Une belle surprise avec ce space-opera américain sorti aux débuts des années 2000 au Bélial' (2002 aux US, 2009 en France). Une surprise à tous les niveaux : sur la forme (narration à la première personne, ellipses, scénario complexe aux ficelles invisibles et à la fausse simplicité, taillé au cordeau) et le contenu (un roman initiatique qui échappe au YA par son thème : la revenge story d'un ado victime de viol). Ce roman pourtant foisonnant comporte énormément de non-dits (les fameuses scènes de viol, notamment, qui m'ont fait douter jusqu'à la fin que ce soit bien arrivé — mais aussi la nature de la relation qui unit Jos, le protagoniste, à son mentor Niko) et nous offre une intrigue haletante, qui nous pousse à tourner les 545 pages (grand format) jusqu'au bout. Jusqu'à la toute dernière ligne, j'étais scotchée !
De quoi ça parle vraiment ?
Difficile de résumer sans spoiler. le quatrième de couverture ne nous dévoile que ce qui se passe dans les premières pages : un vaisseau marchand est attaqué par des pirates. Jos Musey, un gamin de huit ans, attend dans une cache que ses parents, qui sont partis défendre leur foyer avec le reste de l'équipage, reviennent le chercher. Au bout d'un certain temps, lorsque tout est enfin devenu silencieux, il consent à sortir, effrayé à l'idée qu'on l'abandonne tout seul dans l'espace (les pirates ont coutume de faire sauter les vaisseaux qu'ils attaquent). Mais les pirates sont encore là et des parents, nulle trace. Il est alors capturé et emmené, avec le reste des enfants, pour devenir un esclave revendu à de cruels chefs de guerre. le capitaine pirate, un ancien commandant renégat de la flotte, s'entiche de lui, et le garde pour son « usage » personnel... commence pour Jos un calvaire d'un an, qui va le hanter tout le long du roman (et nous aussi). Cette captivité est narrée sur une soixantaine de pages à la seconde personne, et se termine par un bref et éloquent « c'est tout ce dont je me rappelle de Falcone, et c'est bien suffisant » qui contraste vivement avec le reste, puisque c'est la première fois que Jos parle à la première personne (tout le reste du roman sera au « je »). À ce stade de l'histoire, à travers cette étrange narration et les souvenirs sélectifs d'un enfant, j'avais encore des doutes sur ce qui s'était réellement passé. La question du viol, de ce que font les pirates à leurs jeunes captifs, de ce que pourraient faire les différents capitaines que va servir Jos par la suite continuera à affleurer tout le long du roman sans qu'on sache réellement (Jos étant lui-même dans le déni), jusqu'à la fin. On craindra le nécessaire face à face avec son bourreau, tout en souhaitant savoir ce qui s'est réellement passé. Malgré cela, le roman reste pudique et parfaitement lisible pour tout le monde, même les plus sensibles. La tension est réelle, mais pas insoutenable. Tout juste ressent-on une sorte de malaise par moment (surtout au début et à la fin). Cette capacité de l'auteure de traiter avec délicatesse et réalisme un tel sujet, sur lequel elle s'est, de son propre aveu, beaucoup renseignée (Jos n'est pas le seul survivant de viol dans le roman, loin de là, et la façon dont les autres le vivent nous donne deux autres voies possibles) m'a beaucoup étonnée. Ici, point de pathos, de voyeurisme, ni même d'horreur. Pourtant, le thème est bien là : le roman parle du viol, et de la façon dont on s'en sort.
L'Assassin Royal dans l'espace
Il y a un autre aspect dans ce roman : c'est le côté initiatique, d'un jeune homme autrefois victime qui va se constituer une carapace et des armes de guerrier auprès d'un mentor sage, fort et bienveillant, un genre de maître Jedi qui incarnera à la fois une figure de père, de meilleur ami et aussi, on le devine (ou extrapole), d'amant. Là encore, rien n'est dit, mais de nombreux aspects sensoriels (l'insistance sur le toucher lorsqu'il est avec Niko, les descriptions qu'il en fait, subjugué par sa beauté, le besoin qu'il a de sentir son odeur, de dormir dans son lit, etc) laissent à penser que, peut-être, Jos ressent plus que des sentiments d'admiration et de reconnaissance envers Niko S'tlian. Ce dernier est d'ailleurs l'exact contraire du bourreau Falcone (tout les oppose, jusqu'à l'aspect de leur vaisseau). Mais tous deux sont des guerriers, le roman étant, comme son nom l'indique, une histoire de guerre. J'y ai retrouvé des vibes de l'Assassin Royal parfois, dans la solitude de Jos, qui doit infiltrer un vaisseau ennemi pour le compte de son mentor, prendre le risque d'être découvert, revendu pieds et poings liés à son bourreau et être considéré toute sa vie comme un traître. Car Niko sert la cause extraterrestre, ces fameux Striviirc-na qui sont d'abord décrits comme des monstres. Intronisé dans leur caste guerrière, les « prêtres-assassins », il est même devenu leur général, haï et craint par tous les humains, de la flotte régulière du ConcentraTerre jusqu'aux pirates. Pour lui, Jos va devenir le
Warchild, un espion assassin aux capacités hors-normes, à la fois de nulle part et de partout, mais condamné à être encore plus détesté que son mentor. Tout le lore alien et ces destins tragiques de super guerriers traitres à leur espèce m'a fait penser à la saga du Dévoreur de Soleil de
Christopher Ruocchio, un autre space-opera que j'apprécie beaucoup.
Le point « un peu (très peu) dommage »
Les ellipses, très nombreuses. Franchement, une fois le livre refermé, après avoir vu la maestria avec laquelle l'auteure conclut ce récit hors-norme (en un seul volume ! Il n'y a pas de suite), je me suis dit qu'elles étaient excusées, et même bienvenues. Mais parfois, j'ai été un peu déstabilisée, en commençant un nouveau chapitre (qui sont plutôt courts, ce qui donne un certain confort de lecture), par le laps de temps écoulé. Parfois, elle nous jette in media res en pleine scène de combat, des mois après la ligne qu'on vient de finir. Mais ça fonctionne. On le voit bien, notamment, pour les scènes de viol.
J'ai aussi eu parfois une impression de répétition, surtout dans le second quart du bouquin. Jos passe d'un « maître » à un autre, et doit repasser par une phase d'entrainement digne d'un shônen à chaque fois. Mais là encore, c'est justifié. Sinon, comment expliquer ce guerrier (presque) inexpugnable qu'il est devenu à la fin ? Là encore, l'auteure n'est pas tombée dans le piège, et nous surprend encore : je m'attendais à ce que Jos devienne vraiment intouchable à un certain stade, mais ce n'est pas le cas... on a peur pour lui jusqu'à la dernière minute (et on a bien raison).
L'écriture est simple, mais efficace : ne vous attendez pas à de grandes trouvailles au niveau du style, mais ce roman est un récit d'aventure qui a pour vocation à vous faire tourner les pages, pas à vous émerveiller sur la langue ou à vous faire trop réfléchir. le background SF est classique, mais cohérent et on a l'impression que l'auteure a pensé à tout sans avoir besoin de nous en faire l'exposé. le lore n'est pas envahissant (on ne vous expliquera pas sur cent pages pourquoi et comment les humains sont là, ni même à quelle époque on est). Personnellement, c'est tout à fait ce que je recherche en SFFF : je lis pour débrancher mon cerveau et voyager dans d'autres mondes, pas pour prendre un cours magistral. Quelques coquilles sont à noter, toutefois : retraits à la ligne impromptus (un ou deux), majuscules qui sautent (deux ou trois), et surtout un « cela me blaisse » (sic) un peu surprenant (p. 519). Mais rien de bien grave.
Bref, pour moi, ce roman est presque un sans-faute, et a constitué une lecture à la fois agréable, passionnante, et marquante ! Si les thèmes vous parlent, que vous aimez l'Assassin Royal et le Dévoreur de Soleil, je vous le recommande.