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Didier Coste (Autre)
EAN : 9782020067706
665 pages
Seuil (01/03/1984)
3.69/5   29 notes
Résumé :
Un fabuleux voyage au fil d'une réalité cubaine qui aspire à embrasser à la fois le visible et l'invisible, le sacré et le profane, le passé et le présent... Seule une innocence, une pureté enfantine au cœur de la plus exigeante culture peut encore donner accès à ces royaumes perdus dont Paradiso possède l'une des plus extraordinaires clefs dans la littérature mondiale. " Julio Cortazar, Le Monde " Il s'agit d'un des livres du siècle. Baroque : et pour une fois le m... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Etoiles notabénistes : *****

Paradiso
Traduction : Didier Coste

ISBN : 9782020364232


Paru en 1966, voici l'un des ouvrages les plus curieux que, si vous parvenez à vous y introduire, vous aurez jamais lu. Officiellement, c'est un roman. Pour certains - et ils ont raison - un roman poétique. Pour d'autres - ils n'ont pas tort non plus - un roman philosophique. Et, en ce qui me concerne, une espèce de collage rousselien. le langage utilisé est particulièrement soutenu (d'où, je suppose, le rapprochement avec Marcel Proust, bien que, il faut l'avouer, Lima possède également une façon très particulière de traiter le temps - celle de Proust restant cependant plus cartésienne et bien plus linéaire) et contribue, avec l'évocation colorée d'un Cuba et d'une La Havane pré-castristes, à façonner une ambiance onirique à souhait.

Grosso modo, "Paradiso" se divise en trois parties. Mais sachez d'abord que l'axe central en est José Cemí, le fils du Colonel, d'origine basque, et de Rialta. C'est vous dire que la première partie, entièrement consacrée à l'histoire de cette union et des origines de la famille, avec description détaillée de ses nombreux membres, dont l'extraordinaire grand-mère maternelle, Mme Augusta, relève, sans conteste, du genre réaliste. le tout jeune José y apparaît comme un enfant timide, introverti, déjà profondément rêveur, et asthmatique, ce qui, à cette époque qui ignorait la ventoline, était, pour un fils de roi comme pour un fils de berger, un véritable handicap, voire une authentique épée de Damoclès éternellement suspendue au-dessus de celui qui en souffrait.

L'asthme étant un trouble qui, en dépit de ses manifestations physiques, puise ses origines dans le psychisme, le lecteur en conclut très tôt que le petit José est doué d'une sensibilité particulièrement affûtée.

Se déroule alors tout un cortège de personnages hauts en couleur, Blancs d'origine espagnole et mulâtres, brossés non pas à grands coups révélateurs mais de façon quasi pointilliste. Tout un paysage, celui du Cuba rural et urbain du début du XXème siècle, se dessine peu à peu, dans une floraison de mots qui évoquent irrésistiblement l'extraordinaire jubilation avec laquelle, sous ces latitudes, la Nature part à l'assaut des jardins, des forêts et des moindres petits creux abritant herbe et insectes. Dès le départ, on perçoit la puissance indéniable de cette terre enchantée mais où les contrastes sont si tranchés, aussi bien matériellement que socialement. le but de l'auteur est de nous faire ressentir combien, au-delà l'exubérance de leur taille, de leur apparence et de leurs couleurs, les élément cubains dans leur ensemble, hommes, animaux, végétaux ..., puisent leurs forces - et leur âme - dans des racines étonnamment profondes dont certaines sont importées du Vieux Continent.

Réaliste, soit. Mais attention, il faut déjà s'accrocher. "Paradiso" n'est pas un livre qui se lit facilement, fût-ce dans cette partie - la plus longue, à mon sens - qui repose sur les descriptions de la réalité et se veut plus objective que subjective.

Pour la deuxième partie, où nous retrouvons un José Cemí jeune homme et étudiant à La Havane, mieux vaut avoir étudié la civilisation et les philosophes grecs. Mieux vaut aussi ouvrir une oreille tolérante à l'authentique plaidoyer pour la pédérastie que nous y présente, accompagné de différentes sauces, le personnage énigmatique de Foción, (dont on se demande si Montherlant n'est pas le modèle non avoué), un Foción qui finira dans un Centre psychiatrique (mais ne savons-nous pas que la période castriste, qui succédera à ce "Paradis", ne se montra guère indulgente pour les homosexuels ?) Foción est amoureux fou d'un étudiant plus jeune et ami de José Cemí, Fronesis. Toute la seconde partie, qui commence à ouvrir la porte à un univers et surtout à une façon d'étaler ou de rétrécir le temps qui font irrésistiblement penser à Raymond Roussel, se concentre sur ces trois personnages, Cemí, Fronesis et Foción. Sans se renier, le langage poétique de Lima y glisse plus d'une fois vers l'abstraction, voire vers une complexité utilisée à dessein pour désorienter un lecteur qui, dans la plupart des cas, laissera à mon sens tomber l'ouvrage en se demandant pourquoi, puisqu'il semblait au départ raconter l'histoire d'une famille, l'auteur se perd maintenant dans des directions aussi subjectives et pour le moins gênantes.

La troisième et dernière partie fut, pour moi, une apothéose roussélienne dans le plus pur sens du terme. Rythmée par la mort de Mme Augusta, maintenant bien veille et atteinte d'un cancer, et par la réapparition d'une connaissance de José Cemí, Licario, la tourmente se lève et le temps s'emballe. le lecteur, ravi ou épouvanté, heureux d'avoir tenu jusqu'à ce paroxysme même s'il n'en a compris que la moitié ou, au contraire, furibond de s'être fourvoyé dans cette équipée surréaliste où les tramways fonctionnent avec des têtes de taureau montées sur pignon, n'a plus qu'à se laisser emporter. Les images, du passé, du présent, du futur (?) défilent, les personnages, vivants ou morts, se télescopent, les événements, les sensations, les pensées se mêlent, s'entrelacent, s'imbriquent, se fondent ...

On ferme le livre complètement déboussolé, en se demandant ce qu'on a lu et en estimant très sincèrement que, après "Paradiso", l'"Ulysse" de Joyce est d'une simplicité exemplaire. Les uns seront frustrés, c'est certain. Les autres, tout en avouant n'avoir saisi que la moitié de ce que l'auteur a tenté d'exprimer, garderont une impression de soleil rayonnant, de Nature triomphante, de discours philosophiques prétentieux à plaisir afin de dissimuler les tristes réalités de la chair, et d'une folie joyeuse et triste, grotesque et hallucinante qui, si l'on y réfléchit bien, convient à merveille à Cuba et à son Histoire. Enfin, pour les lecteurs férus d'onirisme et de poésie, ce livre, qui dut certainement être peu aisé à traduire, constitue une pure merveille, un peu alambiquée par moments, soit, mais qui recèle bien souvent de vrais bijoux. N'ayant lu aucun autre ouvrage de José Lezama Lima, je ne saurais dire s'il s'agit là de son écriture habituelle ou s'il s'est livré à un exercice de style. En tout cas, sur le plan poétique et recherche de l'écriture, parfois au mépris de la compréhension première du lecteur, ce livre vaut largement le détour. Il contraint en effet le lecteur curieux ou qui aime relever les défis à aller plus loin, à chercher, à rechercher, y compris en lui-même ... Sans qu'il trouve jamais la réponse à cette unique question : pourquoi Lima a-t-il écrit "Paradiso" de cette façon qui se déconstruit peu à peu ? du coup, comme l'on pense aussi au prodigieux Faulkner, on est tenté d'en apprendre un peu plus sur José Lezama Lima car son "Paradiso" n'est pas une copie mais bel et bien l'aboutissement d'un parcours d'écriture dont on voudrait bien connaître les étapes.

A ne réserver toutefois qu'aux lecteurs chevronnés et qui ne se laissent pas facilement déstabiliser par la forme. ;o)
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Livre irrésumable, irracontable, un univers à lui tout seul. Nous suivons, plus ou moins comme un fil rouge mais un fil rouge qui se dérobe, et menace de se rompre à chaque instant, même si finalement à la dernière extrémité il n'en est rien, José Cemi, d'abord enfant, puis adolescent, enfin jeune homme. Mais on ne vient pas de nulle part, et José Cemi est pourvu de famille, de plusieurs familles même, il y a un Basque, des Portugais, des arbres généalogiques complexes, et une parentèle nombreuse, excentrique et étrange. Et il y a les parents de José Cemi, sa mère Rialta, et son père ingénieur et colonel mort jeune, dont le souvenir plane sur la famille bien après sa disparition. Et il y a des lieux, comme certains quartiers de la Havane. Et tout cela s'enchevêtre dans un mélange baroque, part dans tous les sens, pour revenir finalement à un endroit que l'on pensait perdu définitivement. C'est pétri de culture, de références, d'idées, mais aussi d'images, de sensations, d'odeurs. Un voyage intellectuel et sensuel, dans lequel le langage est le véhicule enchanté qui amène le lecteur dans des coins et recoins qu'il ne connaîtrait jamais sans cela. Un langage poétique, touffu, d'une richesse et d'un rythme magique, vraiment caractéristique de l'écrivain. Une merveilleuse découverte, dont je me sens incapable de parler comme il le faudrait.

C'est un livre univers dans lequel on se perd, sans se perdre vraiment, il faut abandonner un peu la raison et la stabilité pour se laisser embarquer par l'auteur. Un livre qui ne conviendra pas à tous, trop atypique et dérangeant pour cela, certains le trouveront obscure, voire ésotérique, mais si le lecteur succombe à son charme, il fera une lecture inoubliable.
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PARADISO de JOSÉ LEZAMA LiMA
Ce roman, qui n'en est pas vraiment un, s'ouvre sur la description de la naissance de José Cemi, de sa famille proche, et de son environnement à Cuba. Souvent malade, asthmatique, couvert de pustules, il ne s'en sortira que grâce aux sortilèges d'une magie ancestrale, mélange de croix de bois et de remèdes à la composition incertaine qui le firent pisser un liquide rouge orangé vaguement écailleux! On n'entendît plus parler de ces pustules, seul l'asthme perdurera. Il gardera de son enfance l'évocation de termes étranges à ses oreilles, « émigration » ou »là bas à Jacksonville »qui sonnaient comme des temps magiques désormais révolus. Son père, le Colonel, homme important mourra jeune laissant José orphelin à 10 ans. Si José est le fil rouge de la première partie du livre, ce sont plus tard ses deux amis, Focion et Fronesis qui prendront le relais avec lui. Mais Paradiso n'est pas un roman au sens propre du terme, il n'y a pas d'histoire, seuls des fils qui traînent et permettent de suivre vaguement cette famille, prétexte à une longue et surtout totalement baroque aventure autour d‘un paradis perdu. Lequel? Celui de la noblesse cubaine peut-être mais aussi la fin d'un monde dont la destruction totale approche.
Épique et baroque dont les deux mots qui caractérisent ce pavé érudit qui nous fait passer des grecs aux romains, de St Thomas d'Aquin à St Augustin, des ballets de Diaghilev à l'Ulysse d'Homère sans oublier Mallarmé, Tolstoï ou Kafka.
Ce livre, le seul publié du vivant de Lima fut censuré par le régime castriste,qu'il avait sûrement oublié d'encenser, mais également pour son incroyable huitième chapitre qui fait la description sur des dizaines de pages de l'initiation sexuelle du jeune José Cemi en des termes pornographiques extrêmement osés pour l'époque et faisant largement appel à la mythologie grecque.
José Lezama Lima est considéré par certains critiques comme aussi important à son époque que Proust ou Joyce! Pour ma part je le vois très proche de son compatriote Alejo Carpentier.
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Il faut se méfier car, Paradiso est bel et bien une forêt inextricable, où tous les mots sont vivants : ce qu'on pourrait prendre pour une branche ou une liane pourrait bien être un serpent, la forêt, comme l'écrit Alejo Carpentier*, cache des choses. Lima ne laisse que deux choix à son lecteur, contourne-moi, sans risque, ne me lis pas ou lis-moi sans me lire (il faut être disponible avec Lima). Ou bien, pénètre dans ma forêt et accepte de ne pas tout saisir. Oui Paradiso possède bien une langue qu'il faut apprendre à lire, sans trop hâtivement froncer les sourcils, "ça n'a pas de sens", "c'est du verbiage pédant"... en apparence cette langue pourrait paraître anarchique, confuse, embrouillé : elle est au contraire très articulée, comme un poème dont la beauté m'a par moments fait atteindre le nirvana. Encore que pas si souvent que je ne l'aurais voulu, le texte n'échappant pas à certaines périodes lénifiantes.

Je me suis laissé surprendre à la moitié du livre, complètement débordé par des discussions philosophiques à en perdre le nord. Quand on parle de "métissage" des cultures chez Lima, ce n'est pas une vue de l'esprit. Et de là, le visage déjà monstrueux du récit se démultiplie, comme le cerbère. Je retiendrai cependant une chose qui me semble assez importante : la veine autobiographie de cette langue. C'est comme si le narrateur regardait le film de sa vie, et nous le décrivait en direct, très précisément, mais avec l'art de transformer tous ses éléments en beautés étrangères.

* : Extrait du livre "Le partage des eaux" d'Alejo Carpentier

La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux-semblant ; tout y était travesti, stratagème, jeu d'apparences, métamorphose. Domaine du lézard-concombre, de la châtaigne-hérisson, de la chrysalide-mille-pattes, de la larve à corps de carotte, du poisson-torpille, qui foudroyait du fond de la vase visqueuse. Lorsqu'on passait près des berges, la pénombre qui tombait de certaines voûtes végétales envoyait vers les pirogues des bouffées de fraîcheur. Mais il suffisait de s'arrêter quelques secondes pour que le soulagement que l'on ressentait se transformât en une insupportable démangeaison causée, eût-on dit, par des insectes. On avait l'impression qu'il y avait des fleurs partout ; mais les couleurs des fleurs étaient imitées presque toujours par des feuilles que l'on voyait sous des aspects divers de maturité ou de décrépitude. On avait l'impression qu'il y avait des fruits ; mais la rondeur, la maturité des fruits, étaient imités par des bulbes qui transpiraient, des velours puants, des vulves de plantes insectivores semblables à des pensées perlées de gouttes de sirop, des cactées tachetées qui dressaient à un empan du sol une tulipe en cire safranée. Et lorsqu'une orchidée apparaissait, tout en haut, au-dessus des bambous et des yopos, elle semblait aussi irréelle et inaccessible que l'edelweiss alpestre au bord du plus vertigineux abîme. Mais il y avait aussi les arbres qui n'étaient pas verts, qui jalonnaient les bords de massifs couleur amarante, s'incendiaient avec des reflets jaunes de buisson ardent. le ciel lui-même mentait parfois quand, inversant sa hauteur sur le mercure des lagunes, il s'enfonçait dans les profondeurs insondables comme le firmament. Seuls les oiseaux étaient vrais, grâce à la claire identité de leur plumage. Les hérons ne trompaient pas, quand leur cou s'infléchissait en point d'interrogation ; ni quand, au cri du vigilant coq-héron, ils prenaient leur vol effrayé dans un frémissement de plumes blanches.
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Fiction poétique, autobiographique, romanesque, le chef d'oeuvre du maître incontesté de la littérature cubaine, aux accents proustiens, est sans intrigue. C'est un extraordinaire cheminement le long d'un paysage personnel : la vie du héros, José Cemi, double de Lezama Lima. Dédales mythologiques et ruelles intellectuelles nous mènent dans son passé, ses ancêtres, son destin, ses rencontres où tout est reflet de lui-même, avec une obsession lancinante, qui forge sa destinée : la chute du paradis, l'extinction d'un monde. le passé perdu construit un présent perdu qui promettra un avenir tout aussi égaré, présent constellé de tentatives d'appropriation de la flèche du temps et de décryptage des signes envoyés par les événements de l'existence.
D'une densité inouïe, Paradiso de Lezama Lima invite le lecteur à sa propre initiation, au décodage de son propre mystère.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... "Grand-mère, je me rends mieux compte chaque jour combien Maman se met à vous ressembler. Vous avez toutes deux ce que j'appellerais volontiers le même rythme interprété de la nature. Ces derniers temps, la plupart des gens me donnent l'impression d'être enfermés, sans issue. Mais vous deux semblaient dictées, comme si vous donniez suite à des paroles reçues à l'oreille. Vous n'avez qu'à entendre, à suivre un son ... Vous n'avez pas d'interruptions ; quand vous parlez, vous n'avez pas l'air de chercher vos mots mais de suivre un point qui éclaire tout. C'est comme si vous obéissiez, comme si vous aviez prêté serment que la quantité de lumière dans le monde ne diminuerait pas ; on sait que vous avez fait un sacrifice, que vous avez renoncé à de très vastes régions, à la vie même, oserais-je dire, si une vie merveilleuse n'apparaissait en vous, à tel point que nous autres, en comparaison, ne savons ni pourquoi nous existons, ni comment nous conduisons notre existence, car on dirait que nous nous sommes seulement détachés de la sphère supérieure dont parlent les mystiques, sans avoir encore trouvé l'île où bondissent les faons et les sens.

- Mais Cemí, mon petit-fils chéri, si tu observes tout cela chez ta mère et chez moi, c'est parce qu'il t'est donné de capter ce rythme de croissance chez la nature. Une lenteur fort peu fréquente, la lenteur de la nature, face à laquelle tu places une lenteur d'observation, qui est aussi nature. Grâce à Dieu, cette lenteur à donner à l'observation une fabuleuse extension s'accompagne d'une mémoire hyperbolique. Parmi bien des gestes, bien des mots, bien des sons, après les avoir observés entre songe et veille, tu sais ceux qui vont séculairement accompagner la mémoire. La visite de nos impressions est d'une insaisissable rapidité, mais ton don d'observation attend comme à un théâtre où elles doivent passer, reparaître, se laisser caresser ou se montrer farouches, ces impressions qui deviennent ensuite légères comme des larves, mais alors ta mémoire leur donne une substance pareille au limon des commencements, ou à une pierre qui recueillerait l'image du poisson. Tu parles du rythme de croissance de la nature, mais il faut beaucoup d'humilité pour pouvoir l'observer, le suivre et le révérer. Je remarque moi aussi qu'en cela tu es de notre famille ; la plupart des gens interrompent, favorisent le vide, émettent des exclamations, de gauches exigences ou déclament des arias fantomatiques, mais toi, tu observes ce rythme qui fait l'accomplissement, l'accomplissement de ce que nous ignorons mais qui, comme tu le dis, nous a été dicté pour signe principal de notre existence. Nous avons été dictés, c'est-à-dire que nous étions nécessaires pour que l'accomplissement d'une voix supérieure prît pied sur la rive, se sentît en terrain sûr. L'interprétation rythmique de la voix supérieure, pratiquement sans intervention de la volonté, c'est-à-dire avec une volonté qui nous venait elle-même enveloppée d'un destin supérieur, nous faisait bénéficier d'une impulsion qui était en même temps un éclaircissement." ... [...]
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[...] ... Le diplomate, qui se remettait lentement de sa surprise, énonça : "Si d'autres yeux nous accompagnent devant l'idole, elle s'imagine entourée de vers luisants et nous expédie un coup de papyrus." Il avait essayé d'émettre un son ironique et s'y replia, se réduisit momentanément à la taille d'une miniature ; on n'y distinguait plus ni lui, ni sa montre. Le couvercle d'or presque transparent s'emboîta dans son cercle de fermeture et l'occulte fulguration quitta les mains du Mexicain ... En d'autres circonstances, en entrant dans l'église que Cortes avait fait édifier à Cuernavaca, le Colonel vit un aveugle assis qui répétait : "Pour l'amour de Dieu, pour l'amour de Dieu," sans se douter d'une présence étrangère. Qu'il passât ou non quelqu'un devant lui, il répétait la même phrase. En entrant dans l'église, le Colonel s'aperçut avec étonnement que tantôt la prière coïncidait avec le passage de la personne à qui elle était censée s'adresser, et tantôt non. Cet aveugle semblait assis là pour mesurer selon un rythme différent le temps d'une autre éternité.

Il se rendit à Taxco, pour obéir à des instructions secrètes et, au café Berta, vit la collection de masques. C'était là qu'on les gardait, mais aux jours de grandes festivités et commémorations, le peuple en proie à ses démons accourait chercher ses masques ; chacun se dirigeait vers le sien comme s'il lui était destiné depuis des siècles. Masques de veaux furieux balafrés de cicatrices aux couleurs agressives ; ou de bœufs, d'un sienne homogène et somnolent, hauts comme des tours pour figurer par leur hochement une lassitude indéchiffrable ; de vulturidés, au bec d'un vert-de-gris sale, inspirant une très agaçante nausée féodale et dont le martèlement sur la charogne imitait une répétitive curiosité égyptienne ; et aussi des coyotes dont on aurait dit que, brusquement en arrêt, la nuit leur irritait le poil comme s'il y poussait des paires d'yeux. Le Colonel, assis à une petite table avec sa femme et ses deux enfants, absorbait le rafraîchissement dénommé Berta comme le café, où la poudre du tequila était humidifiée par la compagnie de la mangue verte. "Cette boisson devrait s'appeler perruchette," dit-il. La place de Taxco se remplissait de masques qui coupaient d'interjections leurs labyrinthes verbaux, et d'autres fois, poignardaient férocement de leurs petits couteaux l'air très sec, comme si d'innombrables nez étaient venus souffler dans une jarre, concentrant en une pâte unique toutes les haleines. L'un des masques s'approcha de la table du Colonel, on l'avait déguisé en cochon d'Inde ; des traits noirs faisaient ressortir la nervosité accumulée de l'animal. Après avoir essuyé un premier refus, il insista en montrant un groupe formé soudain autour d'un masque de coyote ; il ânonnait craintivement, comme s'il sentait toute la distance qu'il y avait du Colonel à lui. Le Chef faisait des signes de tête pour écarter les importuns ; et cependant il essayait, sans lui attribuer trop d'importance, de distinguer cette voix qui lui semblait cubaine et déjà connue. Le coyote sifflait des allusions conspiratrices mal bâties, on aurait dit un faux comploteur, ou que la mission qu'il s'était donnée le faisait trembler. Il semblait avoir été désigné pour la relation qu'il était supposé avoir avec le Colonel. Celui-ci lui intima l'ordre de retirer son masque, aussi durement que s'il s'était agi d'un "Repos !" réglementaire. Les mains tremblaient, ce qui fit que le masque fut ôté avec lenteur - ce n'était point qu'il solennisât un acte de l'importance duquel il eût été convaincu. Le Coyote, c'était Vivo. Le Colonel l'observa avec une perplexité amusée et Vivo rétrograda jusqu'à l'entrée d'une bijouterie où le rideau qui faisait office de porte l'enleva et le déroba aux regards. ... [...]
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A veces lo invisible, que tiene una pesada gravitación, y en eso se diferencia de lo irreal, que tiende más bien a levitar, se muestra limitado, reiterado, con lamentable tendencia al lugar común. Me dormí con un sueño ocupado y hojoso hasta la medianoche. Así que me desperté con una mitad del cuerpo muy descansado, aunque no podría precisar cual era esa mitad. Aunque la medianoche es muy propensa a las barrabasadas con lo invisible, no me desperté sobresaltado. Casi despertándome en esa media noche, noté un ruido que venía del sitio donde se mostraba el sillón. Lancé lentamente la mirada, todavía me quedaba un residuo indeciso del sueño, hacia ese sitio del ruido. El sillón y el ruido no se me mostraron en una sola acabada sensación hasta que encendí la lámpara. Pero entonces pude notar con cortante precisión que el sillón se movía sin impulsarse, se movía sobre sí mismo pudiéramos decir. Desde el primer momento tuve la seguridad de que no había sido el roce de algún ladrón, ni tampoco un enojoso tropiezo con el gato en persecusión de su enemigo. La movilidad del sillón tenía tal sencillez, aun en el marco feérico de la media noche, que pude volver a dormirme. Al despertarme sentí que la otra mitad de mi cuerpo se había añadido a la otra mitad desconocida, que al despertarme en la medianoche ya lucía descansada y plena dentro de una melodiosa circulación que se había remansado a la sombra húmeda.
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Le geste de secouer la branche à glands pour les porcs a la même arrogance que celui d'un roi prêtant serment pour son intronisation. Ce porcher est dans la grande tradition classique : en distribuant les glands, il a la même joie qu'Eumée, le divin porcher, en reconnaissant Ulysse avant que celui-ci n'ait fourni ces terribles preuves dans la salle des prétendants. Eumée n'offre pas une romance mais commence par présenter à Ulysse un large filet du porc à blanche denture. Chez tous ces porchers il y a la joie d'une fidélité théophonique. Ils sont toujours dans l'attente d'un dieu.
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"C'était si agréable, dit Mela à Andrès, si réconfortant -elle entrait dans la conversation sur un ton de très lente tendresse lorsqu'elle cachait ses plus redoutables méchancetés - quand, à Jacksonville, tu partageais le bon fumet de nos soupières avec ces chants. Pourquoi n'essaies-tu pas de recommencer? C'était une coutume qu'on n'aurait pas dû perdre. " Elle parlait des chants de guerre contenant de méprisantes allusions aux Espagnols, qu'on entonnait dans les foyers d'immigrés.
Don Andrès sourit, dans l'intention de détourner l'orage qui se rapprochait dans un ciel encore quotidien, bien que le cri guerrier de l'albatros réussit déjà à montrer la moitié de son profil derrière un bambou. Voyant que Mela ne le perdait pas de vue, telle une Circé se ressouvenant d'anciennes vengeances, de serments réitérés, il dit : " Nous les avons si souvent chantés - son visage se changea en un masque de mauvais augure- que nous pouvons être facilement excusés de ne pas les chanter maintenant." Il savait que l'insistance de sa mère avait valeur de roulement de tambour et c'est pourquoi il tentait de l'interrompre par l'émission d'une flèche aiguë, légère mais tranchante ; sans réplique, tout en lui réservant affectueusement une retraite facile.
Mais les résolutions de Mela progressaient comme un escadron d'Achéens qui montent en hululant sur des nefs à proue de cuivre.
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Vidéo de José Lezama Lima
José Lezama LIMA – La bibliothèque comme dragon (France Culture, 1979) L’émission « Albatros », par Gérard de Cortanze, diffusée le 30 décembre 1979 sur France Culture.
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