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EAN : 9782266119825
512 pages
Pocket (17/10/2001)
4.06/5   899 notes
Résumé :
Pourquoi et comment devient-on ethnologue ? Comment les aventures de l'explorateur et les recherches du savant s'intègrent-elles et forment-elles l'expérience propre à l'ethnologue ? C'est à ces questions que l'auteur, philosophe et moraliste autant qu'ethnographe, s'est efforcé de répondre en confrontant ses souvenirs parfois anciens, et se rapportant aussi bien à l'Asie qu'à l'Amérique.
Plus encore qu'un livre de voyage, il s'agit cette fois d'un livre su... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (61) Voir plus Ajouter une critique
4,06

sur 899 notes
Ajouter une critique? Quelle drôle d'idée! Tout a été dit ou presque. Il s'agira donc plutôt d'une remarque personnelle (plus ou moins ma spécialité dans cette rubrique, je ne raconte pas les bouquins que je lis, mais plutôt l'effet qu'ils m'ont fait).
Ce livre prenait la poussière sur une étagère depuis des années et me faisait un peu peur. Un gros bouquin, pour un amateur de nouvelles et de haikus... Une photo d'Indien d'Amazonie sur fond blanc difficile à interpréter: hostilité, exostisme? (très belle édition France Loisirs). Peut-être attendais-je d'avoir rendu visite sinon aux Indiens, du moins au Brésil, avant de me lancer dans cette aventure? Car dans ma tête ce livre traitait des Indiens du Brésil et de rien d'autre. Erreur monumentale. J'ai beaucoup lu mais bien peu de livres qui traitent de facon aussi magistrale et souvent "en passant" (C'est comme ca les génies?) multitude de questions passionnantes. le rapport de la géologie et de la psychanalyse, les liens cachés entre mer, montagne et forêt, urbanisme et gestion du territoire, langage, écriture et civilisation, rapports entre ancien et nouveau monde, entre hommes et femmes, groupes et hiérarchie, envahis et envahisseurs... Fabuleux. Une lecture terriblement enrichissante (car elle donne envie d'approfondir bien des points) et en même temps distrayante, pleines de surprises et parsemées de détails (le menu des Indiens et de l'auteur!) et d'histoires à côté desquelles bien des romans apparaissent encore plus fades. A lire d'urgence comme cure de dégraissage du cerveau pour les amateurs de Brésil, bien sûr, d'Inde du Pakistan... ou tout simplement pour tous ceux que fascine une pensée tentaculaire, érudite et (presque) sans prégugé, logique et pleine de contradictions, le tout écrit dans une langue class(iqu)e. Un grand merci posthume!
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« Je hais les voyages et les explorateurs », déclare Claude Lévi-Strauss à la première page de Triste tropiques.
Il pourrait s'arrêter là, mais non, il explique d'abord son mépris pour les récits exotiques, se vantant d'avoir réussi à survivre dans des pays impossibles.
Finalement, puisqu'à son tour il va nous conter ses aventures, il se demande quel est le vrai projet de l'ethnologue : détester son propre pays, pour pouvoir encenser quelqu'elle soit une autre culture, du moment qu'elle est autre, ou, au contraire, essayer subtilement de mettre en avant les côtés rebutants et inacceptables, ce qui veut dire non acceptées par notre civilisation. Il cite le cas de l'anthropophagie, « de toutes les pratiques sauvages, celle qui nous inspire le plus d'horreur et de dégoût. »
Si l'on met à part le cannibalisme né de la famine, Lévi-Strauss analyse l'ingérence de parties du corps d'ennemis de guerre, leur consommation, non comme étant une indifférence ou un mépris vis-à-vis de la mémoire du vivant (pas plus que nos amphithéâtres de dissection) mais étant une manière d'absorber le pouvoir, d'assimiler et donc de neutraliser les forces occultes et/ou redoutables de certains ennemis.
A l'opposé, nos civilisations pratiquent l'anthropémie, ou isolement et expulsion hors du corps social : prisons notamment, où le contact est muré, ce qui inspirerait une horreur profonde « à la plupart des sociétés que nous appelons primitives ». (je pense aux asiles, à la nef des fous )
Ces Tristes tropiques sont tristes parce que démodés, l'exotisme ayant été balayé la plupart du temps par les bidonvilles. « Une agriculture de rapine s'est saisie d'une richesse gisante et puis s'en est allée ailleurs, après avoir arraché quelques profits ».
L'ethnologue se propose donc de visiter et d'expliquer au monde restant non pas la réalité d'une culture donnée, mais une caricature d'un univers perdu.
Question : les systèmes politiques déterminent-ils la forme d'existence sociale, les hommes choisissent-ils leurs croyances indépendamment de leur condition ?
Au contraire, ce qui serait moins naïf, ce sont les formes d'existence qui donnent un sens aux idéologies qui les dominent. Si, comme dans le cas de l'Inde, où la population est devenue trop nombreuse, et alors que par les castes, et le régime végétarien, on pouvait espérer une scission positive garantissant la liberté de chacun, c'est la non-reconnaissance de l'autre qui prévaut, non pas parce qu'il est différent, mais parce qu'il y a pléthore d'êtres humains : ce qui aboutit à la servitude. L'Asie en cela a échoué, et pourtant, nous dit l'auteur, c'est l'image de notre futur.
Lorsque Lévi-Strauss arrive au Brésil, ce désenchantement face à l'opportunité de ce qu'il s'apprête à faire : raconter son voyage, fait place à une analyse de ces Indiens dont le système féodal rappelle furieusement le nôtre du XVI siècle. Fort de l'idée freudienne que la réalité vraie n'est jamais manifeste, il traverse le Mato Grosso et vit dans la case d'un sorcier, s'émerveille de constater la ténacité des rites de ces paysans loqueteux, rejouant une sorte de tournois.
Parmi les Bororo, il cherche un interprète et le trouve. Ce qui l'intéresse, ayant reproduit les villages bororo toujours divisés en deux, ce sont les parures magnifiques, les coiffures en plumes, les dessins abstraits de tatouages ou de peintures corporelles dont il nous copie plusieurs exemplaires, et aussi la relation des hommes envers leurs femmes, des pères avec leurs petits, « quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine ».
Grâce à son interprète/sociologue (qui avait été présenté au pape mais vit nu comme tous les Bororo, il comprend que si pour eux l'opposition nature/ culture va de soi, la mort est perçue comme naturelle, et anti culturelle. Naturelle, car un animal doit payer de sa vie lorsqu'une mort humaine advient. D'où les parures de dents, de griffes, et d'os, arborées par eux, la culture s'enrichissant.
Vivant nus, la pudeur est de mise, et Lévi-Strauss évoque les couples s'ébattant au loin du village, avec la même pudeur qu'eux et avec la même pudeur qu'il note en début de ses récits, qu'il aurait bien pu échouer dans un four crématoire.
Il a mieux valu pour la pensée humaine qu'il soit allé au Brésil en 1941.
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Dans cet ouvrage d'ethnologie au ton très personnel, la philosophie danse avec la poésie, les splendides photographies de Lévi Strauss soulignent la beauté de l'écriture.
Un des livres qui a marqué ma jeunesse, et infléchi le cours de mes études. Un temoignage d'une époque où l'humanité possédait encore des enclaves sans communication avec notre culture de l'écriture et donc de l'Histoire.
La réflexion scientifique et philosophique menée à partir des observations faites par l’ethnologue font de Levi Strauss un penseur majeur de notre temps, malgré l'apparent caractère restrictif de son champ d'étude.
Comment les modestes Caduveo et Nambikwara ont pu permettre de penser l'Homme, c'est la leçon de cet ouvrage et de tous ceux de cet auteur dont l'influence continuera longtemps à s'exercer, bien au-delà des phénomènes de mode en "isme".
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Tristes tropiques est un livre polyphonique. Malgré la haine des voyages et des explorateurs affirmée dès la première phrase, le texte est, en fait, outre sa dimension ethnologique, anthropologique, géographique, géopolitique et philosophique, un formidable témoignage des aventures et tribulations -parfois dangereuses - de l'auteur en Amazonie, à la recherche de tribus demeurées à la frange du monde "civilisé".
L'auteur, contrairement à ce qu'il proclame dans la phrase initiale, se fait aussi explorateur lorqu'il s'attarde parfois avec précision sur les préparatifs des expéditions qu'il envisage et les dangers qui peuvent survenir dans un pays où les voies de communication sont le plus souvent inexistantes et où l'on peut rencontrer des populations hostiles, aux réactions imprévisibles
L'ouvrage comprend également des descriptions sompteuses, dignes de celles des meilleurs écrivains, au sujet des paysages de savanes désertiques du Matto grosso et de la forêt amazonienne, mais aussi des pages splendides sur l'Inde et ses bidonvilles sordides, ses temples, les personnages que l'on y rencontre. On y trouve des passages descriptifs d'anthologie, le plus beau étant sans doute celui où il est question d'un coucher de soleil sur l'océan, au passage de l'équateur. Ceux qui sont à la recherche d'exotisme et de sensations fortes ne seront donc pas déçus par la lecture du livre le plus connu et le plus "abordable" de Levi-Strauss, même s'il leur faudra aussi "s'accrocher" parfois, car les réflexions de ce "voyageur" de génie, partant de faits concrets constatés lors de ses rencontres avec le monde et ses populations ne se satisfont jamais des clichés occidentaux véhiculés dans la littérature de voyage habituelle.
Au delà du pittoresque, Levi-strauss, est toujours à la recherche des "structures" profondes du tissu social, expliquant les comportements et les hiérarchies en vigueur dans une culture donnée.
La méthode structuraliste est déjà presque parvenue à maturité, mais elle s'y déploie sous une forme concrète et compréhensible ici, n'ayant pas encore atteint le degré d'abstraction des ouvrages plus théoriques. On la trouve dans la manière dont les tabous régissant les relations entre les divers clans, les interdits alimentaires et topographiques prévalants dans telle ou telle tribu sont décrits et expliqués.
On reconnait déjà la démarche propre à l'auteur, qu'il théorisera plus tard, dans la manière dont il envisage la fonction sociologique des mythes. Selon lui, il servent principalement, en dernière instance, à masquer ou à justifier les inégalités sociales qui sans cet "inconscient collectif" façonné par le discours mytologique, serait insupportable aux castes et couches défavorisées. Pas étonnant, dans ces conditions, que la pensée Marxiste se soit intéressée au structuralisme, ceci malgré les divergences fondamentales de l'anthorpologie structurale fondée par Levi-Strauss, avec les philosophies post-hégéliennes voulant que L Histoire tende vers une fin idéale en passant par des stades de plus en plus évolués.
L'un des aspects les plus intéressants du livre est d'ailleurs la façon dont la méthode d'analyse est apliquée aux sociétés non primitives, mais toujours "sous-développées" qu'il découvre lors de ses missions à l'étranger : Inde et Brésil notamment. Mais ces digressions géographiques, sociologiques et geopolitiques, éclairées par l'approche structuraliste, incluent aussi des des considérations comparatives sur l'urbanisme des cités du nouveau et de l'ancien monde, sur l'avènement de l'écriture, sur le Boudhisme, l'Islam et le Christianisme, etc...
L'un des intérêts principaux du livre réside d'ailleurs dans le fait qu'il prend le plus souvent le contre-pied des idées dominantes de l'époque sur les questions évoquées ci-dessus (et sur bien d'autres).
Le message demeure encore très largement politiquement incorrect aujourd'hui, malgré un concensus actuel - qu'il a largement contribué à construire - sur certains sujets : Les civilisations se valent, l'occident doit se départir de son attitude arrogante et ethnocentrique, nécessité de préserver la nature et les cultures premières, etc....
Je ne m'attarderai pas là-dessus, car ces choses là sont considérés comme l'héritage principal de Levi-Strauss et sont partagées désormais par le plus grand nombre.
Il n'y a pas de place, dans le cadre de cet article pour citer de larges extraits de "Tristes tropiques". Je me contenterai donc de signaler rapidement , dans les citations quelques sujets sur lesquels la pensée contemporaine aura du mal à récupérer le père de l'Anthropoogie structurale, tant ses conclusions divergent d'une lecture "progressiste", post-moderne et quelque peu anachronique de l'oeuvre :
- le dialogue des civilisations est impossible. Les "rencontres historique" entre des peuples que tout sépare se soldent toujours par l'aservissement d'une culture par celle qui est la plus technologiquement développées. Dans ces conditions, il vaut mieux que les peuples se côtoient sans se rencontrer... On ne peut être plus désabusé et pessimiste. le discours dominant veut plutôt que les échanges soient porteurs d'enrichissement mutuel...
- "Le consentement, dixit Levi Strauss, (et non la coercition comme on a tendance à le penser aujourd'hui ! c'est moi qui commente..) est le fondement psychologique du pouvoir." "la réciprocité est un autre attribut dondamental du pouvoir ....par un jeu sans cesse renouvelé de prestations et de privilèges, de services et d'obligations"
Ceci, toujours selon Levi-strauss "n'est pas un phénomène purement moderne, C'est un retour à la nature fondamentale de l'organisation sociale et politique"
- le désir d'obtenir richesses et privilèges n'explique pas fondamentalement la vocation pour devenir chef. Il ya dans tout groupe humain, des hommes qui, à la différence de leurs compagnons aiment le prestige pour lui-même, se sentent attirés par les responsabilités, et pour qui la charge des affaires publiques apporte avec elle sa récompense".

A elles seules ces deux connlusions vaudraient aujourd'hui à Levi-Strauss les pires quolibets s'il tentait de les expliquer à une assemblée incrédule, tant nous pensons que les hommes politiques sont attirés avant tout par les avantages que procure le pouvoir.

Que dire également de l'écriture, considérée par tous comme un outil d'émancipation des peuples à l'égard des puissants. Levi-strauss dit presque exactement le contraire, à savoir qu'elle apparait comme un instrument de domination de ces puissants envers les humbles. Selon l'auteur de tristes tropiques, elle parait "favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination" . "Sa fonction primaire est de favoriser l'asservissement". Mais il faudrait accompagner ces affirmations de larges extraits pour expliquer comment Levi-Strauss parivient à ces conclusions peu orthodoxes.

Que n'entendrait pas Levi-Strauss, quelle fatwa l'aurait frappé si les barbus fondamentalistes avaient lu le dernier chapitre du livre ! Pour l'auteur en effet, l'Islam, qui "se développe selon une orientation masculine", est, des trois religions, la pire qui soit. Son principal péché est d'avoir fait écran entre le Bouhisme (pour lequel il n'y a pas d'au-delà) et le christianisme. L'Islam comme le christianisme, cède à la peur de la mort en "rétablissant l'autre monde". Il est "l'occident de l'orient" . Il "enchaîne le monde temporel au monde spirituel", encore plus que le christianisme. Dans la religion révélée par Mahomet, "la politique devient théologie". A cause de l'Islam (et toujours selon Levi-Straus) "l'Occident a perdu sa chance de rester femme". Sans lui, une osmose de la pensée européenne eût été possible avec le boudhisme, "qui nous eût christianisés davantage et dans un sens d'autant plus chrétien que nous serions remontés en deça du christianisme lui-même". Religion intolérante par excellence bien qu'ayant inventé la tolérance envers les "infidèles", l'Islam (toujours selon Levi-Strauss) cloître et "néantise" autrui, à commencer par les femmes.
Là aussi, il faudrait citer l'ensemble du dernier chapitre pour comprendre les reproches adressés par Levi-Strauss à cette religion, qui n'on rien à voir avec une attitude raciste. Il reproche en effet à la France de ne pas donner l'égalité des droits aux µ25 millions de citoyens musulmans vivant à l'époque dans nos colonies et de ne pas faire
ce que fit l'Amérique en son temps, c'est dire de "gagner une pari dont l'enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer", à savoir de "se laisser submerger par cette vague" ... d'immigration.
Voilà de quoi montrer à l'éventuel futur lecteur de ce livre, que Levi-Strauss, tout en tenant parfois des propos "hérétiques" pour une pensée progressiste, n'est pas tout à fait le réac passéiste que certains voudraient nous présenter
- Enfin et surtout, comble du politiquement incorrect pour l'intelligentsia Française moderne, l'auteur de tristes tropiques fait un parallèle étrange, surprenant et "hérétique" pour des gens de gauche, entre la pensée issue des lumières et de la révolution d'une part et l'Islam d'autre part. Il observe, chez les musulmans et chez nous, "la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette même conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarassé aussitôt"
Même croyance, dans les deux cultures, d'une supériorité sur les autres, même incapacité à penser les problèmes contemporains autrement que par l'évocation d'une grandeur passée :
"Nous ne nous rendons pas compte que l'univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l'Islam est resté figé dans sa contemplation d'une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n'arrivons plus à penser hors des cadres d'une époque révolue depuis un sicèle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l'histoire".

On ne peut mieux exprimer ce que je pense de la société française actuelle, de son conservatisme et de son conformisme anachonique sous un vernis de turbulence "révolutionnaire" frondeuse. Si l'on suit l'analyse telle que la propose Levi-strauss, cela expliquerait également la prépondérance de l'idéologie sur le pragmatisme chez les socialistes hexagonaux, qui prétendent avoir raison contre l'immense majorité de leurs camarades européens.

Concernant le rôle de guide historique que la France aurait à jouer dans le monde, il ne se passe pas une semaine sans que nos politiciens, de droite comme de gauche assignent au pays la tâche de montrer la voie de la justice au monde enier, qui est censé nous envier à jamais nos institutions et la politique menée par nos dirigeants. Tout ceci au motif que le siècle des lumières et la révolution (sur le papier et non dans les faits") a su théoriser les termes d'un nouveau contrat social. Comme l'a très bien dit Badinter : "La France n'est pas le pays des droits de l'homme, elle est le pays de la déclaration des droits de l'homme", ce qui fait écho à la critique exprimée ci-dessus par le père de l'anthrophologie structurale sur notre esprit livresque et utopique, rejettant le pragmatisme et la résolution des problèmes concrets se posant à notre société à un moment donné de l'Histoire....
Lien : http://jcfvc.over-blog.com
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Il en aura fallu du temps pour que ma pile en arrive à Tristes Tropiques de Claude Levi-Strauss. J'en suis content ! Quel bon moment ! Un long voyage que la beauté du style a rendu agréable et léger comme le bruissement intime des frondaisons. Les peuples du Brésil dont il nous décrit les modes de vie et les coutumes n'existent sûrement plus, ni même l'effervescence pionnière de ce pays qui se classe aujourd'hui au 8 e rang des nations développées. Déjà aux abords de la Seconde Guerre mondiale, le sauvage naturel se faisait rare. Il a du rejoindre la catégorie des mythes, à moins que ne subsiste ici et là, aux confins de la forêt amazonienne, une tribu ayant échappé à l'oeil indiscret des satellites, à la corruption de la civilisation occidentale et à l'ogre du progrès.
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critiques presse (1)
Actualitte
30 octobre 2017
Ce n’est pas un roman, mais à sa parution, en 1955, les jurés Goncourt ont songé à lui décerner leur prix, tant l’ouvrage est divers, coloré, humain, et trempé dans une prose tantôt chirurgicale, tantôt luxuriante.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (205) Voir plus Ajouter une citation
- Le dialogue des civilisations est impossible. Les "rencontres historiques" entre des peuples que tout sépare se soldent toujours par l'aservissement d'une culture par celle qui est la plus technologiquement développée. Dans ces conditions, il vaut mieux que les peuples se côtoient sans se rencontrer... On ne peut être plus désabusé et pessimiste. Le discours dominant veut plutôt que les échanges soient porteurs d'enrichissement mutuel...
- "Le consentement, dixit Levi Strauss, (et non la coercition comme on a tendance à le penser aujourd'hui ! c'est moi qui commente..) est le fondement psychologique du pouvoir." "la réciprocité est un autre attribut fondamental du pouvoir ....par un jeu sans cesse renouvelé de prestations et de privilèges, de services et d'obligations"
Ceci, toujours selon Levi-strauss "n'est pas un phénomène purement moderne, C'est un retour à la nature fondamentale de l'organisation sociale et politique"
- Le désir d'obtenir richesses et privilèges n'explique pas fondamentalement la vocation pour devenir chef. Il ya dans tout groupe humain, des hommes qui, à la différence de leurs compagnons aiment le prestige pour lui-même, se sentent attirés par les responsabilités, et pour qui la charge des affaires publiques apporte avec elle sa récompense".

A elles seules ces deux connlusions vaudraient aujourd'hui à Levi-Strauss les pires quolibets s'il tentait de les expliquer à une assemblée incrédule, tant nous pensons que les hommes politiques sont attirés avant tout par les avantages que procure le pouvoir.

Que dire également de l'écriture, considérée par tous comme un outil d'émancipation des peuples à l'égard des puissants. Levi-strauss dit presque exactement le contraire, à savoir qu'elle apparait comme un instrument de domination de ces puissants envers les humbles. Selon l'auteur de tristes tropiques, elle parait "favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination" . "Sa fonction primaire est de favoriser l'asservissement". Mais il faudrait accompagner ces affirmations de larges extraits pour expliquer comment Levi-Strauss parivient à ces conclusions peu orthodoxes.

Que n'entendrait pas Levi-Strauss, quelle fatwa l'aurait frappé si les barbus fondamentalistes avaient lu le dernier chapitre du livre ! Pour l'auteur en effet, l'Islam, qui "se développe selon une orientation masculine", est, des trois religions, la pire qui soit. Son principal péché est d'avoir fait écran entre le Bouhisme (pour lequel il n'y a pas d'au-delà) et le christianisme. L'Islam comme le christianisme, cède à la peur de la mort en "rétablissant l'autre monde". Il est "l'occident de l'orient" . Il "enchaîne le monde temporel au monde spirituel", encore plus que le christianisme. Dans la religion révélée par Mahomet, "la politique devient théologie". A cause de l'Islam (et toujours selon Levi-Straus) "l'Occident a perdu sa chance de rester femme". Sans lui, une osmose de la pensée européenne eût été possible avec le boudhisme, "qui nous eût christianisés davantage et dans un sens d'autant plus chrétien que nous serions remontés en deça du christianisme lui-même". Religion intolérante par excellence bien qu'ayant inventé la tolérance envers les "infidèles", l'Islam (toujours selon Levi-Strauss) cloître et "néantise" autrui, à commencer par les femmes.
Là aussi, il faudrait citer l'ensemble du dernier chapitre pour comprendre les reproches adressés par Levi-Strauss à cette religion, qui n'on rien à voir avec une attitude raciste. Il reproche en effet à la France de ne pas donner l'égalité des droits aux µ25 millions de citoyens musulmans vivant à l'époque dans nos colonies et de ne pas faire
ce que fit l'Amérique en son temps, c'est dire de "gagner une pari dont l'enjeu était aussi grave que celui que nous refusons de risquer", à savoir de "se laisser submerger par cette vague" ... d'immigration.
Voilà de quoi montrer à l'éventuel futur lecteur de ce livre, que Levi-Strauss, tout en tenant parfois des propos "hérétiques" pour une pensée progressiste, n'est pas tout à fait le réac passéiste que certains voudraient nous présenter
- Enfin et surtout, comble du politiquement incorrect pour l'intelligentsia Française moderne, l'auteur de tristes tropiques fait un parallèle étrange, surprenant et "hérétique" pour des gens de gauche, entre la pensée issue des lumières et de la révolution d'une part et l'Islam d'autre part. Il observe, chez les musulmans et chez nous, "la même attitude livresque, le même esprit utopique, et cette même conviction obstinée qu'il suffit de trancher les problèmes sur le papier pour en être débarassé aussitôt"
Même croyance, dans les deux cultures, d'une supériorité sur les autres, même incapacité à penser les problèmes contemporains autrement que par l'évocation d'une grandeur passée :
"Nous ne nous rendons pas compte que l'univers ne se compose plus des objets dont nous parlons. Comme l'Islam est resté figé dans sa contemplation d'une société qui fut réelle il y a sept siècles, et pour trancher les problèmes de laquelle il conçut alors des solutions efficaces, nous n'arrivons plus à penser hors des cadres d'une époque révolue depuis un sicèle et demi, qui fut celle où nous sûmes nous accorder à l'histoire".

On ne peut mieux exprimer ce que je pense de la société française actuelle, de son conservatisme et de son conformisme anachonique sous un vernis de turbulence "révolutionnaire" frondeuse. Si l'on suit l'analyse telle que la propose Levi-strauss, cela expliquerait également la prépondérance de l'idéologie sur le pragmatisme chez les socialistes hexagonaux, qui prétendent avoir raison contre l'immense majorité de leurs camarades européens.

Concernant le rôle de guide historique que la France aurait à jouer dans le monde, il ne se passe pas une semaine sans que nos politiciens, de droite comme de gauche assignent au pays la tâche de montrer la voie de la justice au monde enier, qui est censé nous envier à jamais nos institutions et la politique menée par nos dirigeants. Tout ceci au motif que le siècle des lumières et la révolution (sur le papier et non dans les faits") a su théoriser les termes d'un nouveau contrat social. Comme l'a très bien dit Badinter : "La France n'est pas le pays des droits de l'homme, elle est le pays de la déclaration des droits de l'homme", ce qui fait écho à la critique exprimée ci-dessus par le père de l'anthrophologie structurale sur notre esprit livresque et utopique, rejettant le pragmatisme et la résolution des problèmes concrets se posant à notre société à un moment donné de l'Histoire....
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Dans la savane obscure, les feux de campement brillent. Autour du foyer, seule protection contre le froid qui descend, derrière le frêle paravent de palmes et de branchages hâtivement planté dans le sol du côté d'où on redoute le vent ou la pluie ; auprès des hottes emplies des pauvres objets qui constituent toute une richesse terrestre ; couchés à même la terre qui s'étend alentour, hantée par d'autres bandes également hostiles et craintive, les époux, étroitement enlacés, se perçoivent comme étant l'un pour l'autre le soutien, le réconfort, l'unique secours contre les difficultés quotidiennes et la mélancolie rêveuse qui, de temps à autre, envahit l'âme nambikwara. Le visiteur qui, pour la première fois, campe dans la brousse avec les Indiens, se sent pris d'angoisse et de pitié devant ce spectacle de cette humanité si totalement démunie ; écrasée, semble-t-il, contre le sol d'une terre hostile par quelque implacable cataclysme ; nue, grelottante auprès des feux vacillants. Il circule à tâtons parmi les broussailles, évitant de heurter une main, un bras, un torse, dont on devine les chauds reflets à la lueur des feux. Mais cette misère est animée de chuchotements et de rires. Les couples s'étreignent comme dans la nostalgie d'une unité perdue; les caresses ne s'interrompent pas au passage de l'étranger. On devine chez tous une immense gentillesse, une profonde insouciance, une naïve et charmante satisfaction animale, et, rassemblant ses sentiments divers, quelque chose comme l'expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine. p345
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Claude Levi-Strauss, anthropologue (1908-2009). Extraits choisis de Tristes tropiques, Presses Pocket, pp. 475-490)  
« Les brefs contacts que j’ai eus avec le monde arabe m’ont inspiré une indéracinable antipathie.  ll m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. [On ne peut que] constater combien la France est en train de devenir musulmane.
Déjà l’Islam me déconcertait par une attitude envers l’histoire contradictoire à la nôtre , et contradictoire en elle-même : son souci de fonder une tradition s’accompagne d’un appétit destructeur de toutes les traditions antérieures.
Dans la civilisation musulmane, les raffinements les plus rares – palais de pierres précieuses, fontaines d’eau de rose, mets recouverts de feuilles d’or – servent de couverture à la rusticité des moeurs et à la bigoterie qui imprègne la pensée morale et religieuse.
Sur le plan moral, on se heurte à une tolérance affichée en dépit d’un prosélytisme dont le caractère compulsif est évident. En fait, le contact des non-musulmans les angoisse.
Tout l’Islam semble être une méthode pour développer dans l’esprit des croyants des conflits insurmontables, quitte à les sauver par la suite en leur proposant des solutions d’une très grande (mais trop grande) simplicité. Vous inquiétez-vous de la vertu de vos épouses ou de vos filles ? Rien de plus simple, voilez-les et cloîtrez-les. C’est ainsi qu’on en arrive a la burka moderne, semblable à un appareil orthopédique.
Si un corps de garde pouvait être religieux, l’Islam paraîtrait sa religion idéale : stricte observance du règlement, revues de détail et soins de propreté, promiscuité masculine dans la vie spirituelle comme dans l’accomplissement des fonctions religieuses ; et pas de femmes. (…) Ils compensent l’infériorité qu’ils ressentent par des formes traditionnelles de sublimations qu’on associe depuis toujours à l’âme arabe : jalousie, fierté, héroïsme.
Cette religion se fonde moins sur l’évidence d’une révélation que sur l’impuissance à nouer des liens au-dehors. En face de la bienveillance universelle du bouddhisme, du désir chrétien de dialogue, l’intolérance musulmane adopte une forme insconsciente chez ceux qui s’en rendent coupables. S’ils ne cherchent pas toujours, de façon brutale, à amener l’autre à partager leur vérité, ils sont pourtant incapables de supporter l’existence d’autrui comme autrui.
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Rousseau, [...] en butte à l'accusation ridicule qui lui attribue une glorification de l'état de nature - où l'on peut voir l'erreur de Diderot mais non pas la sienne -, [...] Rousseau, le plus ethnographe des philosophes [...] A lui, nous devons de savoir comment, après avoir anéanti tous les ordres, on peut encore découvrir les principes qui permettent d'en édifier un nouveau.
Jamais Rousseau n'a commis l'erreur de Diderot qui consiste à idéaliser l'homme naturel. Il ne risque pas de mêler l'état de nature et l'état de société ; il sait que ce dernier est inhérent à l'homme, mais il entraîne des maux : la seule question est de savoir si ces maux sont eux-même inhérents à l'état. Derrière les abus et les crimes, on recherchera donc la base inébranlable de la société humaine.
A cette quête, la comparaison ethnographique contribue de deux manières. Elle montre que cette base ne saurait être trouvée dans notre civilisation : de toutes les sociétés observées c'est sans doute celle qui s'en éloigne le plus. D'autre part, en dégageant les caractères communs à la majorité des sociétés humaines, elle aide à constituer un type qu'aucune ne reproduit fidèlement, mais qui précise la direction où l'investigation doit s'orienter. Rousseau pensait que le genre de vie que nous appelons aujourd'hui néolithique en offre l'image expérimentale la plus proche. On peut être ou non d'accord avec lui. Je suis assez porté à croire qu'il avait raison. Au néolithique, l'homme a déjà fait la plupart des inventions qui sont indispensables pour assurer sa sécurité. [...] Avec le néolithique, l'homme s'est mis à l'abri du froid et de la faim ; il a conquis le loisir de penser ; sans doute lutte-t-il mal contre la maladie, mais il n'est pas certain que les progrès de l'hygiène aient fait plus que rejeter sur d'autres mécanismes : grandes famines et guerres d'extermination, la charge de maintenir une mesure démographique à quoi les épidémies contribuaient d'une façon qui n'était pas plus effroyable que les autres.
A cet âge du mythe, l'homme n'était pas plus libre qu'aujourd'hui ; mais sa seule humanité faisait de lui un esclave. Comme son autorité sur la nature restait très réduite, il se trouvait protégé - et dans une certaine mesure affranchi - par le coussin amortisseur de ses rêves. Au fur et à mesure que ceux-ci se transformaient en connaissance, la puissance de l'homme s'est accrue ; mais nous mettant - si l'on peut dire - "en prise directe" sur l'univers, cette puissance dont nous tirons tant d'orgueil, qu'est-elle en vérité sinon la conscience subjective d'une soudure progressive de l'humanité à l'univers physique dont les grands déterminismes agissent désormais, non plus en étrangers redoutables mais, par l'intermédiaire de la pensée elle-même, nous colonisant au profit d'un monde silencieux dont nous sommes devenus les agents ?
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On se doute que les Nambikwara ne savent pas écrire; mais ils ne dessinent pas davantage, à l'exception de quelques pointillés ou zigzags sur leur calebasses. Comme chez les Caduveo, je distribuai pourtant des feuilles de papier et des crayons dont ils ne firent rien au début; puis un jour je les vis tous occupés à tracer sur le papier des lignes horizontales ondulées. Que voulaient-ils donc faire? Je dus me rendre à l'évidence; ils écrivaient ou, plus exactement cherchaient à faire de leur crayon le même usage que moi, le seul qu'ils pussent alors concevoir, car je n'avais pas encore essayé de les distraires par mes dessins. Pour la plupart, l'effort s'arrêtait là; mais le chef de bande voyait plus loin. Seul, sans doute, il avait cmopris la fonction de l'écriture. Aussi m'a-t-il réclamé un bloc-notes et nous sommes pareillement équipés quand nous travaillons ensemble. Il ne me communique pas verbalement les informations que je lui demande, mais trace sur son papier des lignes sinueuses et me les présente, comme si je devais lire la réponse. Lui-même est à moitié dupe de sa comédie; chaque fois que sa main achève une ligne, il l'examine anxieusement comme si la signification devait en jaillir, et la même désillusion se peint sur son visage. Mais il n'en convient pas; et il est tacitement entendu entre nous que son grimoire possède un sens que je feins de déchiffrer; le commentaire verbal suit presque aussitôt et me dispense de réclamer les éclaircissements nécessaires.
Or, à peine avait-il rassemblé tout son monde qu'il tira d'une hotte un papier couvert de lignes tortillées qu'il fit semblant de lire et où il cherchait, avec une hésitation affectée, la liste des objets que je devais donne en retour des cadeaux offerts; à celui-ci, contre un arc et des flèches, un sabre d'abatis! à tel autre, des perles! pour ses colliers... Cette comédie se prolongea penant deux heures. Qu'espérait-il? Se tromper lui-même, peut-être; mais plutôt étonner ses compagnons, les persuader que les marchandises passaient par son intermédiaire, qu'il avait obtenu l'alliance du blanc et qu'il participait à ses secrets.
pp. 349-350 (Une leçon d'écriture)
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Lukas Bärfuss présente "Le carton de mon père – Réflexions sur l'héritage", en librairie dès le 2 février 2024.
À la mort de son père, il y a vingt-cinq ans, Lukas Bärfuss refuse l'héritage, constitué essentiellement de dettes. Il ne garde qu'un carton, rempli d'une triste paperasse. Quand, à la faveur d'un grand rangement, il l'ouvre et passe en revue ce qu'il contient, c'est toute son enfance précaire qui défile. À la lumière de la Bible, Darwin, Claude Lévi-Strauss ou Martine Segalen, l'écrivain décortique les notions de famille et d'origine, ces obsessions dangereuses de notre civilisation. Il en profite pour évoquer les "biens jacents", ces biens sans propriétaires que sont les océans, les animaux sauvages, et surtout les déchets. Dans cet essai qui est sans doute son livre le plus personnel, Lukas Bärfuss démontre une fois encore son esprit critique acéré.
https://editionszoe.ch/livre/le-carton-de-mon-pere
Réalisation: Fran· Gremaud Tournage réalisé dans les locaux de la HKB Berne Avec le soutien de Pro Helvetia
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