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Giovanni Macchia (Préfacier, etc.)Yves Branca (Traducteur)Georges Saro (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070386390
862 pages
Gallimard (13/10/1995)
3.94/5   108 notes
Résumé :
Ce chef d'œuvre absolu de la littérature romanesque italienne (1825-1842) raconte, sur le fond de l'histoire de la Lombardie au XVIIe siècle, les tribulations de deux fiancés, Renzo et Lucia, qui, ne pourront s'unir qu'après bien des malheurs. Le sujet véritable est cependant ailleurs : celui de toute guerre civile, et donc tristement actuel ; oligarchie tyrannique, famines, émeutes, horreurs et ruines dûes à la guerre. D'un côté les pauvres, de l'autre les oppresse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Un mariage qui tombe à l'eau le jour même de sa célébration : le curé refuse d'officier prétendant qu'on le menace de mort s'il ose unir les deux tourtereaux ! le fiancé, Renzo, tombe des nues lorsque Don Abbondio finit par lui avouer de quoi il retourne... le portrait en pleutre de l'ecclésiastique distille déjà une plaisante ironie. Sa réputation de couard établie et validée par sa gouvernante Perpetua, le lecteur ne doute plus qu'elle lui collera durablement à la soutane tout au long du roman. C'est l'entrée en matière disons réjouissante de cette « histoire milanaise au XVIIe siècle » (sous-titre qui annonce les très belles pages du début sur le lac de Côme), à propos de laquelle Manzoni écrivait à son ami français Fauriel, en 1822, pendant qu'il travaillait à Fermo e Lucia (Les Fiancés en sont la deuxième mouture épurée, profondément remaniée, publiée en 1825/1827) : « A cet effet je fais ce que je peux pour me pénétrer de l'esprit du temps que j'ai à décrire, pour y vivre. Il était si original que ce sera bien ma faute si cette qualité ne se communique pas à la description ».

Qui sont les fiancés et pourront-ils un jour convoler ? Tel est le sujet. Ce couple empêché est formé d'un jeune fileur de soie, Renzo, qui ne s'en laisse pas trop conter par le curé récalcitrant et sa promise, l'obéissante Lucia, bien plus perméable que lui aux préceptes de la religion. En but à l'officiant qui contrarie leur projet Renzo découvre bientôt tous les dessous scandaleux à l'affaire. Commanditée par le seigneur du coin Don Rodrigue qui convoite en fait Lucia sa chaste dulcinée. Maître sans scrupules qu'assiste une bande d'affidés peu recommandables pour faire régner un ordre de terreur sur les populations environnantes.

Nous sommes en lombardie sous occupation espagnole, au XVIIe siècle. Un temps de misères politiques et sociales où la religion régit les âmes en s'appuyant s'il le faut sur un pouvoir civil qui ne dédaigne pas non plus les abus, les édits obscurs, les jugements avariés ou dévoyés. Où Autorités royales, princières et militaires, espagnoles, vénitiennes, germaniques et françaises et cohorte d'officiers et de ministres d'Eglise se font face avec à leurs pieds le petit peuple ! Un "temps de crasse pompeuse" dont Manzoni a méticuleusement réuni les archives (entre autres les écrits d'un témoin de l'époque Ripamonti) pour documenter les quelques huit cents pages de son roman fleuve, le seul qu'il ait laissé mais dont il a écrit trois versions.

Après ce début corsé la mère de Lucia, Agnese, a tôt fait de souffler à Renzo furieux une parade aussi obscure que le refus du curé, pour déjouer l'affront du potentat Rodrigue. Les stratégies d'Agnese et de Rodrigue font mouche et ne tardent pas à se télescoper donnant lieu à une scène nocturne, au son du tocsin, digne des meilleures épopées. Mais Don Rodrigue devient vite un sous-tyran comparé à celui dont il sollicite bientôt les services, appelé "l'Innomé", pour activer son plan de rapt de Lucia. Ce super tyran au-dessus du tyran qui fait son apparition dans un rôle de converti assez improbable à la moitié du livre lui impulse une nouvelle direction très inattendue...

Quelques chapitres supplémentaires permettent une mise au point. Ce brave curé de Lecco n'est sans doute qu'un contre modèle utile aux intentions littéraires ou plus moralisatrices de l'auteur. Face à lui deux autres figures d'ecclésiastiques offrent un contraste édifiant d'exemplarité et de courage : le cardinal Frédéric Borromée et le capucin Cristoforo sorte d'ange gardien des fiancés. le curé de campagne est bien à mille lieues de l'ardeur exaltée de ces deux là, ou de la foi de L'Innomé, à dispenser sans relâche et quelles que soient les circonstances la parole salvatrice de l'idéal chrétien ! Idéal dont Manzoni se réclame et dont il est le chantre plus modéré au début du XIXe siècle estimant que la littérature doit porter un message de vérité moralement utile par le biais de l'Histoire. Et plus précisément par les événements qu'il décrit dans ce Milanais sous domination étrangère au moment de la succession du duché de Mantoue. Guerre, famine et épidémie de peste qui en découlèrent notamment à Milan laissent leur macabre référence sur plusieurs longs chapitres de la deuxième moitié du roman en faisant planer une ombre sur son issue...

La visée extrêmement moralisatrice du roman paraît pesante aujourd'hui. On peut y lire aussi la philosophie de l'histoire de l'auteur avec le peuple des humbles embarqué et englouti dans l'indifférence de son cours : Agnese, Renzo, Lucia et tous leurs amis en font partie, pris en étau entre "le sabre et le goupillon". Un monde sans pitié pour eux mais dans lequel ils sont déterminés à vivre quoi qu'il en coûte. La "pêche" de Renzo et l'esprit combinard d'Agnese font merveille sur ce terrain. Plus loin c'est encore une religieuse protectrice de Lucia et sa mère, Gertrude, double de la religieuse de Monza, qui offre au lecteur à travers des considérations sur les conditions troubles de sa vocation forcée, la première des énooooormes digressions qui ont été si vivement reprochées à Manzoni dès la première parution.

Si tous les événements historiques et leurs digressions savantes servent les rebondissements de l'intrigue et donnent le pouls d'une époque, comme l'espérait Manzoni dans sa lettre à Fauriel, ils ont tendance à couper le lecteur du fil romanesque et ne sont pas sans incidence sur le rythme du récit. Les fiancés et leurs comparses disparaissent parfois pendant plusieurs chapitres… Il faut s' y faire ou bien tout lâcher en rase campagne. Choix délibéré de donner cette amplitude à de tels développements en y ajoutant même des commentaires. Rigueur d'un écrivain très sourcilleux qui précise en introduction comment il s'est permis d'agencer l'histoire. Mais l'historien et le romancier cohabitent ici plus qu'ils ne convolent, seul petit bémol dans un plaisir global de lecture que la préface de l'édition folio introduit très bien (Giovanni Macchia).

Macchia éclaire la genèse du roman et le resitue dans l'histoire de la littérature italienne et européenne depuis le XVIIe siècle, il voit Manzoni qui a lu les deux plus proche de Sterne que de Scott. Il pointe tout particulièrement l'énorme travail de création de son auteur (plus connu pour sa poésie et ses tragédies) et ses intentions, dans le contexte politique et culturel italien du début du XIXe siècle qu'on ne peut laisser de côté. On comprend pourquoi Manzoni s'échina après la première publication pendant de si nombreuses années à « toscaniser » Les Fiancés, travaillant le style et la langue de son roman afin de le rendre plus accessible à ses lecteurs, jusqu'à ne valider la publication définitive qu'en 1840/1842. L'oeuvre fait date en Italie où elle eut un immense succès et un retentissement tout aussi considérable alors que l'idée de l'unité commençait à germer. La littérature est souvent partie prenante de l'histoire des nations. Il existe également une autre préface passionnante sur Manzoni (René Guise) jointe à une édition plus ancienne de 1968, en deux volumes, des Fiancés, (éditions du Delta), dont j'ai lu le premier tome seulement achevant ma lecture avec cette édition poche par commodité de format.







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Cela commence comme du Stendhal dans les Nouvelles Italiennes, un manuscrit ancien... puis une belle description des sommets au dessus du Lac de Côme...puis arrivent les Braves, séides des seigneurs, cap et épée, sicaires... nous quittons Stendhal pour Dumas. Don Rodrigue, tyranneau local, neveu d'un Grand de Milan, a parié avec un de ses cousins qu'il séduirait Lucia, la petite fiancée. Manzoni bataille contre les abus de pouvoir de la noblesse. Un peu plus loin, c'est Diderot et la Religieuse qui a inspiré l'auteur.Chaque épisode introduit un nouveau personnage. Et ces personnages ne sont jamais secondaires, ce sont les véritables héros d'une grosse histoire qui fait oublier les Fiancés Renzo et Lucia, que l'on perd de vue pour les retrouver dans de nouvelles aventures. Si le pouvoir civil est espagnol, le clergé, moines capucins, curés, évêques, cardinaux (et même un quasi-saint Frédéric Borromée) jouent un rôle prépondérant dans la vie du Milanais. On assiste à un presque miracle : la conversion d'un bandit l'Innommé...

L'action se déroule dans le Milanais en 1628. L'Espagne règne sur le Milan. Les mauvaises récoltes ont causé la disette puis des émeutes du pain. Casale est assiégée, en France Richelieu fait le siège de la Rochelle, la guerre de succession de Mantoue va voir les troupes étrangères se déverser sur la Lombardie et apporter désolation, pillages et dans leur sillage, la peste. Je lis Les Fiancés comme un roman historique. Manzoni s'est documenté pour raconter les évènements. Il cite ses sources. Les notes (malencontreusement situées à la fin du livre, j'aurais préféré en bas de page) confirme l'authenticité des faits et des personnes. Et surtout Manzoni se livre à une véritable analyse économique quand il explique les effets négatifs de la fixation d'un prix trop bas au pain. C'est un véritable cours d'économie.

Quand il raconte l'épidémie de peste, l'auteur ne nous épargne aucun détail. Il faut se souvenir que la contagion de la peste n'a été découverte que beaucoup plus tard, en 1894, et pourtant il a des intuitions géniales. Il montre l'incurie des services de santé qui nient la réalité de l'épidémie, la laissant s'étendre au lieu de la contenir, les atermoiements, les mesures prises alors, la lâcheté de certains, le courage d'autres, aussi les raisonnements oiseux de Ferrante, l'érudit dans sa tour d'ivoire, qui préfère interpréter la catastrophe par les conjonctions de Jupiter et des planètes, ou par des sophismes, et négligeant de se protéger, contracte la fatal maladie.

D'autres lectures du gros livre sont possibles, une lecture catholique, dont je suis éloignée.... en V.O. il serait intéressant de suivre l'Italien au moment où le Toscan devient l'Italien alors que l'Italie s'unifie. Lecture sociale : lutte des petits contre la tyrannie des nobles, Manzoni écrit peu de temps après le passage de Napoléon en Italie, popularisant les thèses de la Révolution....Il est remarquable que les héros ne soient pas des princes et princesses mais un ouvrier, fileur de soie, et une petite paysanne. Là, cependant, j'ai été un peu frustrée : autant l'auteur s'est appliqué pour raconter le quotidien des moniales, des capucins, du curé de campagne, ou celui des seigneurs-bandits, autant il aurait pu nous montrer les ouvriers du textile au travail. le livre aurait été encore gros!

Véritable découverte!

Avant l'association Romantisme et Italie était univoque : Verdi maintenant je penserai à Manzoni§
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Relecture en V.O.
Je replonge dans ce texte 30 ans plus tard... le plaisir est inchangé! Les mêmes personnages me touchent (Renzo face à toutes ses épreuves, Agnese dont j'aime le caractère et le franc parler, Fra Cristoforo si digne jusqu'au bout), et les mêmes m'agacent (ce couard de Don Abbondio, et cette Lucia toujours à rougir comme ça...).
Les phrases se savourent, les longues digressions informent mais rendent le suspens insoutenable.
L'humour de Manzoni me divertit encore sinon davantage ainsi que son amour pour le pays décrit. J'aime la façon qu'il a de faire participer le lecteur en créant une certaine complicité avec lui.
Oh ce passage au "lazzaretto", l'hôpital où l'on rassemble les malades et les mourants de la peste... un passage superbe, incontournable, de tant d'émotions. Il s'y passe tant de choses, clés du dénouement de ce long roman.
Un classique inévitable pour connaitre la littérature italienne.
A lire absolument!
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Avec Les fiancés, Alessandro Manzoni a réalisé l'un des plus grands chefs-d'oeuvre de la littérature italienne. Ce roman, dont l'action se situe au XVIIème siècle, est étudié aujourd'hui encore par tous les élèves italiens, et pour cause ; les thèmes traités sont intemporels.
Lucia et Renzo devaient se marier mais tout est annulé après que le curé don Abbondio reçoit des menaces de mort de la part de don Rodrigo, l'un des puissants de la province. Ce dernier a parié avec son cousin que la jolie paysanne n'épouserait pas son fiancé et semble prêt à tout pour arriver à ses fins. C'est ainsi que commencent les malheurs des deux jeunes gens.
Tentative d'enlèvement, enlèvement, condamnation, voeu à la Madonne, fuite, peste, ils mettront deux ans à se retrouver, au terme de nombreuses péripéties.

I promessi sposi ont traumatisé bon nombre de mes amis italiens mais, pour ma part, j'ai a-do-ré ! Je comprends sans peine la renommée de l'ouvrage. Chaque chapitre amène une nouvelle intrigue, un nouveau personnage avec sa propre histoire. On sent l'influence des autres grands auteurs de l'époque ; la vie malheureuse de "la signora", notamment, n'est pas sans rappeler La religieuse de Diderot. Manzoni profite également de ce roman pour dépeindre la situation politique de la Lombardie, et intercale aussi un petit cours d'économie avec la fameuse aventure du prix de pain.
En ces temps troublés, je voudrais m'arrêter particulièrement sur les chapitres concernant l'épidémie de peste qui décima la région de Milan dans les années 1630. Croyez-le ou non, la similitude avec l'épidémie actuelle de coronavirus est troublante. Tout y est, absolument tout. On retrouve ainsi les autorités qui ignorent les alertes lancées par le "tribunale della sanità", les fanas des théories complotistes, les anxieux, les désespérés, ceux qui se persuadent qu'ils ne risquent rien, la recherche effrénée et la stigmatisation des soit-disant propagateurs de la maladie, l'hystérie collective, etc. Tout y est, vous dis-je. Comme quoi, le monde reste toujours le même.
Cependant, l'une des grandes morales de ce roman est que, quand l'amour est sincère, deux ans de malchance ne suffisent pas à le défaire. Tôt ou tard, les fiancés se retrouvent et se marient.

Challenge ABC 2019/2020
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Je remercie l'émission de France Culture "Sans oser le demander", qui m'a à la fois donné envie de lire ce roman, et qui m'a donné certaines pistes de lecture. J'ai bien compris que c'était une oeuvre du patrimoine italien, connu des élèves et étudiants, mais je dois d'abord confesser que j'ai trouvé beaucoup, beaucoup de longueurs - le roman fait mille pages. Des longueurs dans les descriptions, dans la forme même du récit - les personnages vivent les événements, se les remémorent, les racontent, puis d'autres les interprètent... Des longueurs dans les digressions aussi, avec les portraits assez longs de personnages parfois très secondaires.
J'ai bien compris à l'écoute de cette émission que ce n'est pas un roman sentimental mais matrimonial - les sentiments de Renzo et Lucia sont donnés pour acquis, leur but est de se marier, pas de se séduire. J'ai surtout compris que les interprétations peuvent être multiples, de la lecture marxiste qui s'intéresserait surtout à la description des émeutes de la faim et aux rapports entre seigneurs et petites gens, une lecture religieuse qui penserait à la sanctification de certains personnages très positifs de religieux (le cardinal Frédéric, le père Cristoforo) et sur la punition des pêchés et la gratification des vertueux, ou une autre anticléricale qui se centrerait sur les portraits négatifs de religieux paresseux, usuriers, peureux...
Moi qui suis historienne, historienne moderniste, c'est l'aspect roman historique qui m'a intéressé, forcément. C'est l'Italie du XVII ème siècle, majoritairement rurale et paysanne, avec déjà des grandes villes puissantes qui se modernisent par une proto-industrie (les filatures). Mais c'est aussi une Italie qui n'existe pas en tant qu'Etat souverain, où les puissances européennes viennent mener des opérations de conquêtes - on croise donc des Espagnols, des Autrichiens, des Français, des Suisses..., le tout au détriment des populations locales. C'est la Guerre de Trente Ans, la "guerre nourrit la guerre", les armées vivent du pillage, du viol, du meurtre, même si elles ne combattent pas directement les Etats italiens. Et elles transportent la peste... J'ai été assez fascinée par la description très documentée de la peste à Milan, Manzoni cite même des sources. Certains passages sont très actuels et résonnent fortement avec notre traversée de la pandémie. Les connaissances ont changé, mais certains comportements restent les mêmes : ne pas nommer la maladie pour ne pas effrayer, ne pas écouter ceux qui parlent de contagion, diffusion de rumeurs et de fausses informations, crainte d'un complot généralisé, profiteurs économiques... le tableau est saisissant.
Une lecture assez longue, trop pour moi, mais où chacun peut trouver la grille de lecture qui lui plaît, le genre aussi entre comique, mélodrame, roman historique, politique...
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Citations et extraits (105) Voir plus Ajouter une citation
Dès le 8 avril de l’année 1583, l’Illustrissime et Excellentissime seigneur don Carlo d’Aragon, prince de Castelvetrano, duc de Terranuova, marquis d’Avola, comte de Burgeto, grand amiral, et grand connétable de Sicile, gouverneur de Milan et capitaine général de Sa Majesté Catholique en Italie, pleinement informé de l’intolérable souffrance dans laquelle a vécu et vit encore cette ville de Milan à cause des bravi et vagabonds, publie contre eux un édit de bannissement. Il déclare et décide que sont compris dans cet édit et doivent être tenus pour bravi et vagabonds tous ceux qui, soit étrangers, soit du pays, n’ont aucune profession, ou, en ayant une, ne l’exercent pas, mais s’attachent, avec ou sans salaire, à quelque chevalier ou gentilhomme, officier ou marchand pour lui prêter aide et main-forte, ou plutôt, comme on peut le présumer, pour tendre des pièges à autrui… A tous ces gens il ordonne que, dans le terme de six jours, ils aient à vider le pays, prononce la peine de la galère contre ceux qui n’obéiront pas et donne à tous officiers de justice les pouvoirs les plus étrangement étendus et indéfinis pour l’exécution de cet ordre.

Mais l’année suivante, et le 12 avril, le même seigneur voyant que cette ville est encore pleine des susdits bravi, lesquels se sont remis à vivre comme ils vivaient auparavant, sans que leurs habitudes soient, en rien changées ni leur nombre diminué, fait paraître une nouvelle ordonnance plus sévère et plus remarquable, dans laquelle, entre autres mesures, il prescrit :

Que tout individu, tant de cette ville que du dehors, que deux témoins déclarent être tenu et communément réputé pour bravo et en avoir le nom, quand bien même n’aurait été vérifié aucun délit de son fait ... pourra, pour cette seule réputation de bravo et sans autres indices, à la diligence desdits jugés, et de chacun d’eux, être soumis à la corde et à la question, pour procès d’information, ... et que, lors même qu’il n’avouerait aucun délit, il sera toutefois envoyé aux galères pour trois ans, pour la seule réputation et le nom de bravo, comme dessus ; le tout, ainsi que le surplus que nous omettons, parce que Son Excellence est décidée à se faire obéir de chacun.

CHAPITRE PREMIER.
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Quand la troupe qui était la première en marche arrivait au lieu de son étape, son premier soin était de se répandre dans toutes les habitations et de l’endroit et des environs, et de les mettre tout simplement au pillage. Ce qui pouvait être consommé ou emporté disparaissait ; le reste était détruit ou saccagé ; les meubles devenaient du bois pour le feu ; les maisons, des écuries ; sans parler des violences, des sévices, des outrages de toute sorte sur les malheureux habitants. Tous les moyens, toutes les ruses que ceux-ci avaient pu mettre en œuvre pour sauver quelques effets étaient le plus souvent inutiles ou quelquefois ne servaient qu’à causer plus de mal. Les soldats, bien plus au fait que ces pauvres gens des stratagèmes de cet autre genre de guerre, fouillaient dans tous les recoins du logis, démolissaient, abattaient les planchers et les murailles ; ils reconnaissaient aisément dans les jardins la terre fraîchement remuée ; ils allaient jusque sur les montagnes s’emparer des bestiaux ; ils pénétraient, guidés par quelque vaurien de l’endroit, dans les grottes ignorées, pour y chercher l’homme un peu riche qui s’y était blotti ; ils le traînaient à sa demeure, et, par une torture de menaces et de coups, le forçaient à indiquer le lieu où était caché son trésor.

Ils partaient enfin, ils étaient partis ; on entendait de loin mourir le son des tambours ou des trompettes ; on avait quelques heures d’un repos plein d’épouvante ; et puis ce maudit son de tambour, ce maudit son de trompette recommençait, annonçant une nouvelle troupe. Ceux-ci, ne trouvant plus de butin à faire, n’en détruisaient qu’avec plus de fureur le peu qui pouvait rester encore ; ils brûlaient les tonneaux vidés par les premiers, les portes des chambres où ceux-ci n’avaient laissé que les quatre murs ; ils mettaient le feu aux maisons mêmes, maltraitaient les personnes, cela va sans dire, avec d’autant plus de rage ; et la chose allait ainsi de mal en pis pendant vingt jours ; car c’était en vingt troupes séparées que l’armée effectuait sa marche.

CHAPITRE XXVIII.
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« Quel est ce coquin puissant ? » dit Renzo du ton d’un homme qui a résolu d’obtenir une réponse précise, quel est ce méchant qui ne veut pas que j’épouse Lucia ?
— Quoi donc ? quoi donc ? balbutia le pauvre curé avec un visage devenu en un instant aussi blanc et aussi flasque qu’un chiffon sortant de la lessive ; et, tout en grondant sourdement, il fit un saut de dessus son grand fauteuil pour s’élancer vers la porte. Mais Renzo, qui s’attendait à ce mouvement et se tenait sur ses gardes, s’y jeta d’un bond avant lui, donna un tour de clef et mit cette clef dans sa poche.
— Ah ! ah ! parlerez-vous, maintenant, seigneur curé ? Tout le monde sait mes affaires, excepté moi. Je veux, morbleu ! les savoir aussi. Comment s’appelle-t-il, cet homme ?
— Renzo ! Renzo ! de grâce, prenez garde à ce que vous faites ; songez à votre âme.
— Je songe que je veux le savoir tout de suite, à l’instant.
Et, en parlant ainsi, il mit la main, sans peut-être s’en apercevoir, sur le manche du couteau qui sortait de sa poche.
« Miséricorde ! » s’écria d’une voix éteinte don Abbondio.
— Je veux le savoir.
— Qui vous a dit ...
— Non, non, plus de chansons : parlez clair et tout de suite.
— Vous voulez donc ma mort ?
— Je veux savoir ce que j’ai motif de savoir.
— Mais, si je parle, je suis mort. Ne dois-je pas prendre intérêt à ma vie ?
— Donc, parlez.
Ce « donc » fut prononcé avec une telle énergie, l’air de figure de Renzo devint si menaçant, que don Abbondio ne put même plus supposer la possibilité de désobéir.
— Vous me promettez, vous me jurez, dit-il, de n’en parler à qui que ce soit, de ne jamais dire ... ?
— Je vous promets que je vais faire quelque sottise, si vous ne me dites à l’instant le nom de cet homme.
A cette nouvelle adjuration, don Abbondio, avec le visage et le regard de celui qui a dans sa bouche tes tenailles de l’arracheur de dents, prononça : « Don ...
— Don ? » répéta Renzo, comme pour aider le patient à mettre au jour le reste ; et il se tenait penché, l’oreille sur la bouche du curé, les bras tendus et les poings serrés en arrière.
« Don Rodrigo ! » dit rapidement le malheureux, précipitant ce peu de syllabes et glissant sur les consonnes, tant par l’effet de son trouble que parce que, appliquant le peu de liberté d’esprit qui lui restait à faire une transaction entre ses deux peurs, il semblait vouloir soustraire et faire disparaître le mot, dans le moment même où il était contraint à le faire entendre.
— Ah ! le chien ! hurla Renzo.

CHAPITRE II.
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« Voyez, notre maître, lui dit Perpetua, s’il n’y a pas là de braves gens pour nous défendre. Qu’ils viennent s’y frotter, les soldats ! Ce ne sont pas ici de ces peureux de chez nous, qui ne sont bons qu’à jouer des jambes.

— Paix ! répondit don Abbondio, à voix basse, mais d’un ton de colère ; paix ! vous ne savez ce que vous dites. Priez le ciel que les soldats n’aient pas de temps à perdre, ou qu’ils ne sachent pas ce qui se fait ici, qu’ils n’apprennent pas qu’on arrange cet endroit comme une forteresse. Ne savez-vous pas que c’est le métier des soldats de prendre des forteresses ? C’est tout ce qu’ils demandent : pour eux, donner un assaut, c’est comme aller à la noce, parce que tout ce qu’ils trouvent est à eux, et quant aux personnes, ils les passent au fil de l’épée. Oh ! pauvre homme que je suis ! Enfin, je verrai bien s’il n’y a pas moyen de se mettre à l’abri sous quelqu’un de ces rochers. On ne me prendra pas dans une bataille ; oh ! non pour sûr, on ne m’y prendra pas.

— Si vous en êtes à avoir peur d’être défendu et secouru… » recommençait à dire Perpetua ; mais don Abbondio l’interrompit brusquement, toujours à voix basse : « Chut ! Et gardez-vous bien de rapporter ce que nous venons de dire. Rappelez-vous qu’il faut toujours faire ici bonne et riante mine, et approuver tout ce qu’on voit. »

CHAPITRE XXX.
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« Le vicaire ! le tyran ! l’affameur ! nous le voulons ! mort ou vif ! »
L’infortuné errait de chambre en chambre, pâle, sans haleine, frappant ses mains l’une dans l’autre, se recommandant à Dieu et conjurant ses domestiques de tenir bon et de lui trouver quelque moyen de se sauver. Mais comment et par où ? Il monte en galetas ; d’une lucarne il jette en tremblant un regard sur la rue et la voit farcie de furieux ; il entend les voix qui demandent sa mort, et, plus terrifié que jamais, il se retire et va chercher le recoin le plus sûr et le plus caché. Là, blotti et ramassé sur lui-même, il écoutait ; il écoutait si le terrible bruit ne diminuait, pas, s’il ne se faisait pas quelque relâche dans le tumulte ; mais, entendant au contraire les rugissements s’élever plus féroces et plus assourdissants, et les coups redoubler d’activité, le cœur saisi d’un nouvel assaut d’épouvante, il se bouchait bien vite les oreilles. Puis, comme hors de lui-même, les dents serrées, le visage contracté, il tendait les bras et portait ses poings en avant, comme s’il voulait appuyer la porte ... Du reste on ne peut savoir précisément ce qu’il faisait, puisqu’il était seul ; et l’histoire est obligée de deviner, heureusement qu’elle en a l’habitude.

CHAPITRE XIII.
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