Lundi 4 septembre 1940
Revoilà, à la nuit, avec l'approche de l'automne, le cri délicieux et émouvant de la chauve-souris. Ma fenêtre est ouverte. Elle m'a semblé d'abord être toute proche. Maintenant, le cri me vient, plus éloigné, et un autre cri lui répond. J'en oublie toutes les abominations et stupidités du moment.
17 juin 1948
Je ne suis pas, comme écrivain, un créateur. Je puis être un esprit original. Je puis même avoir une personnalité d’un certain relief. Je n’ai rien créé, je n’ai rien inventé. Je suis un rapporteur de propos, de circonstances, un esprit critique, qui juge, apprécie, extrêmement réaliste, auquel il est difficile d’en faire accroire. Rien de plus. Je peux ajouter : le mérite d’écrire avec chaleur, spontanément, sans travail, prompt et net, — et quelque esprit.
26 avril 1951
Sorti de l'école à 15 ans, mis aussitôt à travailler comme employé par mon père, ayant appris seul ce que je peux savoir, m'étant donné seul la culture que je peux avoir (je n'ai jamais cessé), m'étant perfectionné seul comme écrivain, cela n'a pas fait de moi un démocrate. Tout le contraire : un aristocrate. Je l'entends par mon esprit, ma façon de penser et de juger. Un antipédagogue, un antipopulaire. Le mot anarchiste par l'esprit conviendrait peut-être mieux.
14 août 1940
Alceste, un satirique, un homme d'une gaîté mauvaise, aux plaisanteries mordantes, aux vérités cruelles dites avec des éclats de rire, l'excès de clairvoyance et de désenchantement aboutissant à une sorte de moquerie féroce avec bonne humeur. Ce que je suis.
Paul Léautaud - Entretiens (Partie 1).