" Je suis une vieille qui vacille, titubante et méchante, tordue par la douleur , sans doute, hébétée, j'ai comme un pied dans la tombe...."ainsi débute "
Les conversations", le récit touchant, délicat, bouleversant d'une vie: Magda: âgée de 90 ans, entourée des "endeuillés"comme elle les appelle est submergée par une colére, une rage sourde plus que par la peine au retour de l'enterrement de son mari Henri. Elle regarde ses amis et sa famille avec dureté et éprouve le besoin de s'isoler .....pourquoi?
Les souvenirs l'assaillent, en particulier celui de Prune, son amie d'enfance, un prénom " doux et léger", en réalité Prune s'appelait "Sarah Jeanne". S'ouvre alors le grand livre de son enfance qui ressuscite ses frères et ses soeurs, sa mére, son pére,surtout, un avocat plein de fantaisie , Prune et Magda habitaient le même immeuble, elles se rendaient à la même école, le papa dePrune, Albert était professeur à l'université.....une enfance heureuse et protégée dans le Paris des années trente.....Comme une obsession, le récit intérieur émerge, les souvenirs affluent et se bousculent, un long monologue bien maîtrisé : les deux familles réunies, la musique, les ballades dans Paris, la joie devivre et l'insouciance, les incompréhensions et les déconvenues parfois....Magda interpelle les différents protagonistes ce qui donne du dynamisme au récit . Bientôt la complicité et la légèreté vont se heurter aux bouleversements de l'histoire, le front populaire d'abord , puis la guerre et l'occupation.
Mais que signifient ces reproches à l'adresse de son mari défunt Henri qui ponctuent la reconstitution de l'histoire familiale:" Henri jeta les fondements d'un pacte officieux et implacable dont nous ne parlerions jamais, sa famille assassinée et toutes les histoires semblables ne souffriraient qu'une mémoire sans voix , il valait mieux le silence encore et toujours, et presser le temps, l'exhorter à chasser vite les grandes blessures, à les repousser loin des mots inutiles "......
Pourquoi le pére de Magda, image omniprésente, si proche, si attentif, choisit- il de se murer dans le silence aprés la guerre?
Que s'est - il passé que Magda n'ait jamais su ou compris?
Sur quels secrets , sur quels non- dits, a t- elle dû construire sa vie?
L'auteure distille une savante tension et si tout est trés finement dit,le dénouement sera implacable et la fin surprenante.....
Un beau livre tendu , à l'écriture originale, une vraie sensibilté pour créer des personnages et leur donner vie, un ouvrage sur le secret , sur le poids ou le rejet des traumatismes issus de cette histoire, sur ceux , qui, adultes ou adolescents ont vécu cette tragédie, il n'y a pas de pathos dans ce contexte historique même si l'horreur et l'obscurité entretenues par le secret créent une béance, un mal être, un " jamais dit"....
Un premier roman fort et attachant pétri d'émotions à l'aide d'une narration originale pour aborder le contexte historique," la revue de presse " réalisée par Magda et ses " grands tours de guerre" avec son pére à la recherche des maisons des écrivains célébres dans Paris:
Molière,
Musset, Hugo,
Balzac.....
Un ouvrage lu dans la cadre du prix historique " Jeand'heurs"spécifique à mon département natal.