Autant que je vous avertisse tout de suite : ce que vous allez lire est réel. Sordide. A vomir. Mais réel.
Dans les années 90, la Belgique a été secouée par « l'affaire Dutroux ».
Ce monstre a enlevé, séquestré, violé, tué des jeunes filles et des petites filles. Je ne vais pas revenir sur les faits, les mains m'en tremblent rien que d'avoir commencé cette chronique. Les 2 petites filles sont mortes dans des conditions atroces : elles sont mortes de faim, enfermées dans une cave minuscule et immonde, car leur tortionnaire était en prison pour d'autres faits. Mais sa femme – car le monstre a une femme et des enfants – n'a pas osé aller les nourrir. Elle dit n'avoir pas osé pousser la porte de la cave... « J'avais peur ; ce n'étaient pas des enfants, mais des bêtes féroces qui allaient surgir et me dévorer ».
Cette femme, c'est Michelle Martin. Elle a été condamnée à 30 ans de réclusion.
Voilà, c'est dit.
Nous sommes maintenant à la prison de Namur. Michelle Martin a demandé l'aide d'un écrivain, elle voudrait écrire un livre. Son livre. Mais qui ne parle pas de « l'affaire », elle juge en avoir assez dit, s'être assez expliquée là-dessus. Elle voudrait raconter sa vie et surtout les conditions de détention en prison.
C'est sans compter sur
Nicole Malinconi, une auteure d'origine italienne mais vivant depuis toujours en Belgique. Celle-ci, à pas feutrés, avec une sorte de respect, oui, de respect humain, s'approche de Michelle Martin et lui parle, ou plutôt suscite sa parole : « Ecrire à partir de vos mots et des miens, des coïncidences, des désaccords, de l'insupportable de nos mots, dans la tentative d'approcher comme d'une vérité : de vous, mais aussi de moi qui écris cela ».
Et Michelle Martin se confie. Elle lui dit son enfance dévastée par une mère possessive à l'extrême, castratrice si je puis m'exprimer ainsi, après la mort du père aimé. Elle lui dit sa soumission totale, puis son envoûtement par un homme singulier, Marc Dutroux. de soumission à soumission, d'une prison à l'autre, elle se retrouve bernée de tous côtés, sans réactions, sans jugement moral. Elle a dressé un mur entre ce que son mari fait, qu'elle ne veut même pas savoir (« Je pensais que s'occuper de quelqu'un qui a été enlevé, séquestré, c'est se rendre complice de la séquestration ; je ne voulais pas être complice de cela »), et ce qu'elle est : une maman qui aime ses enfants, son chien et même sa mère. Ne dit-elle pas d'ailleurs cette phrase devant laquelle N.
Malinconi reste totalement tétanisée : « Ma mère est morte sans que je sois là ; c'était terrible qu'elle meure seule, sans moi. Accompagner dans leur mort ceux qu'on aime, c'est une question de dignité ; savoir que quelqu'un que j'aime doit mourir seul est insupportable. Même mon chien. Mon chien, quand il est mort, je l'ai bercé. »
... !
Je n'ai pas de mot pour réagir. Juste une question, que l'auteure ressasse et ressasse : Comment est-ce possible ? « Comment une femme se laisse-t-elle envoûter par un homme, jusqu'à laisser mourir, jusqu'à cet abandon de la vie, jusqu'à l'oubli de la vie en elle ? »
Et puis, pas un regret. Pas une once de compassion. Juste une espèce de justification de sa conduite : elle est un être humain, une personne elle aussi, qui a souffert...
L'auteure a pu résister face à cet entretien qui a eu lieu périodiquement pendant un an, et a fini par construire son propre livre, à coups de phrases sèches en apparence, à la
Marguerite Duras. Sèches en apparence, car elles font leur chemin encore bien après la lecture.
Nicole Malinconi : « Il n'y a peut-être rien à dire devant l'inconnu d'autrui, vous êtes en train de devenir mon autrui ».