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Citations sur Les Naufragés et les Rescapés : Quarante ans après Auschwitz (30)

C'est avec le sourire que je me rappelle l'aventure qui m'est arrivée il y a quelques années dans une cinquième élémentaire où j'avais été invité à commenter mes livres et à répondre aux questions des élèves. Un gamin à l'air éveillé, apparemment le premier de la classe, m'adressa la question rituelle: "Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas échappé?" Je lui exposai brièvement ce que j'ai écrit ici; lui, peu convaincu, me demanda de tracer au tableau un plan schématique du camp, en indiquant l'emplacement des miradors, des portes, des réseaux de barbelés et de la centrale électrique. Je fis de mon mieux, sous trente paires d'yeux attentifs. Mon interlocuteur étudia le plan pendant quelques instants, me demanda quelques explications supplémentaires, puis m'exposa le plan qu'il avait imaginé: ici, de nuit, il fallait étrangler la sentinelle, ensuite, revêtir son uniforme, aussitôt courir à la centrale et couper le courant électrique: les projecteurs se seraient alors éteints et le réseau de fils électriques à haute tension mis hors de service, après quoi, j'aurais pu partir tranquillement. Il ajouta très sérieux: "Si cela devait vous arriver une autre fois, faites comme je vous l'ai dit, vous verrez que ça réussira."
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Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison.
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Le meilleur moyen de se défendre contre l'invasion des souvenirs accablants est d'empêcher leur entrée, d'élever un barrage sanitaire le long de la frontière. Il est plus aisé d'interdire à un souvenir d'entrer que de s'en délivrer après qu'il a été enregistré. C'est à cela que servaient principalement nombre d'expédients imaginés par les commandements nazis pour protéger les consciences des hommes commis aux plus sales besognes et s'assurer des services qui étaient désagréables même aux scélérats les plus endurcis. Afin que le massacre fût embrumé par l'ivresse, on distribuait de l'alcool à volonté aux Einsatzkommandos chargés, à l'arrière du front russe, de mitrailler les civils au bord des fosses communes que les victimes avaient été forcées de creuser elles-mêmes. Les euphémismes bien connus (« solution finale », « traitement spécial », le terme même d'Einsatzkommando, qui signifiait littéralement « unité d'intervention », mais masquait une réalité effrayante) ne servaient pas seulement à égarer les victimes et à prévenir des réactions de défense, ils visaient encore, dans la limite du possible, à empêcher l'opinion publique, ainsi que les unités de l'armée non directement impliquées, de prendre connaissance de ce qui était commis dans tous les territoires occupés par le IIIème Reich.

Du reste, l'histoire entière du « Reich millénaire » peut être relue comme une guerre contre la mémoire, une falsification de la mémoire à la Orwell, une négation de la réalité allant jusqu’à la fuite définitive hors de la réalité. Toutes les biographies de Hitler, divergeant sur l'interprétation à donner de la vie de cet homme tellement difficile à classer, sont d'accord sur cette fuite de la réalité qui a marqué ses dernières années, surtout à partir du premier hiver russe. Il avait interdit et refusé à ses sujets l'accès à la vérité en empoisonnant leur morale et leur mémoire, mais, dans une mesure croissante jusqu'à la paranoïa du Bunker, il s'était barré aussi à lui-même le chemin de la vérité. Comme tous les joueurs de hasard, il avait construit autour de lui une scène de théâtre faite de mensonges superstitieux à laquelle il avait fini par croire avec la même foi fanatique qu'il exigeait de chaque Allemand. Son effondrement final n’a pas été seulement une délivrance pour le genre humain mais aussi une démonstration du prix à payer lorsqu’on manipule la vérité.
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La mort de l'âme : personne ne peur savoir combien de temps et à quelles épreuves son âme pourra résister avant de céder ou de se briser. Tout être possède une réserve de force dont la mesure lui est inconnue : elle peut être grande, petite ou nulle, et seules les extrémités de l'adversité lui permettent de l'évaluer.
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Ainsi je m'aperçus que l'allemand du Lager, squelettique, hurlé, constellé d'obscénités et d'imprécations, avait seulement une vague parenté avec le langage précis et austère de mes textes de chimie, et avec l'allemand mélodieux et raffiné des poésies de Heine que me récitait Clara, une de mes compagnes d'études.
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De plus, jusqu'au moment où j'écris, et malgré l'horreur de Hiroshima et de Nagasaki, la honte des goulags, l'inutile et sanglante campagne du Viêt-nam, l'autogénocide cambodgien, les disparus d'Argentine, et toutes les guerres atroces et stupides auxquelles nous avons assisté ensuite, le système concentrationnaire nazi demeure une chose unique, tant par les dimensions que par la qualité. Dans aucun autre lieu ni temps on n'a assisté à un phénomène aussi soudain et aussi complexe : jamais autant de vies humaines n'ont été éteintes en aussi peu de temps, et avec une combinaison pareillement lucide d'intelligence technique, de fanatisme et de cruauté.
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L'ascension des privilégiés, non seulement dans le Lager mais dans toutes les sociétés humaines, est un phénomène angoissant mais inévitable : ils ne sont absents que dans les utopies.
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Nous, les survivants, ne sommes pas les vrais témoins. C'est là une notion qui dérange, dont j'ai pris conscience peu à peu, en lisant les souvenirs des autres et en relisant les miens à plusieurs années de distance. Nous, les survivants, nous sommes une minorité non seulement exiguë, mais anormale : nous sommes ceux qui, grâce à la prévarication, l'habileté ou la chance, n'ont pas touché le fond. Ceux qui l'ont fait, qui ont vu la Gorgone, ne sont pas revenus pour raconter, ou sont revenus muets, mais ce sont eux, les "musulmans", les engloutis, les témoins intégraux, ceux dont la déposition aurait eu une signification générale. Eux sont la règle, nous, l'exception.
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Norberto Bobbio a écrit, il y a plusieurs années, que les camps d'extermination nazis ont été « non " un des " évènements, mais " l' " événement monstrueux, qui ne sera peut-être pas répété, de l'histoire humaine »
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Dans un régime totalitaire, l'éducation, la propagande et l'information ne rencontrent pas d'obstacles : ils ont un pouvoir illimité,ce dont celui qui est né et a vécu dans un régime pluraliste peut difficilement s'en faire une idée.
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