Le Gendre Bertrand, - "
1962, l'année prodigieuse" – Denoël, 2012 (ISBN 978-2207111611).
L'auteur appuie ici la thèse montrant que la véritable rupture intervenue après la seconde guerre mondiale n'est pas la petite vaguelette pseudo-révolutionnaire de mai 1968 mais plutôt l'année charnière 1962. Pour ce faire, il s'appuie sur quelques grands évènements marquants datés de cette année-là :
- le retour de la prospérité économique, le début de la "société de consommation", de la généralisation de la télévision, du réfrigérateur, de la voiture individuelle, de la "femme libérée", de la publicité omniprésente, mais avec le proverbial retard en équipement téléphonique qui tourne au "scandale", l'exode vers les "cités radieuses", les "grands ensembles", les "villes nouvelles"
- l'ouverture du
Concile Vatican II (sur lequel l'auteur ne s'attarde guère)
- les adieux à ce qui fut l'empire colonial français, avec la fin de la Guerre d'Algérie sur laquelle l'auteur s'étend longuement (les nombreux attentats de l'OAS, les morts du métro Charonne le 8 février, l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet)
- corollaire de la fin de l'empire, et même cause majeure de ce tournant pour l'auteur :
De Gaulle décide délibérément de miser sur la construction européenne, sur l'axe franco-allemand, sur
Konrad Adenauer, sur l'appartenance aux grands pays développés : l'auteur en parle et je me souviens de la visite en grande pompe d'Adenauer, du 2 au 8 juillet 1962, dont l'intermède à la cathédrale de Reims le dimanche 8 juillet suivi du voyage de
De Gaulle en Allemagne, du 4 au 9 septembre, avec un
De Gaulle prononçant ses discours dans un allemand peut-être pas impeccable, mais qui emporte auprès des citoyens Allemands un enthousiasme qui transforme ce voyage en tournée triomphale...
- l'adoption, par référendum, de l'élection du Président de la République au suffrage universel (je me souviens encore de l'intervention de
De Gaulle le 20 septembre 1962) qui inaugure, valide et entérine la personnalité exceptionnelle du Général de Gaulle, sa stature imposante qui lui vaut le surnom "le Grand Charles"... lui qui a pourtant déjà 71 ans, cette voix très particulière qui fait la fortune d'humoristes imitateurs (Henri Tisot en tête), et cette probité que l'on ne retrouvera plus jamais chez ses successeurs... (Pompidou est nommé premier ministre le 14 avril 1962, nomination bien étrange...)
- à la mi-octobre 1962, la crise des missiles soviétiques implantés à Cuba, suivi du refus inflexible de Kennedy (je me souviens de mes parents suivant la situation quasiment heure par heure à la radio : quelle peur !), enfin le recul des soviétiques le 25 octobre, qui établit clairement la suprématie des USA
- l'avènement de la mentalité "salut les copains", la création de la strate "la jeunesse", les "yé-yé", l'argent de poche, la dissipation élevée au rang de mode de vie, les
Johnny Hallyday et autre Richard Antony promus "idoles des jeunes" (mon Dieu, combien j'ai haï cette phraséologie hypocrite, sotte et bêtifiante dès ses premières heures !), les "blousons noirs"
- le culte naissant des "loisirs", des sacro-saintes vacances s'incarnant dans le camping...
L'auteur dresse un catalogue de changements marquants dans la société, mais n'en tire aucune conclusion, si ce n'est un dernier chapitre intitulé "nostalgie". Il ne voit pas à quel point certaines couches de la population (par exemple celles et ceux issus de "la boutique" ou du monde rural) ont été violemment arrachées à leurs conditions d'existence durant ces "trente glorieuses" qui ne furent glorieuses que pour certaines et certains...