L'horreur sans nom des bagnes militaires d'Afrique du Nord, ces règnes de l'absurde, sous la plume d'Albert Londres. Cette plume est celle d'un reporter, homme de lettres engagé dans la lutte contre les ignominies que les hommes font subir à d'autres hommes, protégés par la loi mais se moquant éperdument d'elle. Un travail de fond qui fait prendre toute la mesure de la barbarie humaine.
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Ils présentent immédiatement la main à plat. Cela veut dire : « Ne tirez pas, je ne tirerai pas. » En vitesse, je leur présente les deux mains, je regrette même à ce moment qu'elles ne soient pas plus larges. Je leur crie : « Trick, Tasfilazet, meziane ? » Je savais la phrase depuis peu de temps : vous pensez si je m'en servais. Cela signifie, paraît-il : « Est-ce le bon chemin pour Tasfilazet ? » Mais ce beau langage était de l'arabe, et les fantômes étaient Berbères. C'est à vous dégoûter de savoir les langues ! Il était une heure et quart. Cette fois, il n'y avait plus de doute, nous roulions en pleine dissidence. Ce crétin de dernier manteau bleu aurait tout de même pu nous prévenir.
Nous retournons la voiture. Et si vous n'avez pas vu courir un sloughi, le plus rapide des lévriers, vous n'avez aucune idée de la façon dont filait votre pèlerin. Évidemment, ce que nous n'avions pu découvrir de l'autre côté, nous l'apercevions maintenant. Et voici le bordj D'ailleurs, on nous fait des signes comme avec un grand drapeau. La vie est belle et mes oreilles me sont chères !
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Savez-vous ce qu'il faudrait dans les pénitenciers ?
Il rit comme pour marquer d'avance qu'il allait dire une chose énorme.
-Des curés.
Par curé, il n'entendait pas un prêtre qui viendrait leur faire le catéchisme. Curé ! Rabbin ! Pasteur ! Ils ne sont pas fixés sur la confession. En soutane ou en pantalon, ils n'y regarderaient pas de si près. Ce qui n'est pas leu foi qui a soif. S'ils disent curé c'est pour tout résumer d'un mot. Ils voudraient un homme qui fût parmi eux, non par métier, mais par bienveillance. Lorsqu'une bonne pensée naît dans l''esprit ou le cœur d'un détenu, ce détenu ne trouve personne à qui la confier. Tout élan vers le bien est étouffé par de gros rires. De mauvais meneurs, tant que vous en voudrez ; de bons meneurs, aucun ! Me désignant un travailleur, un sergent me dit : « C'est le moraliste ! » et à ce mot une bonne rigolade jaillit de son nombril et inonda tout son corps.
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— Monsieur, me dit un fonctionnaire, à Tunis, je ne sais pas ce qui se passe dans les pénitenciers militaires, mais je vais vous dire une histoire vraie. Vous avez vu le garçon qui vous a servi. Je l'ai depuis trois ans chez moi. C'est un brave garçon. Voilà quatre mois, j'invite un officier à dîner.
— Tu peux nous servir, dis-je à Etienne.
Mais Etienne disparaît. Nous attendons. Je sonne. Etienne ne vient pas. Je vais à la cuisine:
— Eh bien! qu'est-ce que tu fais?
— Monsieur, dit-il, tout hors de lui, je ne puis pas vous servir, je m'en vais!
— Qu'est-ce que tu as?
— Y m'en ont trop fait! Y m'en ont trop fait!
— Qui?
— Vous savez bien que j'ai été au pénitencier.
— Oui.
— J'peux plus les voir, plus les voir!
— Tu connais le capitaine?
— Non, pas lui, tous!
Il se mit à pleurer. Puis, avec une cuiller, il frappait la table, à grands coups, comme pour l’assassiner, et dans ses larmes, il répétait:
— Y m'en ont trop fait, m'sieur! trop fait!
Les seules troupes blanches qui, au Maroc, vont au baroud (à la bataille), sont les joyeux et la légion étrangère. Quand l'hiver met un terme aux combats, il ne s'agit pas de remonter le sac, de tourner le dos et de descendre dans la plaine faire le lézard au soleil. Il faut garder le terrain conquis, d'où, le printemps revenu, on partira pour un nouveau saut chez les Berbères.
Tout ce que j'essaye de vous expliquer là tient d'ailleurs beaucoup mieux en une phrase connue : « on réduit la tache de Taza. » Une tache est toujours une mauvaise affaire. On croit l'avoir effacée, elle reparaît ! Il convient de ne pas la quitter de l’œil. C'est pourquoi, en plein massif de l'Atlas, de distance en distance, veillent par petits groupes les chasseurs des bataillons d'infanterie légère d'Afrique : les joyeux.
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La vie des sous-officiers de la justice militaire n'est pas folâtre, c'est entendu ; les psychologistes pourraient peut-être pousser là une étude de l'homme pris dans ce qui lui reste de profondément animal. Les actes cruels qui marquent la carrière de beaucoup de sergents surveillants sont moins le résultat d'une décision de l'esprit que la conséquence naturelle d'une brutalité qui se croit des droits et se donne des devoirs.
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Par Delphine Minoui, grand reporter, lauréate du Prix Albert Londres 2006
Tout public, à partir de 10 ans
« Lumières pour enfants », c'était le titre donné par Walter Benjamin aux émissions de radio destinées à la jeunesse qu'il assura avant la montée du nazisme. Ce titre, Gilberte Tsaï l'a repris pour les Petites conférences qu'elle programme depuis 2001 dans différents établissements culturels.
Elles reposent sur le pari que ni les grandes questions, ni les espaces du savoir, ne sont étrangères au monde des enfants et qu'au contraire elles font partie de leur souci, formant un monde d'interrogations restant trop souvent sans réponses.
La règle du jeu en est la suivante : un spécialiste d'une matière ou d'un domaine accepte de s'adresser à un public composé d'enfants mais aussi d'adultes, et de répondre à leurs questions. À chaque fois, il n'est question que d'éclairer, d'éveiller : en prenant les sujets au sérieux et en les traitant de façon vivante, hors des sentiers battus.
Programme de la Petite conférence #2 – « Raconter la guerre, dessiner la paix, 25 ans de reportages au Moyen-Orient » par Delphine Minoui :
Rien ne prédestinait l'enfant timide, née à Paris d'une mère française et d'un père iranien, à devenir reporter de guerre. Quand elle s'envole pour Téhéran, en 1997, c'est avec l'envie d'y raconter le quotidien des jeunes de son âge, épris d'ouverture. Mais l'après 11-septembre 2001 chamboule tout. Elle se retrouve en Afghanistan, puis en Irak, pour suivre l'invasion américaine et ses conséquences sur la région. Depuis, les soubresauts s'enchaînent : révolutions du printemps arabe, attentats de Daech, crise des réfugiés syriens, putsch raté en Turquie, retour des Taliban à Kaboul. Mais Delphine ne perd jamais espoir. Sensible à l'humain au milieu du chaos, elle navigue entre ses articles et ses livres pour faire parler la paix, encore et toujours, en racontant le combat des héros anonymes croisés sur son chemin.
Entre anecdotes et confidences, la conférence donnera à voir les coulisses du reportage, où le journaliste n'est ni un super héros ni un agent du « fake news » au service d'un grand complot, mais un témoin d'exception, porteur de lumière, même au coeur de l'obscurité.
Le terrain est la colonne vertébrale de son écriture. Correspondante au Moyen-Orient pour France Inter et France Info dès 1999 puis pour Le Figaro depuis 2002, Delphine Minoui a consacré la moitié de sa vie à cette partie du monde synonyme de révolutions, coups d'État et conflits.
À lire – « Les petites conférences » sont devenues une collection aux éditions Bayard.
Delphine Minoui, L'alphabet du silence, l'Iconoclaste, 2023
Les Passeurs de livres de Daraya, Seuil, 2017
Je vous écris de Téhéran, Seuil, 2015
Conception et programmation : Gilberte Tsaï – Production : l'Équipée.
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