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Critique de Eric75


Eric75
03 décembre 2014
Alexander Til, dit Zander, jeune Juif new-yorkais de 16 ans, est très tôt devenu un idéaliste pur jus. Et pour cause, à la mort tragique de son père et de son frère sur leur lieu de travail, dans l'incendie historique de l'usine Triangle Shirtwaist en 1911, il comprend assez vite qu'il ne faut rien attendre des classes dirigeantes et des nantis : ni indemnisation, ni justice, ni commisération, ni d'ailleurs la moindre parcelle d'humanité qui est, semble-t-il, incompatible avec l'avidité ordinaire des capitalistes et des patrons.

Très tôt donc, Zander décide de devenir révolutionnaire. Pour la bonne cause. Et pour la meilleure des luttes : celle qui apportera l'égalité et la justice pour tous. On imagine son enthousiasme quand il découvre, quelques années plus tard, que les belles idées révolutionnaires pourront enfin être mises à l'épreuve du terrain. En 1917 à New-York, il a la chance de croiser le chemin de Léon Trotski en exil. Poursuivi par l'agent Hoover, il décide d'embarquer pour Petrograd, car la révolution va se jouer en Russie, la terre de ses origines. Il part accompagné de son ami de toujours le tonitruant – et inquiétant - Russo-irlandais Atticus Tuohy, un ancien condisciple d'Emiliano Zapata.

Robert Littell frappe fort. Dès les premières pages, le lecteur est happé dans un maelström romanesque des plus ébouriffants. Comme on peut aisément l'imaginer, pour Littell, les apparatchiks ne seront apparemment pas toujours chics et le moujik ne parviendra pas à adoucir les meurtres… Quinze ans avant La Compagnie (l'histoire romancée de la CIA, et, à travers celle-ci, l'histoire occulte des guerres étatsuniennes), qui mêle habilement les faits réels et les personnages de fiction, Littell utilise déjà le même procédé et nous livre ici une fresque grandiose et véritablement passionnante, parcourant l'histoire de la Révolution russe, ses espoirs et ses désillusions, depuis la prise de pouvoir par les bolcheviks jusqu'à la fin du stalinisme.

Zander traversera toute cette période, et il sera pour ainsi dire aux premières loges. A la fois témoin et acteur, sa route va croiser les personnages les plus marquants : Trotski, Lénine, Staline, les Romanov, Beria, Khrouchtchev et beaucoup d'autres… Ceux-ci interviennent comme des acteurs à part entière dans le scénario, et se mêlent si efficacement aux héros de fiction, qu'il est parfois difficile de deviner si tel ou tel personnage « secondaire » a existé ou non. Avec un procédé redoutablement efficace, Littell rassemble la plupart de ses personnages dans une maison du vieux Petrograd en début de roman, de manière à tisser une toile complexe de relations entre les acteurs qui seront amenés à se revoir, parfois des années plus tard, pour le meilleur et pour le pire.

Entre espoirs et désillusions d'une révolution, rien ne sera épargné à Zander : il devra surmonter les massacres de la guerre civile, les interrogatoires musclés du NKVD, les humiliations de la prison, la perte de ses amis proches... Mais, parmi tous les crimes qui seront commis au nom de la Révolution, le pire pour lui sera sans doute la trahison de ses idéaux humanistes et révolutionnaires, auxquels contre toute attente, et en dépit de toute logique, il essaiera de croire jusqu'au bout.

Robert Littell sait mieux que quiconque rendre ses personnages attachants, les héros comme les fripouilles. Il exploite au mieux et avec panache les soubresauts romanesques de l'histoire, il entrelace avec une grande subtilité les parcours individuels et les événements historiques. Au passage, il parvient heureusement à éviter quelques facilités qu'il laisse volontiers aux scénaristes hollywoodiens (comme la récupération du personnage d'Anastasia, qui parvient néanmoins à s'enfuir de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg, mais pour accomplir on ne sait quel mystérieux destin). En revanche, il termine son roman de la manière la plus impressionnante qui soit, car, tout en restant compatible avec les faits historiques, Robert Littell accélère l'action dans les sublimes derniers chapitres qui éclairent d'un jour nouveau l'engagement de Zander, héros cabossé de l'histoire mais toujours fidèle à ses valeurs, le lecteur se retrouve alors brutalement plongé dans un page-turner malin et débridé – qui annonce la production future de l'écrivain – concluant le roman de façon inattendue et éblouissante.
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