Visiblement un grand classique de la littérature portugaise, mais pour moi la mayonnaise ne prend pas... j'ai d'abord été séduit par l'ambition du livre, à savoir décrire plusieurs niveaux de "l'enfer" par des paliers successifs : un voyage en voiture emplit de solitude sert de base à l'évocation de souvenirs de deux enfers : militaires et psychiatriques.
Malheureusement, j'ai été très déçu par l'approche fantastique du livre. Je reconnais tout à fait le symbolisme, mais j'ai vraiment perdu beaucoup de plaisir à la lecture en naviguant dans les méandres de la mémoire de l'auteur. Si c'était un acteur, j'aurais trouvé ça surjoué par moments. C'est bien dommage, car c'est indéniablement un ouvrage littéraire de qualité.
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En Algarve, la mer est en carton comme sur les décors de théâtre, mais les Anglais ne s'en rendent pas compte : ils étalent consciencieusement leurs draps de plage sur la sciure du sable, mettent des lunettes noires pour se protéger du soleil en papier, se promènent avec ravissement sur la scène d'Albufeira où des employés municipaux déguisés en hippies de carnaval, accroupis par terre, leur fourguent des colliers marocains fabriqués secrètement par l'office du tourisme, et finissent par jeter l'ancre en fin d'après-midi sur de fausses terrasses de café où l'on sert des boissons imaginaires dans des verres qui n'existent pas, lesquelles laissent dans la bouche le goût sans saveur des whiskies servis aux figurants dans les feuilletons télévisés.
Je ne suis jamais sorti de l'hôpital, se dit-il, je n'en sortirai jamais: les types auxquels on donnait leur bulletin de sortie descendaient l'allée en direction de la place Campo-de-Santana, regardaient les maisons, les tourterelles, les gens, les automobiles, et revenaient en hâte à l'asile, épouvantés par une ville dont ils avaient perdu l'habitude, par la complication de la circulation, par l'enchevêtrement des rues ne débouchant nulle part, par le fleuve au fond qui était comme un abîme au-dessus duquel on aurait tendu une feuille de papier bleu imitant la tranquillité des eaux, un abîme qui pouvait les engloutir à chaque coin de rue, car à chaque coin de rue le fleuve nous guette, nous attend, glisse sous nos pieds une perfide nappe de boue. Ils reviennent à l'hôpital et se cachent en tremblant dans les couloirs et se pendent à nos vestes de leurs mains transpirant de peur.
Le Varela, c'était un bistrot où l'on pouvait aussi acheter des pâtisseries, avec un téléviseur tout contre le plafond, posé sur une étagère, imposant et sacré comme une icône, et un groupe d'infirmiers qui jouaient aux dominos dans un coin en examinant les pièces d'un air sévère à la façon d'un état-major penché sur un plan de bataille. Le concierge lui lâcha le bras et lui enfonça dans le ventre le poignard de son index:
- Votre papa, c'est pas n'importe qui, monsieur.
Puis, s'adressant au gamin qui s'activait derrière le comptoir et vendait des paquets de biscuits de régime à une dame obèse, laquelle contait à une autre, d'un air catastrophé, les aléas de la grossesse de sa chienne:
- Deux martinis bien tassés. Sans citron.
"Nous sommes des bourreaux, voulut-il dire tout haut au Club, des bourreaux ignorants et pervers, plongés dans l'odeur infecte de la pisse stagnante et de la merde, occupés à discuter de machines à café, de promenades au jardin zoologique et d'autres divertissements foutrement semblables, nous sommes des bourreaux, et en rentrant chez nous nous exhalons, dans les vestibules, entre le portemanteau et la console, des odeurs de Maria assassinées, parce que en accrochant notre imperméable c'est un peu de nous-mêmes que nous accrochons, nos corps fanés comme les perdrix des natures mortes, en pointant le bec de nos lèvres vers les lattes du parquet"
Je me suis aperçu, se dit-il à voix haute dans la voiture vide, tout en prenant la direction de la montagne, que la solitude est un pistolet d'enfant dans le sac en plastique d'une femme apeurée. L'après-midi avait maintenant pris la couleur jaune et trouble des défunts, le jaune mélancolique de l'iode des portraits anciens, le jaune sale du cercueil contre un tronc ou un mur, le jaune rouillé des chiens boiteux sur les plages, qui trottent en bande au ras de la mer dans les crépuscules de septembre sous l'immense ciel silencieux dans lequel on devine au loin les migrations de canards de l'équinoxe.
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Et si pour comprendre les racines de la violence, on écoutait ceux qui traquent la violence et ceux qui s'y adonnent ? Quitte à plonger au coeur du mal…
« Mon nom est légion » d'Antonio Lobo Antunes, c'est à lire en poche chez Points.