Nina vit à Roubaix avec sa mère. Elle quitte doucement l'enfance, commence un apprentissage dans un salon de coiffure. Ce n'est pas vraiment ce dont elle rêve, mais bon... Ça ou l'usine de textile qui emploie la plupart des femmes du voisinage de génération en génération... Nina est une jeune fille douce, docile, rêveuse, insatisfaite. Pas exigeante pourtant : elle aimerait juste revoir son papa qui a disparu après avoir trempé dans des affaires louches, elle voudrait aussi avoir sa mère plus souvent pour elle toute seule, ne pas la partager avec les hommes qui se succèdent dans sa vie, et avec les copines de boulot qui l'accaparent depuis que l'usine est en grève. Que faire pour exister davantage à ses yeux ? Nina profite de son premier jour de congé pour trouver LE cadeau d'anniversaire pour sa mère qui les réunira le temps d'un week-end.
Petit roman mélancolique et sombre. Doux aussi, grâce à la jolie plume de Michèle Lesbre et à quelques moments de grâce, malgré la violence latente. On attend des drames, on en devine certains entre les lignes en italiques dont on se demande parfois si elle correspondent à des rêves, à des fantasmes, ou à la réalité. La fin dissipe ce doute, mais je reste dans un entre-deux : comme Nina qui hésite à garder son secret, je ne sais pas très bien que penser de cette histoire, émouvante et dérangeante, et de ses personnages énigmatiques.
Merci Laurence !
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" - Vous l’avez quand même choisi ce prénom, c’est peut-être papa qui a eu l’idée.
- Ton père? Une idée? Écoute, ma chérie, je n’en sais rien du tout, c’est arrivé comme ça, par hasard. Il te plaît plus ce prénom?
- C’est pas ça, je voulais savoir
- Y a rien à savoir, les prénoms c’est assez mystérieux. Moi je trouve qu’il te va très bien celui-là. (…)
Je ne lui en voulais même pas. Je le ressentais tellement ce hasard qui m’avait posée là, dans cette vie-là; avec cette mère-là, que d’une certaine façon je pouvais admettre qu’elle n’y était pour rien, qu’elle n’avait pas choisi elle non plus. Nina, par hasard, un point c’est tout. "
Nina est apprentie coiffeuse dans une petite ville du nord. Elle vit avec sa mère dont le dernier copain en date vient de partir. Il s’appelait Ricco, Nina ne l’aimait pas beaucoup avant il y avait eu Paul, son camion et de beaux dimanches…Il y eut aussi Bob. Et puis avant le père de Nina, dont elle a de vagues et beaux souvenirs, elle a longtemps espéré qu’il reviendrait la voir.
Il y a aussi l’usine de textiles. La bande des copines de Susy, sa mère. Les rires, la solidarité, les bals du samedi soir, les confidences…
Il y a Delplat. Un vieux beau pas sympathique, le patron de l’usine qui observe tout de sa fenêtre mais qui ne fait rien pour soutenir les ouvrières. Et le contremaître, un sale type qui note des drôles de choses dans son carnet.
" Poste 7, la nouvelle, farouche et bandante,
Belle chute de rein, mais rendement médiocre
A surveiller de près si possible."
L’usine est en grève. Les femmes s’organisent. Elles n’en peuvent plus de tout ce mépris. De ces machines bruyantes qui viennent de prendre 3 doigts à une ouvrière. Des fausses accusations de cette ordure de Legendre et de son carnet rouge.
Nina raconte cette histoire, elle raconte aussi son enfance, ses rêves aussi . Elle a un amoureux depuis l’école primaire, Stéph qui l’adore mais qu’elle n’aime déjà plus…Elle ne veut pas de la vie de sa mère, elle voudrait la sortir de ce monde qui l’use et la met en danger.
C’est une semaine dans la vie de Nina. Des souvenirs, des rires, des drames. La mouette, c’est ainsi que l’appelle son ami Arnold passionné d’oiseaux, rêve de s’évader de cet univers étriqué. Les shampoings et les teintures ce n’est pas son avenir.
L’auteur nous restitue magnifiquement cette atmosphère si lourde, peuplée de moment heureux malgré tout mais aussi de larmes et de fureurs. Il y a de belles figures dans cette histoire, Louise volontaire et tendre, les grands-parents de la petite Nina, juste esquissés mais présent. Tous ces personnages à qui Nina s’est agrippé au sens propre comme au sens figuré.
"Nina par hasard" avance dans cette vie et elle sait où elle veut aller. L’auteur nous fait un beau portrait de cette jeune fille à peine sortie de l’adolescence. L’écriture est précise, les sentiments à fleur de peau. On s’immerge dans cette histoire et l’on pense au poème de Baudelaire " Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle"
Il y aussi une baignoire. Cela ne pourrait être qu’anecdotique, c’est le fil conducteur de cette histoire. Pas très beau que tout cela…
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Elle ne supportait pas le désordre [de mon père], ses mégots et la plupart de ses copains. Surtout un certain Momo, un copain d'enfance, toujours fourré à la maison. "Il est vulgaire, ce Momo !" disait-elle, ou encore : "Quel macho, ton Momo !" C'était vrai, Momo répétait souvent "couilles, nibards, fils de pute, enculés"... Il avait des costumes de toutes les couleurs et sentait l'after-shave.
Papa critiquait les parents de maman, ton père ci, ta mère là. Il n'aimait pas la campagne, il détestait le Nord, les plages du Nord et les couleurs du Nord. Il ne remarquait pas toujours quand elle préparait un nouveau plat, et il ne voulait pas qu'elle travaille. Mais ils aimaient tous les deux Eddy Mitchell, 'Couleur menthe à l'eau', la couleur des yeux de maman.
- Si tu crois que ça suffit dans la vie ! lui criait-elle quand il chantait pour se faire pardonner.
(p. 43)
Je le fixais, je ne croyais pas ce que je voyais. Je n'avais pas peur de rencontrer ce regard dont elles parlaient toutes, ces yeux noyés dans les paupières ridées. Des yeux qui, chaque soir, derrière les rideaux de son bureau, surveillaient la sortie des ouvrières. Ces yeux qui n'avaient pas versé une larme lorsque la soeur de Louise avait eu cet accident stupide, trois doigts sectionnés par les ciseaux mécaniques. Trois doigts de la mains droite.
Ces yeux qui, un jour, fixaient sans broncher un homme et son enfant, debout sous la pluie, brandissant une pancarte.
C'était mon premier jour de congé, il commençait bien ! Je me disais : "C'est comme un mauvais dimanche, on voudrait tout, il n'y a rien. Les heures passent."
(p. 28)
Il était grand temps de délivrer ma mère de ce monde qui l'usait, la mettait en danger, et auquel elle finirait peut-être par ressembler en vieillissant.
Ma mère et Madeleine étaient parties tôt. Toutes ces démarches imbéciles,après la mort. Tout ce chagrin qu'on ne peut pas vivre tranquille dans son coin. Il faut choisir des fleurs et savoir combien ça coûte. On peut pleurer tant qu'on veut, mais les autres regardent. Et puis, il y a le jour et l'heure. Il faut décider, avoir la force d'y aller, de serrer des mains et de dire merci.
https://www.librairiedialogues.fr/livre/10978327-chere-brigande-lettre-a-marion-du-faouet-michele-lesbre-sabine-wespieser
5 questions posées à Michèle Lesbre qui nous parle de son livre "Chère brigande, lettre à Marion du Faouët" paru aux éditions Sabine Wespieser.
Questions posées par Morgane Ollivier.
Réalisation : Ronan Loup.
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