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EAN : 9782267026733
162 pages
Christian Bourgois Editeur (21/08/2014)
4.43/5   7 notes
Résumé :
« Répondant à une enquête sur le nationalisme et la littérature, André Gide fit valoir que la France dans laquelle il vivait devait beaucoup à "un confluent de races" : il était à considérer que les plus grands artistes sont le plus souvent des "produits d'hybridations et le résultat de déracinements, de transplantations". La valeur d'un homme, d'après Gide, se mesure au degré de dépaysement, physique ou intellectuel, qu'il est capable de maîtriser... »
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
«Toute littérature porte en elle l'exil, peu importe si l'écrivain a dû prendre le large à vingt ans ou s'il n'a jamais bougé de chez lui.» (Roberto Bolaño)

C'est en lisant le roman de Marie Redonnet, «La femme au colt 45», à paraître en janvier 2016 aux éditions le Tripode, en résonance avec notre époque hantée par les déplacements massifs de population et les images des réfugiés, que j'ai eu l'envie de me plonger dans ce texte, paru en 2014 aux éditions Christian Bourgois, ma première découverte de Linda Lê.

Se plaçant dans les traces de «L'écriture du désastre» de Maurice Blanchot, cité en exergue, ce recueil de Linda Lê est aussi, par fragments dispersés, en prise avec un présent douloureux, et habité par les brûlures de l'histoire, tourbillonnant autour de ce sentiment des exilés, de l'extérieur ou de l'intérieur, de la coupure d'avec la société dans laquelle ils vivent.

De Joseph Conrad à Albert Cohen, et avec eux les émigrés géographiques rétifs à la domestication, face à ceux qui les relèguent dans une infériorité supposée, aux exilés intérieurs tels Antonin Artaud l'insoumis ou Louis Wolfson, exilé de sa langue maternelle, Linda Lê évoque, à travers ces figures d'écrivains ou de peintres, ce thème de l'exil, fondateur en littérature.

Ces textes, plus ou moins inspirés, atteignent un sommet lorsque Linda Lê rend un hommage, profond et émouvant, à Benjamin Fondane et à la poétesse Marina Tsvétaeva, auquel le récent texte de Zoé Balthus dans "La moitié du fourbi n°2" répond magnifiquement.

«Nous sommes tous des émigrants qui crient dans la nuit, des exilés qui se heurtent au silence du troupeau, des délogés qui se cognent contre les fanatismes, des passagers en transit que guette la folie, des renégats hantés par le souvenir d'un autrefois où ils avaient confiance en l'avenir, des fantômes qui errent, nostalgiques d'un ailleurs babélien où étancher leur soif de l'inouï. Benjamin Fondane est notre contemporain.»

«Marina Tsvetaeva n'est pas seulement un écrivain de l'avenir n'ayant que défiance pour l'ici, elle est la Cassandre forte d'une infaillible science des choses humaines, la soeur de tous les désemparés, le porte-étendard des esseulés qui échappent à toute emprise, l'incarnation même d'une poésie d'«éternelle vaillance», comme elle le dit à propos de Pasternak, une poésie à la fois tragique et lumineuse, sans concession car intrépidement séditieuse, une poésie où tout est porté au paroxysme, où une froide lucidité le dispute à la fougue d'une exilée qui s'est, contre vents et marées, bâti une maison de mots.»

Ces fragment assemblés tels des fils qui se recoupent, questionnant l'errance et la dispersion, la nécessité d'une coupure, de l'intranquillité ou de la perte pour écrire, d'avoir pour seule patrie la langue de l'écriture, forment une méditation sur l'autre et attisent, en rendant hommage à cette inventivité née de l'étrangeté et du déracinement, l'envie de découvrir de très nombreux autres textes.

«Il arrive que l'ailleurs d'un écrivain soit un contre-monde peuplé de revenants qu'il anime à plaisir. Lafcadio Hearn, né dans les îles ioniennes, n'avait pas trouvé au pays de Galles un apaisement d'avoir été très jeune abandonné par son père, un chirurgien irlandais, puis par sa mère, une Grecque qui ne s'était pas adaptée à l'Irlande et n'avait pas tardé à s'enfuir avec un cousin pour regagner son pays natal […] Son univers est celui des prodiges, des miracles, des karmas maléfiques, des sortilèges et des mystères de la divination. On y retrouve des rois dragons, des princesses malades d'amour, d'envoûtantes beautés venant du monde des Esprits, des samouraïs ensorcelés devant se protéger grâce à des talismans et à des textes sacrés, des mortes revenant toutes les nuits torturer leur mari, de magnifiques créatures se révélant des buveuses de sang, des hommes requins dont les larmes de sang se transforment en rubis, ou encore le Bakou japonais, le mangeur de rêves invoqué pour qu'il dissipe les cauchemars et change la terreur en bonne fortune, et aussi des fantômes qui peuvent détacher leur tête de leur corps et aller en quête de nourriture, dévorant des insectes et même des êtres humains.»

Retrouvez cette note de lecture sur mon blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/12/08/note-de-lecture-par-ailleurs-exils-linda-le/

Pour acheter ce livre à la librairie Charybde, sur place ou par correspondance, c'est par là :
http://www.charybde.fr/linda-le/par-ailleurs-exils

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Je me délecte toujours autant des lectures de Linda Lê, entre autres grâce à son style, mais aussi parce que sans elle, je n'aurais pas rencontré Gregor von Rezzori, Jean Amrouche ou Lorand Gaspar. Sans panégyrique ni style dithyrambique, mais passionnée par ces auteurs, elle nous rappelle sans cesse que l'écriture est tout à la fois « la plaie et le couteau », qu'elle est censée « déranger les hommes », selon Antonin Artaud qui la veut chose qui « soit comme une porte ouverte et qui les mène où ils n'auraient jamais consenti à aller, une porte simplement abouchée avec la réalité ». Cet acte de sauvetage, vous êtes aussi conviés à l'accomplir, en recourant peut-être au bouche-à-oreille pour proposer « exils », par ailleurs, et cela vous paraîtra d'autant plus facile qu'il faut saluer les prix plus que raisonnables des romans de Linda Lê.
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Quel peut être le rôle de l'exil, du déracinement dans la vision du monde d'un écrivain ? Frein, déclin ou ressourcement ?

Dans un essai intitulé « Par ailleurs (Exils) », Linda Lê aborde cette question en évoquant tout à tour le sort d'écrivains en dissidence, exilés de l'intérieur ou contraints au départ physique .Elle y évoque également le cas de ceux qui ont changé de langue pour écrire et s'approprier ainsi un nouvel univers intellectuel autant que linguistique. La conduite d'un exilé, apprend-on, doit éviter de nombreux écueils : Edward Said met en garde de tomber dans « le narcissisme masochiste » et de ne pas faire de l'exil un « fétiche, une pratique qui l'éloigne de tout rapprochement ou engagement. »

Sur ce qui déclenche l'exil, comme sentiment intérieur Linda Lê cite avec grande pertinence André Gide qui avait en son temps mené bataille contre les liaisons dangereuses entre nationalisme et littérature .Il répondit que la France devait beaucoup « à un confluent de races « et que les grands artistes étaient « les produits d'hybridations et le résultat de déracinements, de transplantations. » Un autre exilé des lettres, Klaus Mann, vit dans l'exil un aiguillon, il se définissait comme « un cosmopolite d'instinct », « toujours inquiet, toujours en quête. » On le voit, cette situation de l'exil est loin d'avoir des conséquences identiques sur les destins de ces écrivains. Imre Kertesz, dont l'oeuvre est habitée par la Shoah, voit dans l'exil « une grandeur amère ». le royaume qu'il cherche est juste « un endroit habitable ». Il y a dans cet essai beaucoup d'autres cas cités, tous significatifs et riches d'enseignement sur le rôle de l'exil dans la littérature .Ils nous donnent des indications très précieuses sur l'élaboration de l'écriture dans ce genre de circonstances. Elle peut, selon Maurice Maeterlinck, faire grandir des errants qui ont soif d'espaces et ne grandissent que dans la mesure où « ils cultivent les mystères qui les accablent. »
Un dernier rôle peut être assigné à l'écrivain, celui de l'éternel Cassandre. Cela pourrait, selon Linda Lê, s'appliquer à la situation de Marina Tsvetaeva, dont la devise était « Seule contre tous, » poétesse de « l'éternelle vaillance », selon le mot de Boris Pasternak.
Ce livre fera comprendre grâce à ces multiples allusions, citations, exemples de situations les plus diverses, ce que produit l'exil dans une oeuvre littéraire .Eclairant, attrayant, éloquent.
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Linda Lê, romancière et critique littéraire française, nous propose ici un essai sur l'exil dans la littérature mondiale. Par ailleurs (exils) est composé de textes courts, d'une demi-page à quelques pages, chacun consacré à un auteur différent et au lien qu'il entretient avec l'ailleurs, avec autrui au sens large du terme. Ce lien prend des formes multiples : du personnage de roman émigrant de Joseph Conrad à l'exil politique de Marina Tsvetaeva, de l'auteur refusant d'écrire dans sa langue natale à l'exil intérieur d'un Franz Kafka, les exemples sont nombreux – plus d'une cinquantaine je pense, j'ai arrêté de noté après Michael Edwards qui faisait remarquer que jadis étranger se disait aubain, ce qui de fil en aiguille à donner aubaine. Je vous laisse lire le livre pour découvrir son cheminement.

Ma lecture n'a pas été régulière, tout d'abord emportée par cette foultitude d'informations, j'ai commencé à me lasser au milieu de l'essai pour retrouver un regain d'intérêt vers la fin lorsque Linda Lê s'attarde sur les quelques poètes russes dont j'ai connaissance. Cet essai, au style sec et précis, est extrêmement dense et justifie d'une culture littéraire titanesque que j'ai peine à suivre, et c'est là mon plus grand regret. Faute de pouvoir noter tous les auteurs cités – j'ai pensé me créer un challenge personnel à partir de cet ouvrage avant de capituler – j'ai retenu quelques noms que j'aimerais lire : notamment Alejandra Pizarnik, Benjamin Fondane, Thomas Bernhart et Anna Akhmatova qui me nargue depuis la lecture de sa biographie par Nadejda Mandelstam (un petit bijou publié aux éditions le Bruit du temps).

Un bel essai, à relire certainement dans quelques années, avec d'avantages de plomb dans la tête.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Créer, pour ces outsiders, implique de cultiver sa sauvagerie intérieure, qui favorise la démystification du rationnel, la manifestation de phénomènes occultes, l'apparition de trajectoires dévoyées, l'exploitation du talent d'extravaguer, la fréquentation des régions suprasensibles, vraie patrie des voyants, l'accentuation des prédispositions à être le transcripteur de l'autre réalité, à penser l'errance de sorte que ce soit, note Édouard Glissant une pensée des ralliements, de la migration « des absolus de l'Être aux variations de la Relation où se révèle l'être-comme-étant, l'indistinction de l'essence et de la substance, de la demeure et du mouvement », à injecter un nouveau principe vital dans cet organisme sclérosé qu'est la littérature lorsqu'elle se nourrit uniquement de vérités rassurantes, sans faire d'elle une littérature universelle dans ce qu'elle aurait de plus abstrait, à force, prévient encore Édouard Glissant, de vouloir « récuser la présence des fructueuses intimités et des terribles assauts et antagonismes des lieux et des espèces entre eux et dans la totalité » (« Philosophie de la relation »), ou une littérature qui se serait proclamée recevable par tous, car possédant une dimension généralisante par quoi elle scellerait sa suprématie sur les autres formes d'expression des civilisations et des cultures.

(pp. 55-56)
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Elle (Marina Tsvetaeva) vivait ce qu’elle appelait des « idylles cérébrales », elle était une amante de l’amour, terrestre ou céleste, qui projetait en l’autre sa rage d’aimer : « Je n’ai jamais laissé à personne le droit de choisir : c’était tout – ou rien, mais dans ce tout – comme dans le chaos originel – il y avait tant, que rien d’étonnant à ce que l’autre y sombre, se perde et, pour finir, me perde. »
(...)
Elle était naturellement portée à prendre intérêt aux choses qui venaient d’ailleurs, elle avait, disait-elle, une passion pour chaque pays comme s’il était l’unique : « C’est cela mon Internationale. Non pas la Troisième, mais l’éternelle. » Elle n’était pas de son siècle, elle se disait née « pour la solitude magnifique, peuplée d’ombres...
(...)
« Je n’écris pas parce que je sais, mais pour savoir. » disait-elle. En étant une infinité de multiplicités, elle avait acquis un redoutable savoir, celui d’une Sibylle habitée par la certitude que la mission du poète est de rebaptiser le monde.
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L'étranger est-il, ainsi que le prétendent certains, un rêveur tiraillé entre le regret de son pays d'origine et l'avidité de découvrir de nouvelles contrées, entre la nécessité de ne faire partie d'aucune communauté et le désir de vivre en symbiose avec la tribu à laquelle il s'est incorporé ? Ou est-il, comme l'écrit Baudelaire, cet homme énigmatique qui n'a ni père, ni mère, ni sœur, ni frère, ni amis, qui ignore sous quelle latitude est situé sa patrie, qui hait l'or et n'aime que les nuages, « les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages » ? Représente-t-il un danger, car il vient de ces rivages que nous ne connaissons pas et apporte avec lui son lot de misères ? Nous nous disons que nous en avons assez des nôtres et nous voyons d'un mauvais œil l'irruption de celui-là que nous ne comprenons pas et ne ferons jamais l'effort de comprendre. Il ne peut être notre alter ego, il peut au contraire être notre cauchemar, tant nous le tenons pour un envahisseur. Nous sommes fiers de nos œillères, parce que sans elles nous ne serions plus ni qui nous sommes, parce que nous nous définissions en nous opposant à ce quidam qui ne nous ressemble pas : nous ne voulons pas nous projeter sur lui, nous ne voulons pas de cette « autrement » qu'il nous propose.

(p. 24)
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Thomas Bernhard lui-même, quand il parle en son nom propre, rappelle que de tout temps il avait été un trouble-fête pour ceux qui le connaissaient, que de tout temps il avait dérangé et irrité. « Tout ce que j’écris, ce que je fais est dérangeant, irritant. Ma vie entière en tant qu’existence n’est rien autre qu’une volonté constante de déranger et irriter. En attirant l’attention sur des faits qui dérangent et irritent. Les uns laissent les gens tranquilles, les autres – je fais partie de ceux-là – dérangent et irritent. Je ne suis pas un homme qui laisse tranquille, je ne veux pas être d’un caractère de cette sorte-là » (La Cave).
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Ne voulant pas avoir pour tout horizon les paysages du hameau où s'étaient écoulés ses jeunes années (« Quoi de plus sinistre que de river sa cheville au pavé d'un malheureux patelin, fût-il baigné par le Danube ? »), il s'était juré de vagabonder sans cesse, pour partir à la découverte du globe, même s'il devait affliger sa mère, laquelle aurait aimé qu'il soit solidement établis dans son pays, qu'il ait un intérieur, une « situation », de « beaux enfants », et qu'il fasse fortune. [...] Lâché par l'intelligentsia parisienne, soutenu seulement par quelques anarchistes, il mourut en n'ayant jamais dérogé à ses convictions : Istrati était et demeurait, jusqu'à son dernier souffle, un démiurge qui avait le culte de tout ce qui est de l'homme.
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