Mon premier
Lehane, enfin !
Teddy Daniels et Chuck Aule, deux marshals, sont envoyés sur l'île de Shutter, au large de Boston, suite à l'évasion d'une patiente. L'île est en effet un hôpital psychiatrique, où sont soignés (et emprisonnés) les criminels les plus dangereux des Etats-Unis. Très rapidement, Daniels et Aule se rendent compte que l'endroit n'est pas si sain qu'il n'y paraît, et ils développent même la conviction que des expériences pas nettes y sont réalisées ; où diable sont-ils tombés ?
Wow ! Quel polar d'enfer ! Non seulement il est bien écrit, bien construit, bien mené, mais il balade le lecteur de rebondissement en rebondissement, tout en entretenant le mystère et en maintenant le suspense. Je n'ai pas vu l'adaptation de Scorsese, j'ai donc découvert l'histoire au fur et à mesure de ma lecture, pour mon plus grand bonheur.
Outre l'intrigue proprement géniale, j'ai adoré le contexte du roman : on est en 1954, en pleine guerre froide, en pleine peur atomique, en pleine paranoïa communiste, et Teddy est un ancien soldat qui a libéré Dachau et ne peut se délivrer de tout ce qu'il y a vu, les morts, les vivants, les morts-vivants. C'est également la période où deux écoles de médecine psychiatrique s'affrontent : les tenants des électrochocs et autres lobotomies, et ceux de la psychopharmacologie naissante -qui nécessite toutefois des cobayes. A la folie du monde, s'ajoutent donc celle des malades (et des médecins ?) et celle des éléments, puisqu'une tempête énorme ravage l'île et l'isole du reste du continent. Epoustouflant.
Par ailleurs, en plus de la trame policière, des rappels historiques, des références médicales,
Dennis Lehane insuffle dans son roman des réflexions sur l'amour d'une renversante intensité : "(...) et il aurait voulu lui demander quel bruit faisait le coeur quand il éclatait de bonheur, quand la seule vue d'un être vous comblait plus que la nourriture, l'eau ou l'air ne le pourraient jamais, quand vous aviez l'impression d'être né pour vivre un seul et unique moment, et que, sans raison, vous le saviez soudain arrivé." Et tous ces composants sont dosés avec une telle justesse qu'ils s'imbriquent parfaitement les uns dans les autres, pour offrir un récit captivant, intrigant et émouvant ; la grande classe !
Alors, forcément, je suis sortie éblouie, secouée, ébouriffée, de cette lecture, qui m'a fait valdinguer dans tous les sens de l'imaginaire, comme une vraie tempête littéraire.
Une totale réussite, donc, et pas mon dernier
Lehane !
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Triste époque : en dernière page de mon édition "Rivages/noir" de poche, imprimée en Février 2023 et dotée d'une couverture lisse, il est indiqué, non sans humour : "la panique générale dans l'industrie papetière nous oblige à faire un détour en changeant le papier habituel, si swag, de nos couvertures Rivages/noir."
Tout se perd, même le swag. Vive la crise.