Voyages en Inde

Plus jeune, Pêcheur d'Islande avait fait partie de mes lectures d'aventures au bout du monde que je recherchais, et j'avais trouvé en Pierre Loti l'un de ces écrivains voyageurs que j'affectionne.

Presque 30 ans plus tard, je suis tombé presque par hasard sur ces récits de voyages en Inde, conçus au tournant des deux siècles, puisque c'est là-bas, entre le sud de l'Inde et le Rajasthan, que Pierre Loti passera le nouvel an 1900.

Une fois n'est pas coutume, je commencerai par mettre en garde sur ce qui m'a déçu : les limites de ces aventures autobiographiques pour le lecteur du XXIème siècle.

D'abord le style de Pierre Loti : le charme nostalgique qui s'en dégage, le lyrisme romantique avec lequel l'auteur vient comparer l'Inde des Palmes aux campagnes françaises de son enfance, n'est pas toujours convainquant. Clairement doté d'une mémoire photographique étonnante, et d'une puissante force d'évocation, l'auteur ne résiste pas au plaisir contemporain de l'exotisme colonialiste, prisme désuet avec lequel il décrit longuement les corps cuivrés des brahmanes, les couchers de soleils sur les banians, et les temples aux portes interdites. Cet exotisme et le goût XIXème pour la description nuisent à mon sens à la qualité du roman, et tendent à faire de l'Inde 1900 une image d'Epinal.

Mais le capitaine de corvette Julien Viaud, à l'image de sa célèbre maison de Rochefort que l'on qualifierait aujourd'hui de palais du kitsch, est un être plus complexe qu'il y paraît. Et à ce titre son attirance pour l'Inde n'est pas un hasard. Tout comme ce continent multifacettes, ancré dans la spiritualité a inventé le bollywood, le choix de L'inde n'est pas un hasard: sous couvert de mission diplomatique, le cocardier Julien Viaud -qui n'oublie pas d'intituler son livre "L'Inde sans les anglais" et de le dédicacer aux rebelles du Transvaal-, prend le temps d'explorer l'Inde profonde, et, tout en respectant ses usages et ses secrets, n'hésite pas à dormir seul au milieu de ruines habitées d'ombres mystérieuses pour en percer les secrets spirituels.

Ainsi, ce récit de voyage qui nous mène de la pointe sud du sous-continent -L'inde des Palmes selon Loti- , vers le Rajasthan -L'Inde affamée, dit-il- , avant de s'achever vers Delhi et la pieuse Bénarès, via les comptoirs français de Mahé et Pondichéry, et malgré ses excès d'exotisme et de lyrisme -mais peut-on le reprocher à l'exubérant Pierre Loti ?- est autant une page d'Histoire, une découverte de l'Inde d'autrefois qu'un récit initiatique. Sur ce dernier point, une nouvelle fois paradoxal, Pierre Loti ne se révèle vraiment qu'à la fin de son périple, au contact des vieux sages au bord du Gange, tandis que son inquiétude d'une vie après la mort point à peine sous ses enthousiastes évocation des images et odeurs de l'Inde.

Bref, se mettant lui-même en scène comme personnage romanesque dans une poésie colorée qui lui est propre, Pierre Loti nous livre Ses Indes, excluant le colonisateur britannique. On n'attendra de ces récits ni un réalisme historique exigeant, ni une étude profonde de l'âme des peuples rencontrés. Julien Viaud livre son regard et ses émotions de voyageur, et Pierre Loti les met en peinture et en littérature classique pour le plaisir du lecteur 1900. En 2019, j'en retiens donc de très belles pages, mais un ensemble trompe-l'oeil aujourd'hui décalé