«Toute littérature porte en elle l'exil, peu importe si l'écrivain a dû prendre le large à vingt ans ou s'il n'a jamais bougé de chez lui.» (Roberto Bolaño)
C'est en lisant le roman de
Marie Redonnet, «
La femme au colt 45», à paraître en janvier 2016 aux éditions le Tripode, en résonance avec notre époque hantée par les déplacements massifs de population et les images des réfugiés, que j'ai eu l'envie de me plonger dans ce texte, paru en 2014 aux éditions Christian Bourgois, ma première découverte de
Linda Lê.
Se plaçant dans les traces de «
L'écriture du désastre» de
Maurice Blanchot, cité en exergue, ce recueil de
Linda Lê est aussi, par fragments dispersés, en prise avec un présent douloureux, et habité par les brûlures de l'histoire, tourbillonnant autour de ce sentiment des exilés, de l'extérieur ou de l'intérieur, de la coupure d'avec la société dans laquelle ils vivent.
De
Joseph Conrad à
Albert Cohen, et avec eux les émigrés géographiques rétifs à la domestication, face à ceux qui les relèguent dans une infériorité supposée, aux exilés intérieurs tels
Antonin Artaud l'insoumis ou
Louis Wolfson, exilé de sa langue maternelle,
Linda Lê évoque, à travers ces figures d'écrivains ou de peintres, ce thème de l'exil, fondateur en littérature.
Ces textes, plus ou moins inspirés, atteignent un sommet lorsque
Linda Lê rend un hommage, profond et émouvant, à
Benjamin Fondane et à la poétesse
Marina Tsvétaeva, auquel le récent texte de Zoé
Balthus dans "La moitié du fourbi n°2" répond magnifiquement.
«Nous sommes tous des émigrants qui crient dans la nuit, des exilés qui se heurtent au silence du troupeau, des délogés qui se cognent contre les fanatismes, des passagers en transit que guette la folie, des renégats hantés par le souvenir d'un autrefois où ils avaient confiance en l'avenir, des fantômes qui errent, nostalgiques d'un ailleurs babélien où étancher leur soif de l'inouï.
Benjamin Fondane est notre contemporain.»
«
Marina Tsvetaeva n'est pas seulement un écrivain de l'avenir n'ayant que défiance pour l'ici, elle est la Cassandre forte d'une infaillible science des choses humaines, la soeur de tous les désemparés, le porte-étendard des esseulés qui échappent à toute emprise, l'incarnation même d'une poésie d'«éternelle vaillance», comme elle le dit à propos de Pasternak, une poésie à la fois tragique et lumineuse, sans concession car intrépidement séditieuse, une poésie où tout est porté au paroxysme, où une froide lucidité le dispute à la fougue d'une exilée qui s'est, contre vents et marées, bâti une maison de mots.»
Ces fragment assemblés tels des fils qui se recoupent, questionnant l'errance et la dispersion, la nécessité d'une coupure, de l'intranquillité ou de la perte pour écrire, d'avoir pour seule patrie la langue de l'écriture, forment une méditation sur l'autre et attisent, en rendant hommage à cette inventivité née de l'étrangeté et du déracinement, l'envie de découvrir de très nombreux autres textes.
«Il arrive que l'ailleurs d'un écrivain soit un contre-monde peuplé de revenants qu'il anime à plaisir.
Lafcadio Hearn, né dans les îles ioniennes, n'avait pas trouvé au pays de Galles un apaisement d'avoir été très jeune abandonné par son père, un chirurgien irlandais, puis par sa mère, une Grecque qui ne s'était pas adaptée à l'Irlande et n'avait pas tardé à s'enfuir avec un cousin pour regagner son pays natal […] Son univers est celui des prodiges, des miracles, des karmas maléfiques, des sortilèges et des mystères de la divination. On y retrouve des rois dragons, des princesses malades d'amour, d'envoûtantes beautés venant du monde des Esprits, des samouraïs ensorcelés devant se protéger grâce à des talismans et à des textes sacrés, des mortes revenant toutes les nuits torturer leur mari, de magnifiques créatures se révélant des buveuses de sang, des hommes requins dont les larmes de sang se transforment en rubis, ou encore le Bakou japonais, le mangeur de rêves invoqué pour qu'il dissipe les cauchemars et change la terreur en bonne
fortune, et aussi des fantômes qui peuvent détacher leur tête de leur corps et aller en quête de nourriture, dévorant des insectes et même des êtres humains.»
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