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Critique de michfred


Qu'est-ce qui fait notre identité, semble nous demander Makine dans ce livre merveilleux, aérien, complexe, raffiné qui a engrangé tant de prix…et qu'à ma très grand honte je n'avais pas lu jusqu'ici ?

Est-ce une famille, une enfance, un pays, une langue maternelle ?

Ou est-ce plutôt un fin réseau de souvenirs rêvés plus que vécus, l'incantation d'un livre lu le soir sur un balcon, ouvert au vent de la steppe, la voix d une grand-mère chérie et doublement lointaine- par ses origines, françaises , et par son lieu de vie, une petite bourgade sibérienne perdue au bout du monde- dont la silhouette tutélaire et bienfaisante se découpe sur la toundra, et qui lit Nerval ou Baudelaire en français, et compare leur traduction en russe, sont-ce de vieilles et mystérieuses photos, soigneusement conservées dans une malle, ou des anecdotes parisiennes pleines d'exotisme et de piquant ?

La réponse est dans la question.

Rien n'est simple, pourtant.

La "francité choisie" du jeune narrateur est son identité rêvée, son identité d'élection mais faute de pouvoir la partager, elle l'isole des autres petits Russes, fait de lui un objet de moquerie, de rejet. Plus tard, ce repli linguistique et culturel devenant insupportable, avec la tension et l'excitation des désirs adolescents, il la rejette, se sent et se veut russe..

Mais une langue, une culture épousées dans l'enfance et dans l'ombre d'un être aimé, cela ne s'abandonne pas comme une mue de serpent…

Dans une langue –française- lumineuse, légère, subtile, presque proustienne parfois, Makine -ou plutôt son narrateur- raconte ce périple culturel et linguistique passionnant.

Qu'on se rassure : jamais le récit ne devient abstrait, intellectuel ou pédant : il est émaillé de scènes intimistes, croquées avec délice, de scènes effrayantes aussi – qui s'inscrivent , en arrière-plan,dans la fresque historique où se déploie la grande Russie.

Celle-ci vit de toute la force de son incroyable résistance, de son inépuisable résilience. On voit passer toutes ses épreuves – la guerre, la révolution, la terreur stalinienne, la guerre encore, la normalisation difficile…- derrière les récits de la grand-mère, Charlotte, Française devenue Russe par amour et par choix –au point de traverser, en pleine guerre et à pied, toute l'étendue qui la séparait de sa mère, au fin fond de la Sibérie !

Mais surtout, même si le jeune narrateur- un avatar romancé de Makine- est parfois égratigné avec humour pour sa naïveté et son égoïsme, c'est le personnage de Charlotte qui jaillit de ces pages avec une merveilleuse netteté, un charme et une force inoubliables .

Belle, cultivée, tendre, forte, toute en retenue et en contrôle de soi, profondément authentique et sincère - et si confiante dans sa relation avec son petit-fils , elle est vraiment l'âme du récit.

Elle éclaire, quand il faut, le jeune garçon, s'ouvrant à lui sans l'envahir, l'enrichissant sans le noyer, et elle lui délivre, par-delà la barrière sombre de la mort, le permis d'être ce qu'il a rêvé , en le libérant de pesants secrets qui vont lui permettre de vivre, d'écrire.

Chant d'amour à une langue et à une culture, ce livre poétique et puissant est aussi –est surtout ? - un chant d'amour à celle qui a permis cet envol, cette mutation, ce choix parfois douloureux.
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