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EAN : 9782290117804
416 pages
J'ai lu (05/10/2016)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Deux femmes, d'âge mûr et encore belles, ont chacune une aventure avec le fils de l'autre. Un jeune homme idéaliste se confronte à la réalité de l'amour. Une jeune métisse se heurte à la barrière des classes sociales. Le désir, l'amour, la famille, portés par l'écriture de l'une des reines de la littérature anglo-saxonne et réunis en un seul volume.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Dans la lignée des femmes auteures incontournables, à mon sens, il y a la nobélisée Doris Lessing. Si je l'ai découverte avec le carnet d'or, une oeuvre monumentale, j'évoque aujourd'hui ma lecture d'un recueil de trois nouvelles réunies, ou plutôt de trois novellas chez les Éditions J'ai Lu. La novella, je le découvre aujourd'hui, désigne une oeuvre dont la longueur se situe entre le roman et la nouvelle, on en apprend tous les jours. Si ces textes sont moins complexes que le carnet d'or, le fond y est effectivement plus léger, les thèmes restent les mêmes : la place de la femme dans la société, l'Afrique du Sud, les amours illégitimes, la maternité ou plutôt la parentalité. le carnet d'or reste l'un de ses chefs-d'oeuvre, il a été publié en 1962, les nouvelles l'ont été en 2003 : avec quarante ans d'écart, si l'ampleur et l'exhaustivité de le carnet d'or et de ses six cents pages est unique et ne se retrouve pas forcément dans la concision des trois novellas, les problématiques n'ont guère changé dans l'esprit créatif de l'auteure en début de siècle.

Trois nouvelles gravitent autour des mêmes noyaux, liées entre elles par les mêmes fils conducteurs, délivrant en filigrane chacune d'entre elle, si ce n'est un message, des constats, des témoignages sur des états de fait sociaux. Alors que Doris Lessing évoque deux histoires d'amour hors normes dans la première nouvelle Les grand-mères, lestement imbriquées à une histoire d'amitié presque saphique, comme en contrepoint, la deuxième nouvelle Victoria et les Staveney aborde la vie d'une jeune enfant noire, en marge de la bonne société anglaise, la dernière L'enfant de l'amour narrera la vie d'un jeune soldat qui a vécu une histoire d'amour aussi éphémère que passionnée avec une femme de la bonne société. Si finalement chaque nouvelle est abordée sous un angle différent, celui de deux femmes blanches et de la classe moyenne ou bourgeoise, celui d'une jeune enfant de couleur née du mauvais côté de la barrière, celui d'un jeune soldat de l'armée britannique, elles se complètent toutes les trois de façon à donner la parole à celles et ceux qui ne l'ont pas.

L'écriture, les textes, de Doris Lessing sont tellement riches que l'on pourrait en parler des pages durant. Des réflexions se font jour à chaque relecture. Il y a avant tout le féminisme de l'auteure, si tant est qu'il faille forcément rattacher la liberté intrinsèque de la femme, comme celle de l'homme, à une notion quelconque. Elle y parle évidemment de la femme, dans tous ses états, jeune mariée, vieillissante, veuve, mariée, célibataire, mère, maîtresse, belle-mère, belle-fille, entrepreneuse. Elle évoque cette non-liberté d'aimer, cette prison que devient la liaison amoureuse sous la pression sociale des apparences et du regard de ces autres, quelque part ou le scandale veille et menace. Elle en parle bien, évidemment, avec la sensibilité, la force évocatrice, la justesse qui sont les siennes, elle frappe exactement là où ça fait mal.

La société est un fardeau, sous la plume de Doris Lessing, qui leste ces femmes d'un poids qui n'est pas le leur, mais finalement d'hommes en mal de sens à donner à leur vie, en mal de femmes, d'amour. Cette figure se décline sous trois formes différentes dans chacune des nouvelles : celui qui impose pratiquement une union non désirée dans Les grand-mères, celui qui erre de femmes en femmes, toutes de couleur dans Victoria et les Staveney, celui qui se tourne vers une femme mariée dans le dernier texte. L'homme impose, la femme dispose : les uns comme les autres ne s'en sortent pas si bien que cela, il y a celui qui se soumet aux contraintes sociales, celui qui impose un choix pas forcément voulu. Il y a dans chacune de ces novellas un brin de subversion qui défriserait ces gens de bonnes moeurs de l'époque ou s'ancre chacun de ces textes : si une liaison entre un homme et une jeune femme plus jeune ont pu délier quelques langues de vipère rétrogrades, à une époque donnée, la situation inverse est longtemps restée inconcevable et aujourd'hui encore, les femmes qui osent tomber amoureuse d'un homme beaucoup plus jeune qu'elles font l'objet de quolibets dépréciatifs, l'épouse du président en est le parfait exemple. Si la condition féminine est l'un des thèmes forts de Doris Lessing, il en va de même pour la ségrégation raciale ayant mené à la colonisation britannique de l'Afrique du Sud. La deuxième nouvelle Victoria et les Staveney est en cela édifiante puisqu'elle met au coeur une jeune femme noire, et mère célibataire d'un enfant métisse, qui plus est. On y retrouve à travers l'image de la famille paternelle de sa fille, de façon très subtile mais piquante, la critique de ces familles bourgeoises travaillistes qui se veulent et se disent progressistes, sans aller jusqu'à être réformiste bien entendu, mais continuent à dissimuler un racisme systémique sous une couche de vernis progressif.

Car chez Doris Lessing, personne n'est prêt à sacrifier ses privilèges, ni les hommes, ni les femmes, et de façon surprenante, elle renverse les rôles dans la troisième et dernière nouvelle, Un enfant de l'amour, ou c'est cette fois la femme-maîtresse qui choisit d'évincer le père de son enfant illégitime. C'est un constat amer qui en découle, à chaque fois, la volonté de conserver sa réputation ses apparences sa place au sein de la société prennent le dessus sur tout autre sentiment : un mauvais mariage vaut mieux qu'une mise au ban sociale.

Doris Lessing a donc écrit ces novellas début des années 2000, avec des temporalités s'inscrivant des années – trente, quarante, cinquante ans – auparavant, et pourtant elles demeurent d'une actualité brulante au coeur de cette troisième décennie de ce XXIe siècle qui s'inscrit dans des féminismes et des nationalismes très exacerbés. Cette auteure occupe une place spéciale, très personnelle, dans ma bibliothèque, entre Simone de Beauvoir, Virginia Woolf et Marguerite Duras, celles de ces femmes libres, indépendantes, qui nous ont ouvert les voies/x d'une forme certaine d'affranchissement.


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Cela fait longtemps que je me dis qu'il faudrait que je lise un livre de Doris Lessing, peut-être bien depuis qu'elle a obtenu le prix Nobel, ce qui fait maintenant 15 ans ! Mais les résumés de livre que j'avais lus ou le nombre de pages m'en avaient toujours un peu dissuadée. Puis je suis tombée sur ce livre qui contient trois oeuvres courtes de Doris Lessing, dont une connue, [Les Grands-mères], et une dont le résumé me donnait envie. Cela m'a paru une bonne entrée en matière et me voilà donc partie.
Et effectivement, j'ai apprécié le court roman dont le résumé m'avait plu, [Victoria et les Staveney], qui décrit le racisme, ou plutôt l'héritage du racisme : comment des années de mise à l'écart ont des répercutions aujourd'hui sur les parcours de vie et les aspirations des uns et des autres, mais aussi comment les bonnes intentions ne sont pas toujours la meilleure façon de dépasser ces frontières invisibles.
[Les Grands-Mères], qui me semble une oeuvre plus connue, ne m'a pas convaincue, je l'ai plutôt trouvée un peu malsaine dans la relation quasi incestueuse qui unit ces deux femmes et leurs familles. Non, pas ma tasse de thé…
La troisième nouvelle, [Un enfant de l'amour], est assez étrange. Elle décrit une facette de la seconde guerre mondiale que je ne connaissais pas, celle des jeunes recrues envoyés en Inde pour contrer les velléités d'indépendance de la population, pas tout à fait les idées pour lesquelles ces jeunes hommes croyaient se battre quand ils s'étaient engagés. On continue après la Seconde Guerre Mondiale à suivre James Reid dans son retour à une vie faite de quotidien et de banal, avec pourtant ce souvenir de l'escale au Cap, quelques jours qui ont été comme dans un rêve et qui promettent une vie faite du romantisme de ses idéaux de jeunesse.
Etrangement, dans certaines nouvelles, on ne sait pas vraiment où l'on est. A part [Un enfant de l'amour] qui est clairement située, les autres pourraient se situer aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud (bon, pas en Angleterre quand même, car le climat ne correspond pas). Cette sensation d'universalité est assez dérangeante car si l'on se croit à l'abri du racisme et de l'injustice, ce livre nous rappelle tout simplement que non.
La plume de Doris Lessing et son regard sur les relations familiales ne sont probablement pas ce que je préfère. Après cette courte balade dans son oeuvre, je ne suis pas certaine de me lancer dans des oeuvres plus conséquentes, mais je suis contente de l'aperçu que ce recueil m'a donné, et je suis contente d'avoir enfin découvert cette autrice, même si c'est à travers certaines de ses oeuvres plus mineures.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Ce n’étaient pas encore de vieilles femmes, loin de là. Mais elles avaient plus de quarante ans. Les garçons, eux, n’étaient assurément plus des petits garçons, et le temps de leur beauté sauvage était passé. En voyant ces deux beaux jeunes gens, vigoureux, sûrs d’eux, qui eût pu alors penser qu’ils aimantaient autrefois les regards parce qu’ils inspiraient autant la timidité que la concupiscence et l’amour ? Quant aux deux femmes, se remémorant un jour que leurs rejetons avaient été pareils à de jeunes dieux, elles farfouillèrent dans de vieilles photos, sans rien retrouver de ce qu’elles savaient avoir existé, tout comme, en regardant de vieux instantanés d’elles, elles n’avaient vu que de jolies petites filles, rien de plus.

Ian aidait sa mère dans la gestion de leur chaîne de magasins d’articles de sport et était un citoyen déjà éminent et plein d’avenir. S’imposer dans le théâtre se révélait plus difficile : Tom gravissait toujours les échelons quand Ian était déjà près du sommet. Une expérience nouvelle pour Tom, qui avait toujours été premier et admiré Tom, qui avait toujours été premier et admiré d’Ian. Mais il persévérait, il travaillait. Et comme toujours il se montrait charmant avec Lil et partageait son lit aussi souvent que possible, malgré les horaires tardifs et erratiques du théâtre.

-Et voilà ! dit Lil à Roz. Ce n’est que le début. Il se fatigue de moi.

Mais Ian ne montrait aucun désir de renoncer à Roz, bien au contraire. Il était attentionné, exigeant, possessif. Et un jour, juste après leur étreinte, quand il la vit qui lissait la peau flasque de ses avant-bras, renversée sur ses oreillers, il poussa une plainte, la serra contre lui et s’écria :

-Allons, non, non, n’y pense même pas ! Je ne te laisserai pas vieillir.
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« Après la guerre ce sera comme ça », songea-t-il. C’est-à-dire comme ces heureux mois d’universités d’été, de débats fraternels, de discussions aimables, ces échanges élevés, riches d’espoirs, d’enthousiasme et de promesses. A quoi servait cette guerre sinon à créer « ça », un monde d’amitié et de camaraderie généreuse et de filles tout aussi généreuses, parmi lesquelles se trouverait sa petite amis, la seule qui comptait...
(p. 246, “Un Enfant de l’amour”).
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Vidéo de Doris Lessing
Chaque mois, un grand nom de la littérature française contemporaine est invité par la Bibliothèque nationale de France, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. Javier Cercas, auteur de Terra Alta qui lui valut en 2019 le 68e prix Planeta, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
QUI EST JAVIER CERCAS ? Né en 1962 à Ibahernando, dans la province de Cáceres, Javier Cercas est un écrivain et traducteur espagnol. Après des études de philologie, il enseigne la littérature à l'université de Gérone, pendant plusieurs années. En 2001, son roman Les Soldats de Salamine – sur fond de Guerre civile espagnole – remporte un succès international et reçoit les éloges, entre autres, de Mario Vargas Llosa, Doris Lessing ou Susan Sontag. Ses livres suivants, qui s'inspirent souvent d'événements historiques et de personnages ayant réellement existé, rencontrent le même accueil critique et sont couronnés de nombreux prix : Prix du livre européen (2016), Prix André Malraux (2018), Prix Planeta (2019), Prix Dialogo (2019). Son oeuvre est traduite en une vingtaine de langues. Il est également chroniqueur pour le quotidien El País.
De Javier Cercas, Actes Sud a publié : Les Soldats de Salamine (2002), À petites foulées (2004), À la vitesse de la lumière (2006), Anatomie d'un instant (2010), Les Lois de la frontière (2014, prix Méditerranée étranger 2014), L'Imposteur (2015), le Mobile (2016), le Point aveugle (2016), et le Monarque des ombres (2018). Son nouveau roman, Terra Alta, paraîtra en mai 2021.
En savoir plus sur les Masterclasses – En lisant, en écrivant : https://www.bnf.fr/fr/master-classes-litteraires
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