Le voleur, c'est
Saïd Mahrane, qui au début du roman sort de prison, où il vient de passer quatre ans.
Les chiens, ce sont ceux qui l'ont trahi, entre autres Alliche, l'ex lieutenant qui a permis son arrestation en le dénonçant, et sa femme Nabawiyya, qui vit dorénavant avec son délateur. Mais la trahison la plus douloureuse est celle de Raouf Elouane, qui fut son mentor, en lui inculquant cette vision du monde consistant à considérer le vol, lorsqu'il est perpétré par les plus pauvres, comme une justice nécessaire pour ces laissés-pour-compte d'une société à deux vitesses. Or, dorénavant journaliste reconnu, consensuel, Raouf est passé de l'autre côté de la barrière, bourgeois raisonnable et confit dans l'assurance de sa supériorité, reniant avec mépris ses anciens idéaux. Ce vil opportunisme, puis le rejet de sa petite fille, qui ne reconnait pas cet inconnu qui l'aborde avec un peu de brusquerie, plongent Saïd dans une fureur désespérée.
Obsédé par son désir de vengeance, il se lance dans une sombre expédition au cours de laquelle rien ne se passe comme prévu, et tue un innocent. Réfugié chez Nour, une prostituée qui n'a jamais cessé de l'aimer -malgré l'indifférence vaguement condescendante manifestée par Saïd à son égard-, recherché par la polie, il s'obstine néanmoins à vouloir réaliser ses desseins punitifs.
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Le voleur et les chiens" est un récit efficace, dont le rythme enlevé s'accorde parfaitement à la précipitation avec laquelle le héros semble s'acheminer vers sa perte. Misant sur l'impact d'un réalisme dégraissé de toute digression ou de toute fioriture stylistique inutiles, Naguib Mafhouz fait ici le choix de porter son propos en laissant le plus souvent parler les faits, et en restant focalisé sur le personnage de Saïd, dont nous pénétrons, par intermittences, le dérèglement intime. Il confère ainsi à son roman une dimension sociale, en pointant les limites d'un système inique qui place les victimes de ses inégalités dans un engrenage entretenu par des mesures répressives enfermant dans l'exclusion, tout en s'attachant à dépeindre les mécanismes individuels qui en résultent. La soif de vengeance qui anime son héros, l'obnubile, parce qu'il n'imagine pas d'autre voie possible, occulte toute possibilité de rédemption, d'apaisement, de résilience. Ni Nour et l'amour qu'elle lui porte, ni le guide spirituel de son père défunt auprès duquel il cherche un réconfort moral, qui tente de lui faire comprendre la vanité de ses actes et la futilité des actions individuelles, ne parviennent à l'en détourner.
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