J'avais acheté ce roman pour un séminaire de Master auquel je n'ai pas pu assister. La première fois que j'avais entendu parler de ce roman j'étais en cours d'histoire en classe préparatoire et nous étudions (ou plutôt on nous racontait) la guerre d'Espagne. Bien loin de la curiosité que j'ai pu avoir ensuite pour l'histoire quand j'ai compris que cela me permettait de comprendre le contexte de production des oeuvres et leur environnement culturel et donc d'entrer plus profondément à l'intérieur d'elles, de m'imprégner réellement de toutes leurs richesses, je n'écoutais qu'à moitié le cours, le prenant machinalement en notes (parfois je ne faisais même pas semblant, ce cours est l'un des seuls où je me suis permise de dormir). Les événements s'accumulaient sur la page, une longue liste de dates accompagnée d'une aussi longue liste de partis politiques que les acronymes rendent anonymes et mystérieux. le tout a dû faire l'objet d'une évaluation, une colle ou un devoir sur table, mais je ne me rappelle même plus si j'ai fait l'effort d'apprendre le contenu du cours. Cependant, je connais les dates essentielles, le pourquoi du comment dans les grandes lignes, les forces majeures qui s'opposèrent et les conséquences pour l'Europe. Cela n'était apparemment pas suffisant pour lire
l'Espoir.
André Malraux ne nous prend pas par la main pour nous guider à travers les événements.
Il y a rarement des dates tout au long du récit, si bien que pour les ignorants comme moi, la chronologie devient très vite floue. le temps n'est défini que par les victoires et les défaites qui ont presque l'air anecdotiques dans l'aveuglement que l'auteur nous impose : il nous fait porter des sortes d'oeillères en nous donnant presque jamais l'accès à une vue d'ensemble qui nous permettraient d'organiser, de trier et de hiérarchiser les événements. A cela s'ajoute que les indices d'une avancée dans l'Histoire sont cachés dans des discours toujours tronqués, soit parce que nous n'avons pas tout le dialogue des personnages, soit parce qu'ils parlent entre eux par allusions comme le feraient des personnes vivant la même expérience. On peut louer ce réalisme des dialogues mais cela n'avance pas plus le lecteur qui n'aurait pas la même expérience. Cette manière de mimer l'intimité des soldats, de faire communauté à travers un dialogue d'initiés, est à l'origine des chefs d'oeuvre d'
Apollinaire — entre autres — mais c'est de la poésie, on peut tout de même apprécier l'ouvrage car sa puissance évocatrice n'en est pas ruinée pour autant. Dans un roman, il s'avère que c'est un peu moins supportable.
Comme bien souvent
Malraux privilégie pour conter les faits l'échelle de l'individu. Les faits sont alors fragmentés comme l'existence des personnages. A cause de la grande confusion de cette fragmentation et parce que
Malraux multiplie les points de vue en inventant des personnages correspondant à toutes les positions politiques et hiérarchiques, il est difficile de garder en mémoire les informations essentielles sur les personnages. Cela gêne en grande partie l'identification et l'empathie.
Il y a bien un ou deux personnages qui sortent du lot, mais cet afflux de personnages est difficile à suivre parce qu'on les perd un moment pour les retrouver ensuite, demandant donc à la mémoire de reprendre les éléments du passé alors que cette dernière est déjà en panique car elle n'a pas beaucoup de branches bien solides auxquelles se raccrocher, comme elle ne comprend pas grand chose dans la confusion des moments saccadés. Je finissais par confondre les personnages entre eux, surtout quand leur évolution dans les hiérarchies implicites était au coeur de leurs actions et de leurs relations.
A cela s'ajoute ma méconnaissance des titres dans l'armée, des figures historiques que l'auteur cite comme des personnalités connues de tous, qui se passent de présentation, et surtout des différents mouvements politiques fortement liés à une origine sociale qui semblent pour l'auteur suffire à définir certains traits des personnages, à expliquer leurs comportements et leur implication dans le conflit. Alors bien sûr,
il y a les prénoms, deux trois caractéristiques physiques et psychologiques, mais j'étais tout de même perdue et bien souvent mon cerveau se contentait de se souvenir vaguement de tel personnage, au lieu de chercher dans les pages précédentes d'un roman dont j'avais bien du mal à suivre la chronologie (et sans chronologie établie, comment retrouver efficacement une information ?).
Ne me restait alors plus que l'expression pure des sentiments, d'apprécier l'exploration par l'auteur de l'horreur, de la détermination, de la camaraderie. Ou bien les dialogues sur
la condition humaine et sur sa nature (mais l'auteur alors emploie le ton mystérieux des philosophes qui ne veulent pas révéler les conclusions de leur sagesse mais seulement suggérer des éléments d'une réflexion au lecteur – fausse profondeur ?). Me restait aussi le destin d'un personnage qui par la force des choses prend le rôle de leader et de tout ce que cela signifie pour un individu en terme de responsabilité mais aussi d'isolement. de remarquables scènes de combats aériens qui même dans la confusion des enjeux m'ont fait ressentir une certaine trépidation et de l'inquiétude. J'ai de vagues souvenirs d'une scène de siège ou d'un combat de tanks, des moments forts qui me sont restés car la narration s'était alors suffisamment ralentie pour que je puisse me plonger dans le contexte de l'instant décrit en faisant fi de certaines données contextuelles plus larges.
A force d'en parler, je me demande même maintenant si la confusion n'est pas un des objets de la narration où les détails peuvent prendre plus d'ampleur que dans l'organisation bien structurée et claire du récit de l'Histoire qui pour cela est bien obligée d'élaguer, d'aplanir les aspérités du terrain et du vécu pour ne garder que les grands mouvements au mépris souvent de la réalité. Cela n'empêche pas que
L'Espoir n'est pas un roman à lire si on n'y connait rien et que je suis bien triste de ne pas avoir pu assister au séminaire qui m'aurait peut-être permis de mieux l'apprécier.