Jonathan Littell a visité pendant 2 semaines, fin avril-début mai 2009, la Tchétchénie pour faire le point de la situation d'un pays qui a connu dans les années 1990 deux guerres, qu'il avait suivies de près et sur place.
Malgré une demande préalable, en passant par les services d'information du Kremlin à Moscou l'année précédente, un entretien avec le président de la République, Ramzan Kadyrov, n'a pu avoir lieu "faute de temps" de ce dernier.
L'auteur, selon sa propre affirmation, en préface de son ouvrage sur la 3ème année du règne de Kadyrov, a pratiquement "entièrement récrit" son texte pour tenir compte de l'assassinat de la collaboratrice du Memorial russe des droits de l'homme, Natalia Estemirova, le 15 juillet 2009, ainsi que d'autres "éliminations" qui l'ont suivi.
La Tchétchénie, une république russe de 1,4 million d'habitants sur une surface d'un peu plus de la moitié de celle de la Belgique, soit 17.300 kilomètres carrés, a occupé depuis 1991 une place dans les chroniques de la presse mondiale sans rapport à son rang ni sa taille.
L'histoire récente et la situation actuelle de ce pays sont effectivement toutes sauf simple et c'est justement pour y voir un peu plus clair que j'ai lu cet ouvrage d'un auteur qui sait de quoi il parle et qui a le don de s'expliquer clairement.
L'approche de l'auteur de "
Les Bienveillantes", un monument littéraire, ressemble à celle préconisée par lui dans son ouvrage "
Carnets de Homs" par exemple, des notes publiées après son passage en Syrie en 2012 : un style direct sans ambitions littéraires et fioritures dans un but purement informatif.
Dans la tradition d'ailleurs du style de plusieurs livres de son père,
Robert Littell, tels "
L'amateur", "
Les soeurs" et surtout "
La compagnie" sur la CIA.
Le résultat est un ouvrage court de 140 pages avec un glossaire fort utile en fin de volume, dans lequel
Jonathan Littell nous livre le résultat de sa visite et tout particulièrement de ses entrevues avec une série de témoins privilégiés tant à Moscou qu'à Grozny.
Sans vouloir entrer dans le détail ici, disons que si, à première vue, la situation en Tchétchénie semble s'être amélioré depuis l'avènement au pouvoir de Ramzan Kadyrov en février 2007, grâce à ses travaux considérables de rénovation d'avant tout la capitale du pays, ravagée par 2 guerres atroces, et d'un peu moins de violence, en apparence, par les services de police à affectation spéciale, comme l'OMON ("Otriad Militsii Osobovo Naznatchena") et les forces de sécurité loyales au chef, les Kadyrovtsy.
Mais ces progrès manifestes et visuels, comme la pharaonique Grande Mosquée de Grozny (une copie de la Mosquée bleue d'Istanbul), ne sauraient cacher le fait qu'il s'agit d'une dictature violente, qui supprime toute opposition, et où la corruption est devenue endémique. Grozny a comme Moscou ses potes oligarques, en Tchétchénie des ploucs aux grosses Rolex.
Comme l'a résumé un témoin à l'auteur : "L'enfer est devenu confortable , mais c'est toujours l'enfer".
À propos de la mort de Natalia Estemirova, il y a une ressemblance avec l'assassinat d'Anna Politovskaïa en octobre 2006, sa grande amie, sauf que Natalya a, en plus, été traité devant des journalistes de "pute" par l'honorable Kadyrov, parce qu'elle refusait de porter le voile en public.
C'est le père de l'actuel président, Akhmad-Khadidzhi Kadyrov, qui a été installé sur le trône à Grozny en juin 2000 par Poutine, et le même Poutine qui a arrangé la succession du fils après le meurtre du père en mai 2004. Ce qui explique que le "soutien de Poutine reste le pilier central sur lequel tout l'édifice repose".
Comme l'a formulé un autre témoin à
Jonathan Littell : "Nous sommes devenus un simple sujet de la Fédération de Russie. Ni plus ni moins."