleurs. Voici un bouquet d’émeraude et de cobalt. Voici le carmin d’un épilobe, l’or d’un collier, l’outremer d’un orage. Voici la laque de garance dont était issue par un matin d’hiver la montagne de la Table dominant la baie du Cap où vaguaient cargos et baleines… Et mêlé aux pigments, en même temps que la poussière de la route, c’est le voyage entier que je vous livre. Ce sont les effluves musquées du marché aux étoffes de Dakar, c’est la nuit qui tombe en longs accords d’orgue sur les vitraux de l’abbatiale de Conques. C’est la peur mauve du sanglier sous les pins, le froid d’un lac suédois qui noue les muscles des mollets, le baiser d’un brin de chèvrefeuille. Le poids du sac. Le goût du pain tiède. Le craquant d’une pomme. C’est l’empreinte, la moisson, la matière brute, le minerai sortant tout juste de la fosse. Plié sur le dessus de mon bagage, je vous rapporte le temps que j’ai passé à me dépayser. La lenteur des jours. Dix minutes en tête-à-tête avec une fleur. Un quart d’heure sous un chêne à regarder tomber l’averse… »
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« La première fois que j’ai touché aux petits godets colorés d’une boîte d’aquarelle, il y a fort longtemps, le jour où, le cœur battant, j’ai ouvert sur ma table un manuel du style “J’apprends l’aquarelle en dix leçons”, je me suis lancée dans la réalisation d’une marine. Quinze centimètres de ciel, trois autres centimètres pour la mer et entre les deux, pour donner l’échelle, le triangle rouge d’une voile. Suivant minutieusement les instructions du livre, j’ai humecté ma feuille sur toute sa surface, préalable indispensable à la réalisation d’un lavis. Puis, avec la pointe un peu tremblante d’un pinceau, j’ai déposé quelques touches d’indigo à l’angle gauche, un mélange de brun de garance et de sienne brûlée en dessous, pour finir tout en bas par deux bandes de bleu de Prusse… Et j’ai vu naître sous mes yeux un ciel chargé d’orage, un soleil que voilaient les nuages et des flots gonflés de colère. C’était miraculeux. Par le jeu de l’eau libre et des pigments, tout un paysage naissait sous mes yeux, tout un monde dont j’étais le démiurge, le dieu créateur, capable d’un trait sombre de précipiter la chute des anges ou, grâce à une gouttelette d’eau tombée de mon petit doigt, d’ajouter à l’horizon la promesse d’une éclaircie. »
(p. 43-44)
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« Je ne suis pas peintre. Simplement je peins. A l’aquarelle. Il ne s’agit pas d’art, quoi que ce mot puisse signifier. Je ne suis ni Turner, ni Cézanne, et si je dessinais la montagne Sainte-Victoire, personne d’autre que moi n’en ferait cas. Je le ferais, moi, au nom de l’occasion qui me serait ainsi donnée, une heure durant, de dialoguer avec chaque brin d’herbe qui m’en sépare, avec chacun des arbres, chacune des pierres qui la composent ; avec Cézanne, même, pourquoi pas ?… »
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Contrairement à une peinture à l'huile ou à un dessin au trait, on ne maîtrise jamais totalement une aquarelle. Les pigments se diffusent magiquement dans l'eau de la feuille ; l'évaporation différenciée va les concentrer en certaines zones ; les coloris eux-mêmes interagissent et certains dévorent sans état d'âme tout pigment étranger qui passent à leur portée.
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"Vous avez fréquemment vu ces marches qui conduisent à cet appartement, n'est-ce pas ?
-Fréquemment.
-Combien de fois ?
-Je ne sais pas, des centaines de fois.
-Bon, combien y en a t-il ?
-Combien des marches ? Je ne sais pas.
-Exactement ! Vous n'avez pas observé. Et cependant vous avez vu. Toute la question est là. Moi je sais qu'il y a dix-sept marches, parce que à la fois j'ai vu et observé."
Conan Doyle Sherlock Holmes qui s'adresse au Dr Watson
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Présentation de l'entretien d'Anne Le Maître avec le journaliste Philippe Chauveau sur WebTvCulture en décembre 2023.
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