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Critique de Osmanthe


Aux premiers moments de la rentrée littéraire, j'ai été happé par une couverture…cet homme sur un promontoir fixant la mer, les étendues neigeuses sous des cieux à la lumière improbable dans nos contrées...Liberté et rêve. Et puis les premières notes sur babelio. Encore du rêve. J'en avais besoin…

Le narrateur se souvient d'une rencontre qui marquera toute sa vie. Orphelin, il est envoyé à 14 ans à Tougour, une petite ville des bords de la mer d'Okhotsk, en extrême-orient russe, pour se former à la géodésie.
Observant le manège hebdomadaire des arrivants, en hélicoptère, sur cette terre reculée, il est intrigué par l'un d'eux, un homme mystérieux aux airs de chasseur…Il va le suivre dans la forêt proche. Le contact se fait. Puis l'homme, nommé Pavel Gartsev, va lui raconter son extraordinaire histoire.

En 1952, la guerre de Corée fait rage et fait redouter un troisième conflit mondial, cette fois nucléaire. L'Union Soviétique, encore pour quelques mois sous la poigne de fer de Staline, s'y prépare. Elle envoie des hommes s'entraîner en cantonnement au fin fond de la forêt sibérienne. Gartsev en est, mais ne tarde pas à susciter la haine du jeune et ambitieux sous-lieutenant Ratinsky, bien décidé à le casser. Cependant, très vite, la mission change d'objectif : il faut partir à la poursuite d'un fugitif.

L'équipe constituée de cinq hommes est commandée par Boutov, sous la redoutable surveillance du capitaine Louskass, chef du renseignement. Ratinsky en est aussi, ainsi que le sergent Mark Vassine, avec qui Gartsev tisse des liens complices. Même s'ils ont ordre de prendre le fuyard vivant, le rattraper devrait être une formalité. Pourtant ils vont vite déchanter.
Entre des chefs un poil froussards et plus calculateurs pour leur avenir personnel que pour la réussite de l'expédition, leur amateurisme et les ruses du fugitif, leur expédition tourne inexorablement au fiasco. Dans cette nature encore vierge, chacun des membres voit de plus en plus l'occasion d'une récréation champêtre, allant jusqu'à confier un souvenir personnel…On croit un moment à un début de semblant de fraternisation et à l'effacement de la hiérarchie…Mais chacun d'eux a son jardin secret, sa blessure, son graal, que cet environnement fait ressurgir et magnifie. Gartsev pense à Svéta, son amour qui l'a trahi. Lui et Vassine se ressentent progressivement une forme de complicité d'âme avec le fugitif. …Ici, dans cette immensité sauvage de la taïga les emmenant au bout du monde, cette poursuite a-t-elle un sens ?

Alors que leur détermination mollissait, la chasse est soudainement relancée quand, au rapproché, ils découvrent stupéfaits…que le fugitif est une femme ! Une Toungouze, peuplade autochtone aux traits asiatiques. Dès lors, les mâles en manque font assaut de machisme verbal égrillard en imaginant le sort qu'ils feront subir à la fuyarde. Et là encore, leurs fantasmes vont être vite douchés. La femme est maligne, et eux tellement empruntés qu'ils vont se blesser les uns derrière les autres, devant quitter l'aventure, pas forcément mécontents de s'exfiltrer pour regagner plus vite la civilisation.
Gartsev poursuit désormais seul la femme. Mais au bout du rouleau, hésite…Doit-il continuer cette quête quasi mystique de la liberté aux confins du pays, malgré les souffrances nées de l'hiver, de la fatigue, du manque de nourriture, ou rentrer au camp où les chefs revigorés ne manqueront pas de lui faire porter le chapeau de l'échec de la mission et de lui faire payer très cher, lui, comme bien d'autres écrasé par le régime stalinien, comme un "pantin de chiffon" ? Jusqu'au jour où le contact se fait...

Je ne dévoilerai pas les dernières pages de ce livre immense, lorsque le narrateur du début reprend la main des années après le récit que lui narra l'aventurier Gartsev.

La psychologie des personnages est fouillée, le rythme est soutenu, la construction est parfaite, on est transportés dans cette nature quasi inviolée, peut-être à la poursuite de nos propres rêves...Makine se fait le chantre de cette nature, et n'oublie pas de dénoncer vers la fin les ravages que l'homme lui fait subir. Il n'oublie pas l'humour non plus, tellement la poursuite de la fugitive tourne parfois au grotesque. Mais il dépeint aussi parfaitement l'implacable cruauté du régime stalinien et la bêtise des hommes.

Nul ne maîtrise aussi bien la langue française que lui, cet amoureux de la France. Nul n'écrit si bien sur la Russie, si chère à son âme et son coeur de Sibérien.

Pour moi Makine c'était l'auteur intimidant du Testament français, que je n'ai jamais osé lire, freiné par un a priori sur le côté intellectuel, nostalgique, un peu triste et hermétique, peut-être ennuyant de ce roman multi-récompensé.

Aujourd'hui je sais que j'en lirai d'autres de lui. Beaucoup d'autres. Et que je n'oublierai pas cette histoire de quête d'un archipel d'une autre vie, là, ces îles Chantars…et spécialement l'île Bélitchy, l'île aux écureuils.
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