« L'oeuvre de « Marcel » est, comme dirait le duc de Guermantes, « bel et bien » (ou faute de mieux) celle de
Proust, et de ce fait nous ne savons jamais, la relisant après avoir pris connaissance de ces fameuses dernières pages, à laquelle des deux, qui ne font qu'une, nous avons affaire. [...] Ce statut paradoxal [de la Recherche], Thierry Marchaisse m'en semble donner l'image la plus fidèle en le comparant à celui du célèbre ruban de Möbius, dont, par un tour de topologie à la portée d'un enfant de cinq ans muni d'un bâton de colle, le recto et le verso collés bout à bout après torsion ne font qu'un, de sorte que nous ne savons jamais auquel des deux nous avons affaire. de même, entre le personnage et son narrateur semi-fictionnel — comme, dans le conte chinois, entre l'empereur et le papillon, ou, dans Les Fleurs bleues, entre le duc d'Auge et son double Cidrolin—, nous ignorons toujours lequel des deux habite le rêve de l'autre. Cette analogie, une fois posée, est irrésistible. Je ne vois d'ailleurs aucune raison d'y résister. »
Gérard GENETTE,
Codicille, entrée « Möbius », Paris, éditions du Seuil, avril 2009, p. 186.